Source: Congo Libre
Dans une interview accordée mercredi 11 août à radio Okapi, Abbé Apollinaire Malu Malu s’est expliqué sur le calendrier électoral publié par la CEI laquelle n’a plus d’existence légale après la promulgation de la loi créant la CENI. En fait d’explications, Malu Malu a dit des contre-vérités sur un ton arrogant qui dissimule mal une certaine mauvaise foi. L’attitude du président de l’ex-CEI confirme que la RD Congo se trouve plus que jamais sous la coupe d’une bande de «voyous d’Etat». Des voyous qui ont pris le contrôle de tous les rouages de la République y compris la plus haute juridiction du pays.
Deux questions posées par la radio Okapi méritent qu’on s’y attarde. La première :
La CEI publie le calendrier électoral pour 2011 alors que la loi sur la CENI a déjà été promulguée. N’est-ce pas une entorse ? Réponse de Malu Malu :
«Vous êtes entrain toutes les fois de parler de cette loi sur la CENI, mais je vous invite à la lire. Parce que vous n’allez pas chaque fois, évoquer une loi que vous n’avez même pas lue. Cette loi, dans ses dispositions, si vous lisez à son article 55 indique que les membres de la CEI restent en fonction jusqu’à l’installation effective des membres de la CENI. En ce qui nous concerne, je pense que les institutions publiques fonctionnent dans le principe de la continuité de l’Etat.»
La légalité
«La légalité est la qualité de ce qui est conforme à la loi», disent les juristes. Il s’agit nullement de faire du juridisme. Ce juridisme aride que les Occidentaux reprochent généralement aux politiciens congolais. Il s’agit de dénoncer un phénomène qui se développe dangereusement au Congo dit démocratique. On assiste de plus en plus dans ce pays à une tendance malsaine consistant à faire passer l’«illégalité» pour de la «légalité» chaque fois que les intérêts de Joseph Kabila et ceux des membres de la nomenklatura sont en jeu. Le calendrier électoral publié par Malu Malu est parfaitement hors-la-loi. Illégal.
D’abord parce que l’alinéa premier de l’article 211 de la Constitution promulguée le 18 février 2006 stipule en termes sans équivoques qu’ «Il est institué une Commission électorale nationale indépendante dotée de la personnalité juridique.» Ensuite, la CEI devait cesser ses activités «de plein droit» après l’installation du Parlement, conformément au deuxième alinéa de l’article 222. C’est-à-dire au mois de mars 2007. Au plus tard.
Deuxième question : Certains analystes estiment que la CEI ne devrait qu’expédier les affaires courantes et non poser de nouvelles actions?
Réponse : «Où est-ce que vous avez tiré cela ? C’est écrit où ? Dans quelle loi ? Vous avez suivi qu’il y a eu des réunions interinstitutionnelles. Vous suivez aussi que nous avons eu ici des réunions très importantes avec les Nations Unies. Vous pensez que tout ce monde là, donc les Nations-Unies, les institutions de la République, donc tout ce monde là, quand ils se réunissent, c’est pour vouloir simplement créer l’arbitraire, violer les lois ?»
La Cour suprême de Justice
C’est ici que Malu Malu sort son «arme fatale» en ajoutant avec sa morgue habituelle : «Mais puisque nous sommes en démocratie, à la limite si quelqu’un pense que la CEI aurait violé une quelconque loi, mais tout citoyen peut saisir la Cour Suprême de Justice, c’est elle qui a le pouvoir d’interpréter les lois. Si elle en décide autrement, la CEI va se plier. Je pense que les gens ne doivent pas se laisser désabuser au-lieu de se préparer réellement à toutes ces grandes échéances électorales.»
Pour donner un semblant de «légalité » à «son» calendrier électoral, “Monsieur l’Abbé” s’appuie notamment l’Arrêt de la Cour suprême de justice n° R. Const. 055/TSR du 27 août 2007. Cette décision de la plus haute juridiction de la RD Congo, agissant en tant que Cour constitutionnelle, a été prise à la requête «en prolongation du mandat de la CEI» rédigée et introduite par l’Abbé Malu Malu en sa qualité de président de la CEI. Le requérant invoque deux arguments. Primo : «La CENI n’est pas encore instituée conformément à l’article 211 de la Constitution». Secundo : «L’Assemblée nationale en place n’a pas encore reçu et adopté le rapport général de la CEI, conformément à l’article 39 de sa loi organique.» Un rapport général qui est attendu depuis trois ans. «Nul n’est entendu invoquant ses propres turpitudes», fait remarquer le juriste congolais Didier Nkingu. Il relève au passage que l’article 161 de la Constitution ne reconnaît guère au président de la CEI la qualité pour saisir la Cour constitutionnelle en matière de contentieux, d’interprétation de la Constitution ou de conflit de compétence. Cette faculté revient au président de la République, au gouvernement, au président du Sénat, au président de l’Assemblée nationale, au dixième des membres de chacune des Chambres parlementaires, des gouverneurs de province et des présidents des assemblées provinciales. «La Constitution actuellement en vigueur en RD Congo n’a pas prévu des dispositions transitoires pour la CEI, souligne Nkingu. Par conséquents, tous les actes posés par la CEI après l’installation du Parlement sont nuls.»
