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Après la Tunisie et l’Egypte, bientôt le Congo ? Entretien avec l’historien Didier Gondola.


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Didier Gondola est professeur d’histoire à Indiana University (USA) et auteur d’un grand nombre d’articles et ouvrages sur l’Afrique, le Congo et la diaspora, notamment Villes miroirs: migrations et identités urbaines à Brazzaville et Kinshasa (1997), The History of Congo (2002), Africanisme : la crise d’une illusion (2007) et Frenchness and the African Diaspora (2009, co-directeur).

Alain Ngulungu est journaliste et consultant en communication basé à Kinshasa.Alain Ngulungu : Quelles explications historiques donnez-vous à la situation alarmante que traversent plusieurs démocraties africaines, notamment la Côte-d’Ivoire, l’Egypte, la Tunisie, le Gabon, la R.D. Congo et le Zimbabwe ?

Didier Gondola : Je pense d’abord qu’il faut se refréner d’utiliser le terme « démocratie » pour qualifier les régimes politiques des pays que vous venez de citer. Lorsqu’un chef d’état reste au pouvoir pendant 30 ans, il est inconvenant et incongru d’utiliser un terme, « démocratie », qui renvoie à des droits et à des devoirs élémentaires que l’on viole chaque jour dans ces pays-là. Bien évidemment chaque cas est particulier et unique, mais s’il fallait ramasser toutes ces « situations » dans une explication d’ensemble, je dirais que nous nous trouvons devant un modus operandi d’ordre néocolonial. La cassure d’avec et le dépassement de la colonisation ne se sont pas encore produits dans la majeure partie du continent. Quand vous considérez toutes les démocraties du monde, elles sont passées par une sorte de révolution, de déchirures, et de rupture avec le passé. L’Afrique fait exception. Les indépendances auraient dû singulièrement produire la rupture et constituer nos révolutions. Mais l’on sait que dans la plupart des cas, les indépendances ont été la continuation de la colonisation sous d’autres formes, notamment des formes économiques de spoliation. Ce qui se passe sous nos yeux en Tunisie, en Egypte et, espérons-le, bientôt au Congo, au Gabon, au Cameroun, etc. est de bon augure pour la naissance de vraies démocraties en Afrique. Ce que les conférences nationales souveraines n’ont pas pu accomplir, c’est ce que ces révolutions qui ragent aux portes du désert, et menacent de pénétrer au cœur du continent, peuvent apporter en terme de véritable changement de mœurs et de traditions politiques.

AN : Lors de sa visite d’Accra en 2009, le Président Obama avait déclaré que « l’Afrique a besoin d’institutions fortes et non d’hommes forts ». Mais l’on assiste à des tentatives de pérennisation au pouvoir dans certains pays, de la part de certains chefs d’état. Quelle est votre opinion sur cette dérive ?

DG : Vous savez, Obama est à la tête d’un état dont on nous dit qu’il a été fondé par des génies pour qu’il soit dirigé même par des idiots. Pourquoi ? Parce qu’il y existe des institutions qui sont au dessus des hommes. En 2000, Gore a gagné les élections, mais s’est soumis à la dure loi des institutions en acceptant le verdict de la cour suprême qui déclara Bush vainqueur. Mais en Afrique, il existe ce que j’appelle le « syndrome du sortant ». L’homme au pouvoir se confond avec l’état et ne se voit plus autrement qu’en deus ex machina. Il est au dessus de toutes les institutions et son slogan électoral, formulé avec un cran inouï par un Laurent Gbagbo, devient : « on gagne ou on gagne ! ». Au Congo, Kabila, qui est au pouvoir depuis déjà 10 ans, rêve de se pérenniser. Il a commencé d’abord par faire amender une constitution qui n’en avait pas besoin pour s’assurer la victoire au premier tour. Pour écarter son principal rival, il contemple une autre révision qui va limiter l’âge des candidats à 70 ans. Comme il n’existe pas de séparation de pouvoirs, la loi devient un instrument aux mains de l’exécutif qui en use et en abuse ad nauseam. En fait, une constitution à la carte, taillée sur mesure ! Qui ne nous dit pas que dans quelques années il fera comme Museveni en Uganda, réviser encore une fois la constitution pour lui permettre d’exercer des mandats illimités et de vieillir au pouvoir ? Les dirigeants africains, malheureusement, ne tirent aucune leçon ni de l’histoire ni du présent.

AN : Restons justement un moment sur le cas du Congo. Quel est votre sentiment sur la situation actuelle et sur l’avenir au vu de ce bouleversement constitutionnel ?

