Loin du Pacifique, à 200 km à l’intérieur des terres, Centralia déploie fièrement ses deux icônes : le volcan et la centrale. De la route 507, on arrive à saisir les deux dans la même photo. Au premier plan, en plein champs, la centrale au charbon, monumentale, avec ses trois cheminées. Au fond, le mont Rainier (1 950 m) et son chapeau conique déjà saupoudré de neige.
La fumée de l’usine est visible des kilomètres à la ronde. Dans le ciel bleu de l’après-midi, quand le brouillard s’est dissipé et laisse éclater les couleurs d’automne, le nuage est d’un blanc immaculé. « On avait l’impression qu’on avait la centrale la plus propre du pays », relate le machiniste Bob Guenther, qui y a travaillé pendant trente-quatre ans.
Quand ils apercevaient la fumée, depuis l’autoroute Seattle-Portland, les habitants étaient rassurés. « Ça voulait dire qu’on travaillait », dit l’ancien ouvrier. « La pollution relâchée dans l’atmosphère était très minime », insiste Ron Averill, le délégué du Farm Bureau, l’association qui représente 330 exploitations agricoles du comté.
Le changement était inéluctable
La fierté a cédé la place à l’anxiété. Aux termes d’un accord sans précédent avec les écologistes, les syndicats et les autorités locales, la compagnie canadienne Transalta, propriétaire de l’installation, a accepté en 2011 de fermer la centrale – le premier pollueur de l’Etat de Washington, avec quelque 10 % des émissions. Quatre-vingt-huit ouvriers vont partir en 2020 ; 110 avant 2025.
Bob Guenther est arrivé en retard au rendez-vous au Country Cousin, un restaurant dont la spécialité est le bœuf braisé couvert de gravy (sauce) et le bloody mary au bacon. Il devait dépecer un cerf que son ami Dennis avait chassé la veille : le premier gibier de la saison. Chemise rayée, pantalon à bretelles, Bob porte une casquette à l’effigie du syndicat International Brotherhood of Electrical Workers. L’une…