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Source: Le Figaro
Sur l’aéroport militaire de Melsbroek, le roi Albert II passe en revue la garde d’honneur avant de s’envoler vers Kinshasa en compagnie de son épouse Paola et de l’ancien premier ministre Yves Leterne. Crédits photo : AFP
Le roi des Belges ne devrait pas s’exprimer lors des cérémonies de l’indépendance du pays.
Une cérémonie officielle, un petit geste de la main et rien d’autre. L’arrivée, hier à Kinshasa, du roi de Belgique Albert II et sa femme, Paola, à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de la République démocratique du Congo (RDC) a donné le ton. La visite, hautement symbolique, sera d’une extrême discrétion. Une illustration claire que vingt-cinq ans après le dernier séjour royal au Congo, entre Bruxelles et Kinshasa l’histoire, faite de massacres, d’incompréhensions mutuelles et de défiance, ne s’est pas apaisée.
L’invitation inattendue lancée début janvier par le président Joseph Kabila au souverain, tout en marquant un net rapprochement, a suffi à rallumer les polémiques. En RDC, on s’est étonné par avance de la présence à la fête de la Liberté du premier des anciens colonisateurs qui se distinguèrent par leur brutalité. En Belgique, des ONG ont protesté contre ce voyage qui cautionne à leurs yeux un pouvoir congolais peu démocratique et une armée plus familière des meurtres de civils que de la défense de la nation.
Le gouvernement belge – qui autorise ou non les déplacements du roi – a pourtant fini par donner son blanc-seing. Sous condition. L’armée belge ne participera pas au défilé militaire. Albert II, tout chef des armées et général qu’il est, y assistera en civil. Mais, surtout, devant ses anciens sujets, le roi devra rester muet. Aucun discours n’est prévu.
Le fantôme de Léopold II
Ce silence forcé vise d’abord à ne pas faire dérailler une nouvelle fois une relation délicate et à ne pas remuer un passé toujours douloureux. «Cet événement, c’est avant tout les Congolais qui fêtent leur indépendance», commente-t-on, bien prudemment, à Bruxelles. La visite du roi doit permettre la reprise d’un dialogue «serein, franc et ouvert», ajoute le ministère. Suffira-t-elle à revenir sur cent cinquante ans d’histoire sanglante ?
Par sa seule présence Albert II aura bien du mal à faire oublier les exactions de sa famille. Car le Congo ne fut pas toujours belge. Avant 1908, il était officiellement depuis 1885, la propriété privée et personnelle de son aïeul Léopold II. Dans cet immense territoire, paradoxalement baptisé «État indépendant du Congo» où il ne daigna jamais se rendre, il fit régner une terreur sans nom : familles entières réduites à l’état de servage dans des plantations d’hévéas, exécutions sommaires, mains coupées en guise de châtiments…
Un enfer pour les indigènes
Le très rentable jardin de Léopold fut un enfer pour ses «indigènes». Selon l’historien américain, Adam Hochschild (1), la population a décru de la moitié dans ce «cœur des ténèbres» décrit par Joseph Conrad. Sous la pression de l’opinion internationale, Léopold II, immensément riche, finit pourtant par céder son domaine à l’État Belge.
Bruxelles n’assouplira le joug royal que pour mieux lancer les Congolais en 1914 dans une guerre absurde avec les colonies allemandes du Rwanda et du Burundi puis dans l’exploitation vorace des richesses minières. Il n’y aura que l’insurrection des Congolais en 1959 pour forcer les Belges à s’en aller.
Privé de discours, Albert II n’aura pas non plus à se demander comment gommer les mots de son frère Baudoin Ier. Il y a cinquante ans, le 30 juin 1960, jour de l’indépendance, le souverain d’alors salua à la tribune «le génie de Léopold II». Il reçut une réponse cinglante du nouveau premier ministre, Patrice Lumumba. Le monarque comme nombre de Congolais se sentirent humiliés.
L’assassinat mystérieux de Lumumba cinq ans plus tard fera de cet épisode une légende. La mort du père de l’indépendance ne sera jamais totalement expliquée. Derrière les rivalités tribales, on y voit la main des services belges et de la CIA… En 2002, une commission parlementaire belge a conclu à la responsabilité morale du gouvernement de Bruxelles et a suggéré des excuses. Elles seront faites. Sans rien vraiment changer.
Car le passé hante toujours les Congolais. Trois décennies de dictature de Mobutu, deux guerres civiles n’ont fait qu’ajouter au contentieux dans un Congo toujours loin d’être uni. Et c’est peut-être là que se trouve une troisième raison au mutisme royal. Albert II est-il aujourd’hui vraiment en position de parler d’union nationale ?
(1) « Les Fantômes du roi Léopold, » Éd. Tallandier, 2007
Par Tanguy Berthemet