DG : Je suis assez pessimiste. Je trouve que la classe dirigeante fait preuve d’une cécité morale, d’un manque de vision et d’une vénalité sans borne. Permettez que j’utilise une métaphore assez galvaudée. Les dirigeants vivent dans ce pays comme des locataires. Ils n’ont aucun amour, ni même attachement à la « Maison Congo ». Comme ils vivent dans la maison d’autrui, ils s’acharnent sur tout : cassent les vitres, détruisent le jardin, maculent les murs de graisse et bouchent les toilettes. Le propriétaire de la maison venant rarement visiter sa demeure, ils s’en donnent à cœur joie. Le Congo vit au niveau national et politique le drame quotidien du locataire prédateur. Avant que les choses s’arrangent, il faudra d’abord se débarrasser de toute cette clique parasitique qui n’est au pouvoir que pour piller et se maintient par la terreur. On doit mettre fin à « l’État-Kuluna », à l’État voyou. Bien évidemment, je ne vais pas vous cacher mon grand désarroi à la suite du vote des deux chambres garantissant le coup d’état constitutionnel de Kabila alors que son bilan décennal est pour le moins maigre. Un « Mobutu light », comme le suggère Jeune Afrique ? Est-ce cela qui sied à un pays où des milliers d’enfants meurent chaque jour faute d’eau potable ? Le peuple congolais doit se réveiller et prendre son destin en main comme en Tunisie et en Egypte. On ne peut plus vivre comme au temps des rois fainéants où un seul homme pouvait prendre en otage et clochardiser pendant trente ans des millions de sujets. Ce temps-là est révolu. Nous sommes au 21e siècle ! Le peuple doit évincer le Président-Kuluna comme il se livre à la chasse aux Kulunas dans les quartiers. Justement parce que le Congolais est passif et amorphe, on commence même à contester le chiffre de 6 millions de morts causés par la guerre de l’est. J’ai lu un auteur rwandais qui manifeste son étonnement. Si le Congo a souffert tant de morts, s’interroge-t-il, comment se fait-il que le Congolais ne se couvre pas de sacs, ne s’asperge pas de cendre et n’entre pas en deuil ? Au contraire, on le voit boire, danser, fêter. Il n’y a pas un effort collectif pour pleurer nos morts, leur bâtir un mausolée, un musée, une stèle, enfin quelque chose. Nous ne connaissons même pas les noms de nos morts. C’est terrible ! C’est notre tragédie. Le Rwanda, lui, a su bien mieux « vendre » son génocide et exploiter la culpabilité de la communauté internationale. Ils ont, eux, des musées où les crânes des victimes sont exhibés.

AN : Revenons donc aux événements d’Afrique du Nord. Quelles leçons les Congolais peuvent-ils en tirer ? Pourquoi en Afrique subsaharienne les peuples sont si passifs devant une situation économique, politique et sociale qui est de loin plus déplorable que ce qui prévaut dans le monde arabe ? Pourquoi ce qui se passe en Tunisie serait improbable au Congo?

DG : On peut formuler la question de manière plus historique. Après les démocraties occidentales en 1968, l’Europe de l’est en 1989 (avec la chute du mur de Berlin), le monde arabe en 2011, à quand l’Afrique subsaharienne ? L’Afrique doit aussi s’approprier cet article fondamental des Droits de l’Homme de la constitution française de 1793 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». Cependant, Il y a deux choses qui militent en notre défaveur. D’abord, le Noir de manière générale possède un seuil de tolérance à la souffrance qui est trop élevé. Voilà pourquoi les Africains ont été « esclavagisés » pendant près de 400 ans et colonisés pendant 100 ans. Nous sommes le peuple taillable et corvéable à merci par excellence. Et l’Occident l’a fort bien compris, lui qui a passé plusieurs siècles à étudier notre psychologie et notre physique avant de nous asservir. Ajouter à cela que l’Africain est pacifiste de nature et a horreur de voir couler le sang, surtout son propre sang, et on se retrouve dans une situation d’impasse et d’immobilisme dont se congratulent nos dirigeants. Ensuite, La situation déplorable dont vous parlez doit justement être attribuée à l’apathie. Quand on a, on en veut plus. Et quand on n’a pas, on se contente de ce qu’on a. La misère engendre la misère, la cupidité, la corruption, l’individualisme et la haine. Observez la situation, surtout ici à Kinshasa. Le peuple kinois, jeunes, femmes, vieux, passe le plus clair de son temps à chercher son « kanga journée ». Il y a une obsession telle de manger que l’on n’a pas le temps à d’autres pensées. C’est à cela que nous a réduit une existence quasi sisyphienne. On doit également ajouter le fait que l’Occident prêche la démocratie urbi et orbi, mais en privé soutient nos dictateurs. Quand Obama, à la suite de Bush, parle d’exporter la démocratie dans le monde entier, ce n’est bien évidemment qu’un vœu pieu. Ces discours idéalistes sont taraudés d’insincérité. Washington a en fait peur que la démocratie s’installe en Egypte, au Soudan, en Iran, et, oui, même au Congo. Parce que l’Amérique s’est rendue compte que les dirigeants qui promeuvent le mieux ses intérêts sont ceux qui bafouent les droits de l’Homme et pillent les ressources de leurs pays. Comment autrement comprendre que Mobutu ait été l’homme de Washington pendant 32 ans ?

