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-Construit à Reims en 1924 pour rendre hommage aux tirailleurs sénégalais, démonté en 1940 par l’armée allemande, le monument « Aux héros de l’Armée noire » – ou du moins sa réplique – a finalement été réinstallée en novembre 2013 dans la capitale champenoise. Retour sur une saga où l’argent, la justice et la politique se heurtent à l’histoire.
1924 – La Grande Guerre a pris fin six ans plus tôt. A Bamako, un monument est inauguré le 3 janvier à la gloire des combattants africains de l’armée française. Baptisé « Aux héros de l’Armée noire », il est l’œuvre du sculpteur Paul Moreau-Vauthier et doit son édification au comité présidé par le général de division Archinard, ancien commandant supérieur du Soudan français. Cette sculpture imposante représente quatre soldats noirs le corps penché vers l’avant encadrant un militaire blanc qui brandit le drapeau tricolore.
Un deuxième exemplaire est inauguré à Reims en juillet de la même année. « La défense de Reims et l’un des faits de gloire des tirailleurs africains », indique le général à la retraite Jean-Marie Lemoine, ancien président de l’AMAN (Association pour la mémoire de l’Armée noire). « Ces monuments jumeaux sont le symbole de l’amitié franco-africaine, née des souffrances partagées dans les tranchées », analyse le général.
Disparition
1940 – L’armée du Reich fond sur la France. Reims, qui avait résisté à l’offensive vingt-deux ans plus tôt, est conquise. Le monument « Aux héros de l’Armée noire » est démonté par les soldats allemands, embarqué à bord d’un train – des photos prises par un agent SNCF en témoignent – et envoyé vers une destination inconnue.
Sur ce vol, les interprétations divergent. Certains évoquent une volonté d’effacer les souvenirs de la Grande Guerre lorsque les tirailleurs faisaient des chapelets d’oreilles prélevées aux combattants ennemis pour prouver à la France qu’ils avaient bien travaillé. D’autres avancent un besoin en matière première et la possibilité de faire fondre le bronze de la statue, ou encore le souhait d’Hitler d’organiser en Allemagne une exposition sur la dégénérescence de la France que le monument aurait pu illustrer. « En 1940, les Allemands considèrent les Noirs de l’armée française de la même façon qu’en 1917 : ils les voient comme des sous-hommes, ils ne les reconnaissent pas comme des soldats », rappelle le général Lemoine.
Au lendemain de la Première Guerre, la présence de tirailleurs dans les rangs français avait rendu pour l’Allemagne la défaite encore plus cinglante. Une propagande nauséabonde, « die schwarze Schande » (« la Honte noire ») avait été développée. En 1940, pendant la débâcle française, les combattants faits prisonniers par les soldats du Reich sont parfois séparés en deux groupes. D’un côté les Blancs, de l’autre les Noirs, qui sont massacrés. On estime à 3 000 le nombre de soldats africains tombés ainsi sous les balles allemandes. L’un des exemples les plus marquants est celui du bois d’Eraine en juin 1940 où plusieurs dizaines de tirailleurs sont exécutés.
Les années passent. A Reims, le socle sur lequel reposait la statue en bronze reste désespérément vide. Il faut attendre 1963 pour qu’un nouveau monument, en partie financé par l’Allemagne, voie le jour. C’est une sculpture sobre, composée de deux colonnes de pierre réunies en une flèche pointée vers le ciel. Seule la mention « La France et la Ville de Reims aux soldats africains tombés pour la défense de la liberté » gravée à ses pieds rappelle le sacrifice des tirailleurs. L’année précédente, la réconciliation franco-allemande a été officialisée par une rencontre, à Reims, entre le général de Gaulle et le chancelier Adenauer.
Une reconstruction difficile
2009 – Dans le cadre de la Francophonie, il est décidé de la création d’une association, l’AMAN. Elle a pour mission « l’approfondissement de l’histoire et le développement de la mémoire des troupes coloniales d’origine sub-sahélienne » et « notamment la réalisation de la statue dédiée aux ‘Héros de l’Armée noire’ ». Cette entreprise est menée en partenariat avec la Ville de Reims dont la maire PS de l’époque, Adeline Hazan, en avait fait l’un des thèmes de sa campagne électorale. Prévue initialement pour les célébrations du 90e anniversaire de l’armistice du 11-Novembre, la reconstruction est repoussée à 2010.
Mais sa mise en œuvre se heurte à de nombreux écueils. Ils sont d’abord financiers. Dans un article publié sur RFI en 2010, Eric Deroo, président de l’honneur de l’AMAN, évalue le coût de la reconstruction « de 700 000 à 1 million d’euros ». Ce sont aussi des dissensions au sein même de l’AMAN. Le général Jean-Marie Lemoine, élu en 2012 à la tête de l’association pour relancer le projet, mentionne ainsi des « rivalités » internes. Ce sont enfin des écueils judiciaires. La réalisation du monument, sur le modèle de celui de Bamako, a été confiée à Jean-François Gavoty. La Ville de Reims est alors confrontée à deux plaintes, l’une au pénal déposée par un candidat à l’appel d’offre qui l’accuse de favoritisme, l’autre par l’association de protection de l’œuvre de Moreau-Vauthier contre Jean-François Gavoty, qui estime que la copie dénature l’ouvrage original.
Aujourd’hui à la mairie – passée à droite en mars dernier –, on se dit « désolé » par ces procédures qui retardent l’inauguration du monument. « On attend de connaître la décision de justice. On ne peut pas inaugurer une sculpture au centre d’une affaire pour contrefaçon », explique ainsi Pascal Labelle, adjoint à la Culture. Réinstallée à Reims le 8 novembre 2013, la statue « Aux Héros de l’Armée noire » a été placée provisoirement dans un parc de la ville. Pour son inauguration, la Ville souhaiterait inviter les pays qui ont participé à la « force noire ». Mais pour l’heure, on attend.
RFI