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Crispations autour de la visite de Mohamed ben Salman, confirmation de l’existence d’une « chambre noire » au ministère de l’Intérieur et soupçons dans le dossier des meurtres de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi… Ennahdha est sur les dents.
Ennahdha est sur ses gardes. Le passage à Tunis, le 27 novembre, du prince héritier d’Arabie saoudite, Mohamed Ben Salman, a contribué à crisper la formation. Le parti, qui disait avoir opéré une distinction entre politique et prédication, vit comme une menace le réchauffement des relations entre la Tunisie et la maison Al Saoud, wahhabites farouches ennemis des Frères musulmans.
Le contexte international n’est plus favorable à la formation depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. « L’islam soluble dans la démocratie » n’est plus un argument vendeur auprès des Occidentaux – et de l’Europe en particulier – depuis les attentats de Paris et de Bruxelles en 2015 et 2016.
Ennahdha prend la mesure de son isolement progressif, d’autant que le Qatar a perdu de son influence et que son appui essentiel est la Turquie. Ce changement d’équilibre porte Ennahdha à la méfiance. Le parti « craint son bannissement de la sphère politique tunisienne auquel contribueraient des pressions étrangères », glisse un proche du mouvement conduit par Rached Ghannouchi.
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Depuis l’alliance concoctée avec Nidaa Tounes, parti vainqueur des élections de 2014, une sorte d’omerta avait prévalu sur la période de la troïka, lors de laquelle Ennahda avait conduit le pays en 2012 et 2013, notamment sur les affaires portant sur les assassinats des leaders de gauche nationaliste, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.
Le soutien apporté par Ennahdha au chef du gouvernement Youssef Chahed a conduit, en septembre 2018, à une rupture avec Nidaa Tounes. En particulier entre le président de la République Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi.
De vieux dossiers refont surface
Et dans cette atmosphère délétère et de grandes tensions politiques, les dossiers qu’Ennahdha croyait oubliés reviennent à la surface. Le comité de défense de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi a produit des preuves de l’existence d’un organe sécuritaire secret d’Ennahdha et de son implication dans des affaires troubles. Des éléments qui dévoilent aussi l’existence d’une « chambre noire » au sein du ministère de l’Intérieur. Un espace inaccessible où étaient déposés des dossiers sensibles. Le comité laisse par ailleurs entendre que certains juges sont sous la coupe des islamistes depuis 2012.
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Face à ces révélations, le ton monte. Les dirigeants d’Ennahdha s’énervent, dénoncent une manœuvre politique de Béji Caïd Essebsi. Ils menacent le président de la République qui, le 28 novembre, a confié au Conseil national de sécurité (CNS) l’enquête sur ce « bras secret » présumé et l’accusent d’ingérence. La loi est cependant claire : elle permet bien au CNS de traiter ce type de dossier.
Parmi les éléments à charge auxquels Ennahdha doit faire face : l’existence avérée – étayée par des témoignages, dont celui de l’un de ses dirigeants Mohamed Ben Salem – et les éléments sur les actions menées par cette branche sécuritaire occulte, dont sa participation aux attentats d’août 1987. Une vieille histoire, dont les islamistes tunisiens peinent à de défaire.
Contradictions
Ennahdha multiplie les communiqués et les discours d’intimidation, sur un ton totalement opposé à « l’attachement à la stabilité et au dialogue » qu’elle prône. La formation n’en est pas à sa première contradiction : après avoir assuré qu’elle était devenue un parti civil en 2016, elle remet désormais le référent religieux au cœur de son discours.
Certains relèvent qu’à chaque fois qu’Ennahdha est poussée dans ses retranchements, les forces sécuritaires dans la région de Kasserine sont la cible d’attaques de terroristes. Cela a notamment été le cas le 28 novembre au soir. S’il ne faut pas y voir de raison de cause à effet, cette simultanéité est pour le moins troublante.
Ennahdha qui, comme tous les partis, a perdu une large part de son électorat, va devoir rendre des comptes de sa gestion des affaires, notamment à l’Intérieur et la Justice, et assumer une responsabilité politique dans les assassinats de Belaïd et Brahmi. Un pas qu’elle n’est pas prête à franchir, tant il pourrait avoir des répercussions inattendues.
Les conditions pourraient ne pas être réunies pour la tenue des élections générales dans un an, sans compter que Youssef Chahed, qui a des ambitions politiques, devra également répondre de ce qui se déroule au sein du ministère de l’Intérieur depuis sa prise de fonction en 2016. Une situation aussi confuse que tendue dans laquelle un incident quelconque peut dégénérer en affrontements.