AN : Dans ce cas, le moment n’est-il pas venu, eu égard à toutes ces crises en Afrique du Nord, pour le continent de se débarrasser de la mainmise occidentale et de se tourner vers les pays émergeants du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) ?

DG : Le problème n’est pas d’échapper à l’emprise de l’Occident, car nous vivons dans un monde global, un monde interdépendant. Le problème est de nous doter de leaders patriotes, élus par le peuple et résolus à négocier avec toutes les nations du monde pour le bien-être de leur propre nation. Or, au Congo, par exemple, ce qu’on appelle les « contrats chinois » sont un nouveau Berlin. Le gouvernement congolais a bradé son patrimoine et ses richesses pour des sommes modiques et des projets dont on ne voit pas la réalisation. Ma crainte est que nous ouvrir à la Chine c’est courir le risque de remplacer un néocolonialisme par un autre. Nous devons plutôt nous inspirer du modèle BRIC pour faire face aux enjeux de notre siècle, libéraliser notre économie pour la rendre compétitive, encourager l’innovation, assurer le plein emploi à nos jeunes, et combattre la corruption. Tout cela commence par une refonte complète du système de gouvernance. Les Japonais, les Indiens, les Chinois et les Brésiliens n’en sont plus à vilipender l’Occident. Ils ont dépassé ce stade-là : ils en sont à battre l’Occident à son propre jeu.

AN : Au sein de l’Occident, on voit un pays comme la France perdre certaines de ses zones d’influences. Cela sonne-t-il le glas de la Françafrique ?

DG : La Françafrique, c’est beaucoup dans nos têtes. La France, il est vrai, perd pied en Afrique. Mais elle a besoin de nous. François Mitterrand ne disait-il pas que « la France au 21e siècle sera africaine ou ne sera pas » ? C’est tout dit. La France a besoin de l’Afrique pour continuer à exister. Elle a besoin de son ancien empire pour continuer à asseoir son influence à l’ONU, son rayonnement à travers la francophonie et pour assurer ses besoins énergétiques. Au contraire, c’est nous qui devrions être en position de force devant la France, d’autant plus que nous avons une diaspora, maintenant nombreuse en France, qui peut nous servir de société civile. Mais à quoi assistons-nous ? L’Africain a toujours un complexe vis-à-vis de la France. Ali Bongo, dit-on, vient de s’acheter un hôtel particulier à Paris pour 100 millions d’euros, un prix que même les émirs du Golfe ont refusé de payer. Paul Biya a dépensé, dit-on, plus d’un million d’euros pour des vacances à la Baule (France) en 2009. Aujourd’hui, des jeunes Africains quittent Kinshasa, Bangui, Brazzaville et marchent des milliers de kilomètres pour atteindre le Maroc et entrer en France. Développer nos économies, éduquer nos jeunes, et promouvoir nos cultures, c’est cela l’antidote contre la Françafrique. La Françafrique ne mourra pas de sa belle mort. Nous devons y mettre fin en valorisant notre essence, notre être d’Africains, nos intérêts.

AN : Finalement, si je vous comprends bien, votre bilan et pronostique pour l’Afrique sont négatifs ?

DG : Oui, je dois l’avouer. C’est parce que je doute fort que l’Afrique puisse régler son problème de gouvernance pour faire du 21e siècle le siècle du développement. Imaginez-vous que vous avez un père alcoolique, abusif, dépensier, égoïste, absentéiste, et de surcroît immoral. Quelles seraient les chances de réussite de ses enfants ? Tout commence par la bonne gouvernance. C’est elle qui donne l’impulsion à toute la société. Nous avons le Ghana, le Botswana et la Namibie pour servir d’exemples. Ils ont décollé grâce à un assainissement profond de l’appareil politique et des mécanismes de gouvernance suivis scrupuleusement. Or, si l’alternance politique n’existe pas, il y a peu de chance qu’un pays émerge.  Doit-on encore reprendre le constat de l’agronome français René Dumont qui, dans les années 1960, se lamentait que l’Afrique était mal partie ? On est bien tenté de le faire ! En 50 ans, l’Afrique a dilapidé le développement somme toute modeste qu’elle avait engrangé pendant la colonisation. Nous avons régressé dans tous les secteurs : santé, éducation, commerce, culture, infrastructures, etc. On dit que l’Africain est collectiviste, mais je vous dis moi qu’il n’y a pas plus individualiste et plus égoïste que lui. Maintenant, à tous ses péchés, il ajoute le fatalisme. Partout sur le continent, l’Africain se tourne vers l’opium du peuple et se résigne à son sort de déshérité dans une vision eschatologique démobilisatrice et contre-productive. Les choses doivent changer. Des têtes doivent tomber et abreuver l’arbre de la liberté.