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Au lendemain de la fête réussie, les ombres persistent

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Par Colette Braeckman

« Tout s’est bien passé, le pire ne s’est pas produit… » A voir le soulagement des officiels, au lendemain des festivités du 30 juin, on mesure à quel point, une fois de plus, le Congo aurait pu basculer. Basculer si les principaux invités dont le roi Albert II avaient soudain renoncé à faire le voyage, si des désordres s’étaient produits, si… Dans ce pays, les hypothèses du pire ne manquent jamais mais, une fois n’est pas coutume, elles ne se sont pas vérifiées. Plus encore, le FMI et la Banque mondiale, passant outre à l’attitude négative du Canada et de la Suisse, ont finalement reconnu que le presque mythique « point d’achèvement » était désormais atteint, que le Congo réunissait toutes les conditions requises pour que soient gommés neuf milliards de dette, sur un total de presque 13 milliards. Les 150 millions de dollars annuels qui ne seront plus versés au titre des remboursements pourront ainsi être affectés aux secteurs sociaux.les
Les points positifs de ce 30 juin ne manquent pas, amplement relevés par la presse : à la date prévue, Kinshasa était prête, les principaux chantiers ayant métamorphosé les grands axes de circulation et donné au majestueux Boulevard du 30 Juin des allures de Champs Elysées. Le discours du président Kabila et plusieurs des gestes posés ont été des gages de réconciliation : il a inauguré à Kimpwanza, une commune dont Joseph Kasa Vubu fut le premier bourgmestre, une statue à l’image du premier président du pays, il a reçu et décoré les « pionniers » c’est à dire les derniers « pères de l’indépendance » encore en vie dont Justin Bomboko. Son discours du 30 Juin fut aussi un grand moment d’ouverture, où hommage fut adressé à tous ses prédécesseurs, y compris le président Mobutu, dont fut salué le combat pour l’unité nationale et l’authenticité, cette émancipation culturelle par rapport au conditionnement de l’ère coloniale. La présence d’un aussi grand nombre d’invités étrangers a rappelé aux Congolais que leur pays pèse désormais sur la scène internationale et africaine.
Même discrète, la présence du roi Albert II fut très appréciée par la population, tandis que le président rwandais Paul Kagame fut chaleureusement applaudi. La chaleur de l’accueil qui fut réservé à l’ennemi d’hier, si souvent diabolisé, surprit tellement l’intéressé qu’il décida de passer la nuit à Kinshasa, afin d’avoir, le 1er juillet, un entretien approfondi avec le président Kabila.
L’ampleur du défilé militaire, où 15.000 hommes, vêtus d’uniformes neufs marchèrent au pas de l’oie dans un ordre impeccable provoqua la surprise générale, qui se mua en stupeur lorsque défilèrent les engins blindés, les mitrailleuses lourdes, les chenilles, les tanks et même des hôpitaux militaires en ordre de marche. Il s’agissait là d’une démonstration de force dont l’effet dissuasif n’aura pas échappé aux pays voisins tandis que les observateurs occidentaux auront eu des raisons de s’interroger sur l’efficacité de l’embargo sur les armes, toujours de mise et si spectaculairement contourné.
Chacun sait cependant que le matériel, aussi neuf, aussi puissant soit-il, n’est rien sans les hommes et qu’à plusieurs reprises déjà, armes et munitions congolaises, saisies sur le champ de bataille, ont enrichi l’arsenal des belliqueux voisins. Il faut donc espérer que s’accélère la réforme des services de sécurité, que les militaires soient correctement payés et cantonnés afin qu’ils cessent de représenter une nuisance pour la population et ne soient plus tentés de déserter lors d’affrontements.
La culture elle aussi était présente au rendez vous du 30 juin : plusieurs expositions ont été organisées et surtout le président a posé un geste très apprécié, faisant distribuer trois millions de dictionnaires Larousse, dans une « édition spéciale RDC » à 14 millions d’élèves et 470.000 enseignants.
Cependant, même si le géant se redresse, ainsi que le proclament les grands panneaux apposés aux carrefours de la ville, il garde des pieds d’argile. Le désordre dans lequel les militants du parti PPRD ont défilé en courant, en criant comme des drogués ou des shege (enfants des rues) atteste que le pouvoir, à tous les niveaux, doit mettre de l’ordre dans ses rangs. La bagarre pour les chaises, qui clôtura le défilé démontre aussi à quel point la population pauvre, mal canalisée, demeure capable de déborder les services d’ordre.
Mais là n’est pas le plus important : ceux qui croient que l’affaire Chebeya a été étouffée par les flonflons de la fête et que la mesure de suspension frappant le général Numbi est suffisante se trompent lourdement.
Non seulement les organisations internationales des droits de l’homme n’ont pas relâché leurs pressions sur le pan international, mais le doute continue à miner l’opinion congolaise, à ternir son appréciation du régime. Cette affaire est loin d’avoir révélé tous ses secrets et on ne peut que souhaiter que de enquêteurs internationaux contribuent à faire la lumière, en toute impartialité. Malgré le discours du chef de l’ Etat, qui a promis de respecter l’état de droit, d’aller aux élections en 2011 comme prévu, journalistes et activistes des droits de l’homme continuent à se sentir inquiets, un sentiment aggravé encore par l’assassinat d’un autre militant des droits de l’homme à Beni, tué à bout portant par des hommes armés.
En outre, malgré les objurgations des organisations internationales et les promesses du pouvoir, le « climat des affaires » est tout sauf transparent et serein : la société canadienne First Quantum, qui a recouru à un arbitrage international pour défendre ses investissements au Katanga a été évincée au profit de Metalkol, une société inconnue sur la place, dont Highwinds Properties, enregistrée aux îles Vierges et qui a toutes les allures d’un prête nom, est le principal actionnaire avec 70% des actions. Tout aussi problématiques sont les contrats passés à propos du pétrole de l’Ituri, contestés par la société civile locale. Ici aussi une société connue, comme l’écossaire Tullow et qui avait déjà réalisée les premiers forages a été évincée au profit d’une nouvelle venue inconnue sur le marché et sans expertise dans le domaine…
Tout cela confirme le sentiment d’un pouvoir « à double fond » où les uns, sur le devant de la scène, multiplient les promesses et récoltent de réels succès, tandis que dans l’ombre, d’autres engrangent les bénéfices d’une économie mafieuse et, peut-être, n’hésitent pas à supprimer leurs contradicteurs…Dans un proche avenir, la main droite l’emportera-t-elle sur la main gauche ? La renaissance du Congo en dépend…