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Par Muriel Devey, envoyée spéciale à Kinshasa (J A)
Kinshasa demeure l’Eldorado de la plupart des jeunes Congolais.
Avec l’annulation de la dette et les signes de reprise de l’économie mondiale, le pays renoue avec une forte croissance. Mais le gouvernement saura-t-il, enfin, tenir ses engagements de réformes ? L’économie congolaise profite-t-elle d’un effet « annulation de la dette » ? On pourrait le croire, après les dérives de ces deux dernières années de crise : inflation de 48,7 % en 2009, forte dépréciation du franc congolais, qui a perdu 45,2 % de sa valeur l’an passé, dette extérieure estimée à 93 % du PIB, chute des exportations en raison de l’effondrement des cours du cuivre, du cobalt et du diamant… Depuis le mois de janvier, le scénario a presque changé du tout au tout. De manière approfondie ? Les prochains mois le diront.
L’annulation, le 1er juillet, par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, d’un total de 12,3 milliards de dollars (environ 9,6 milliards d’euros) de dette, a contribué à mettre un terme à la surchauffe de l’économie. La croissance du PIB est attendue à 6 % en 2010. Un soulagement, après les 2,7 % de 2009. « C’est clair, il y a une stabilisation de l’économie. L’inflation, par exemple, est retombée à 9 % en moyenne depuis le 1er janvier », souligne Jérôme Roux, attaché économique et commercial à l’ambassade de Belgique à Kinshasa. « Le franc congolais s’est lui aussi stabilisé depuis trois mois, à 900 francs pour 1 dollar », complète Jérôme Sekana, patron de l’agence de presse Galaxie Médias, spécialisée en économie.
Le pays aura attendu sept ans pour atteindre le point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), le sésame qui lui a permis d’effacer 90 % du « stock » de sa dette extérieure. Un énorme ballon d’oxygène pour les finances publiques, mais une chance unique que la RD Congo ne doit pas gâcher si elle veut, enfin, faire décoller son économie si prometteuse. C’est visiblement le pari du nouveau ministre des Finances, Matata Ponyo Mapon. Le 31 août, il lançait le plan stratégique de la réforme des finances publiques.
Mais le gouvernement sait qu’il doit aller vite. Et pas uniquement pour que le président, Joseph Kabila, soit réélu en 2011. L’opinion publique est impatiente. Certes, le PIB par habitant et par an est passé de 220 dollars en 2001 à 322 dollars aujourd’hui. Mais il est bien inférieur à la moyenne de 1 373 dollars en Afrique centrale. « Les Congolais sont déjà déçus, explique un entrepreneur. Ils pensaient que les 15 millions de dollars que le pays versait chaque mois aux bailleurs de fonds pour rembourser la dette extérieure seraient immédiatement reversés dans l’éducation et la santé et sous forme de hausses des salaires ou de redistribution de l’argent à la population. »
Une conjoncture favorable
Heureusement, le pays est servi par la conjoncture. La croissance du PIB devrait dépasser les 5 % pour les trois à quatre prochaines années. Portées par la remontée des cours, les mines tirent l’économie. Les productions de cuivre et de cobalt, respectivement attendues à 450 000 et 60 000 t cette année, feront un bond historique en 2011. D’autres secteurs sont dynamiques, comme le BTP – dopé par les chantiers d’infrastructures et de construction immobilière – ou le commerce de gros et de détail – grâce au retour de la confiance et à l’avancée de la paix. Et le tertiaire (télécoms, banques) prend son essor. Avec Vodacom et Bharti en tête des opérateurs, suivis de Global Broadband Solution, Microcom et iBurst Africa, la fourniture d’accès à internet est en pleine expansion.
Reste à savoir si le pouvoir persuadera l’opinion publique que ces « bonnes » perspectives auront un réel impact sur leur niveau de vie. Dans le dernier classement de l’indice de développement humain du Programme des Nations unies pour de développement (Pnud), la RD Congo arrivait 176e sur 182 pays. Ce n’est un secret pour personne : le développement économique profite surtout à une poignée de Congolais, notamment à ceux qui gravitent dans les sphères du pouvoir. Pour ceux qui avaient espéré un changement à la présidentielle de 2006, les déceptions ne manquent pas, tant le gouvernement de Joseph Kabila n’a guère tenu ses promesses de campagne.
