J’ai couru vers le Nil (Al-Joumhouriyya Ka’anna), d’Alaa El Aswany, traduit de l’arabe (Egypte) par Gilles Gauthier, Actes Sud, 430 p., 23 €.
Une brasserie parisienne. Devant un verre de whisky écossais, Alaa El Aswany semble un géant bienveillant, attentif aux questions qu’on lui pose. On pourrait dire, au risque de paraître exagérément lyrique, qu’avec sa gentillesse bon enfant et sa distance amusée à l’égard du genre humain, il incarne quelque chose de l’âme égyptienne. Comme s’il sortait d’un roman de Naguib Mahfouz (1911-2006) ou d’un film de Youssef Chahine (1926-2008). Il fait chaud en ce début d’automne, on se croirait presque dans un café huppé du Caire en sa compagnie. Ou à Assouan, en Basse-Nubie, d’où est originaire sa famille paternelle.
C’est en partie à son père, Abbas El Aswany, que le romancier doit ce qui fait la réussite de ses livres : sa capacité à rendre la multiplicité des destins égyptiens, toutes classes sociales confondues, avec proximité et sympathie. Aswany père était avocat et écrivain lui aussi, militant socialiste, opposant à l’occupant britannique, patriote plus que nationaliste. Son fils étudiait au lycée français du Caire, mais il l’emmenait après la classe dans les quartiers populaires. Lui rejoignait ses camarades militants et l’enfant jouait dans les rues, qu’il a su si bien évoquer par la suite.
La nostalgie du cosmopolitisme cairote d’antan
« Mon père brisait les barrières entre les milieux bourgeois et le peuple », raconte Alaa El Aswanyqui, à sa suite, a su créer une porosité entre des mondes souvent antagonistes. Dans son premier roman, au succès immédiat en Egypte, L’Immeuble Yacoubian (2002 ; Actes Sud 2006), il a bâti une intrigue où se mêlent musulmans, chrétiens, juifs, hétérosexuels, homosexuels, riches bourgeois, prolétaires, paysans et sans-logis venus s’installer sur le toit de l’immeuble. On peut y lire, outre la nostalgie…