Didier Nkingu s’est par ailleurs dit «stupéfait» par la complaisance affichée par les magistrats de la Cour suprême de justice face à cette requête. «Ces magistrats se sont comportés comme comme un médecin qui veut ressusciter un homme décédé», dit-il. Ajoutant : «La décision prise par cette haute cour constitue une honte pour la Justice congolaise. Les élections à venir sont mal parties quand on sait qu’il incombe à la Cour suprême de justice de statuer en matière de contentieux électoral…»
On ne peut que comprendre le dédain affiché par Malu Malu à l’égard de ses détracteurs lorsqu’il invite ceux-ci à saisir la Cour suprême de justice où siègeront, toutes chambres réunies, les mêmes magistrats qui ont eu à examiner sa requête. Qui sont ces magistrats? Il s’agit du président Kalonda Kele Oma et des conseillers Lumuanga wa Lumuanga ; Kikunguru Katomanga ; Bemwenzi Kienga (promu depuis premier président de la Cour suprême de justice) ; Lilolo Mangope ; Tshimanga Mukuibayi et Ngoie Kalenda.
Ingérences étrangères
Quarante-huit heures après la publication de «son» calendrier électoral, Abbé Apollinaire Malu Malu, président de la défunte Commission électorale indépendante (CEI), a lancé, mercredi 11 août à Kinshasa, ce qu’il appelle «le cadre de concertation et de vulgarisation du nouveau calendrier électoral avec les forces vives de la RDC». On se demande bien la base juridique sur laquelle il s’est fondé pour poser cet acte. Il clair que le président de cette ex-institution d’appui à la démocratique a décidé de défier l’opinion en persistant non seulement dans l’erreur mais surtour dans l’anti-constitutionnalité.
Cet esprit frondeur est apparemment «stimulé» par la «communauté internationale». On apprend ainsi que l’ex-CEI a, au plan logistique, «travaillé avec le département en charge des élections aux Nations unies» à New York. Une délégation onusienne a effectué récemment une visite de travail à Kinshasa. Que dire de la déclaration faite, vendredi 12 août, par Susan Page, la sous-secrétaire d’Etat adjoint US aux Affaires africaines chargée de l’Afrique Australe? «Nous sommes content que le calendrier ait été élaboré et publié. Nous notons le fait qu’ils ont inversé ce calendrier, parce que les élections au niveau de la base devraient avoir lieu avant la présidentielle. Mais, ( …), nous sommes content qu’il ait été élaboré. Deuxièmement, nous allons contribuer à soutenir le processus électoral, y compris avec le soutien que nous apportons à la Monusco (…).» Une ingérence pour le moins inadmissible. Dieu seul sait les conséquences dramatiques que les interférences étrangères ont engendré et continuent d’engendrer dans ce pays. Et ce, depuis le lancement du pluralisme politique en avril 1990. Les politiciens américains accepteraient-ils chez eux un calendrier électoral élaboré par une institution non habilitée et dont l’impartialité est sujet à caution?
Résister aux intimidations de la «communauté internationale»
En tous cas, le calendrier publié par l’ex-CEI a été accueilli par une volée de bois verts. Un mot revient comme un credo : «Anticonstitutionnel». A titre d’illustration, l’association de défense des droits humains «Asadho» traduit un peu l’avis général en estimant que «ce calendrier électoral viole manifestement les articles 70 et 73 de la constitution qui disposent respectivement que ” le président de la République est élu au suffrage universel direct pour 5 ans renouvelable une seule fois ” et que ” le scrutin pour l’élection du président de la République est convoqué par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), 90 jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice.” L’Asadho demande à l’Assemblée nationale de «procéder rapidement à la mise en place des organes de la CENI (…)» et «invite la communauté internationale et la Monusco de soumettre tout soutien logistique, financier et matériel au processus électoral au respect des dispositions constitutionnelles en matière électorale.» Des représentants des forces politiques ne disent pas autre chose. Jean-Claude Vuemba, député national (Opposition) «dénie à la CEI la prérogative de publier ce calendrier puisque la loi sur la Commission électorale nationale Indépendante (Ceni), est déjà promulguée». «C’est un calendrier qui n’engage que les quatre ou sept membres de la CEI», a-t-il martelé ajouté. Au nom de la plate-orme «Union pour la Nation», le député national Clément Kanku Bukasa wa Tshibuabua a fustigé la “violation de la Constitution”.
Il faut espérer que les forces politiques et sociales ne se laisseront guère impressionner tant par les contre-vérités de Malu Malu que les tentatives d’intimidation de la très nébuleuse «communauté internationale».