Programme en cinq piliers
Dans un courrier adressé au FMI le 30 novembre 2009, le Premier ministre, Adolphe Muzito, reconnaissait que le programme du candidat Kabila, fondé sur une « stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté », n’avait « pas encore atteint ses objectifs ». « Une stratégie, poursuivait-il, qui s’articule autour de cinq piliers : promouvoir la paix et la bonne gouvernance, consolider la stabilité macroéconomique et promouvoir la croissance, améliorer l’accès aux services sociaux, lutter contre le sida, et promouvoir la participation proactive de la communauté. »
Le programme prévoyait la construction de logements sociaux. Ce sont surtout des immeubles de grand standing qui fleurissent sur le terrain. Un secteur dominé par des opérateurs locaux, dont les groupes Achour, Congo Futur, Klat International Matériaux, Orgaman, Utexafrica, ainsi que par quelques promoteurs étrangers, tels que Hawkwood Property Investment et l’émirati Rakeen. À l’inverse, la situation s’est aggravée en matière de logements sociaux en 2009. « Le déficit annuel de logements a franchi la barre des 240 000 », selon la Banque mondiale.
La création d’emplois, autre volet des cinq chantiers, est limitée. Pas de quoi réduire le chômage. Les mines ont réembauché, après avoir licencié quantité de travailleurs en 2009, et quelques secteurs – télécoms, banques, transport, hôtellerie et BTP – recrutent, mais à petites doses. Dans bien des cas, les salaires sont bas, en moyenne 100 dollars par mois, et les périodes d’essai non rémunérées souvent renouvelées.
Outre les promesses non tenues, la population est très méfiante à l’égard de ses dirigeants, qu’elle juge corrompus. « Même la Cour suprême de justice, censée être “le” recours, est gangrenée », note Albert Yuma, président de la Fédération des entreprises du Congo (FEC), dans un mémorandum adressé le 23 juillet au Premier ministre. Et l’opération « Tolérance zéro », lancée par le chef de l’État pour dénoncer la corruption, est davantage un slogan qu’une réalité.
Loin d’être subjugués par les indicateurs macroéconomiques, les chefs d’entreprise fustigent le mauvais climat des affaires. « On perd son énergie à lutter contre les tracasseries, on ne sait plus qui est qui, tout le monde est un petit chef », confie un patron qui préfère garder l’anonymat. Dans son mémorandun, Yuma passe en revue les secteurs touchés par la violation des lois et dénonce la hausse ou la multiplication des taxes et des redevances, liées à la prolifération des intervenants et des centres de décision.
L’opacité a repris ses droits
Un peu d’ordre et de transparence avaient été mis dans les mines avec la « revisitation » des contrats, engagée en avril 2007. Au total, 57 contrats et 6 conventions ont été revus, 39 maintenus et 12 résiliés. Mais le différend porté devant la cour d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale de Paris par le groupe minier canadien First Quantum contre l’État congolais laisse planer un doute sur l’impartialité des revisitations. D’autant que l’opacité a repris ses droits, y compris dans le secteur pétrolier. Deux contrats de partage de production portant sur les blocs 1 et 2 du graben Albertine ont été attribués aux sociétés Caprikat et Foxwhelp, basées dans les îles Vierges britanniques. C’est dans ce paradis fiscal qu’est aussi installé le siège de Highwinds Properties, la société à qui l’État vient d’attribuer l’exploitation de la mine de cuivre et de cobalt de Kolwezi.
Plus généralement, c’est le manque de vision d’ensemble et de prospective qui inquiète. Aucune réflexion sérieuse n’est engagée sur l’après-mines. Décrétée prioritaire, l’agriculture n’est pas traitée comme telle. « On compte sur les financements des partenaires extérieurs », souligne un opérateur de la filière. Même bricolage dans les infrastructures. Le réseau routier reste très insuffisant. L’aérien est le plus utilisé, mais ses tarifs sont très élevés. L’énergie et le crédit à l’économie sont d’autres handicaps. Obnubilées par le court terme, la vingtaine de banques commerciales présentes en RD Congo, contrôlées pour moitié par des locaux, sont incapables de financer les entreprises.
Face à cette politique erratique, d’aucuns s’interrogent : « On ouvre des brèches à quelques individus qui s’enrichissent rapidement », soulignait récemment Michel Nsomwe, le président de la Fédération nationale des petites et moyennes entreprises congolaises (Fenapec). À un an de la présidentielle, la campagne s’annonce animée.