-Bout de phrase oublié au sujet du mandat présidentiel
John Kerry : ” …nous croyons qu’on n’impose pas de limitations “
Ce bout de phrase est dans le dernier paragraphe de la réponse à la question du journaliste de l’Afp. Rendu textuellement, ce paragraphe est ainsi formulé :” Bien-sûr, nous croyons qu’on n’impose pas de limitations. Nous avons des limitations des mandats dans notre pays, nous avons vécu ce processus pendant des siècles et nous encourageons d’autres pays de respecter leurs constitutions“. Il a le mérite de clôturer l’unique conférence de presse tenue par le secrétaire d’Etat américain à l’étape kinoise de son périple africain le 4 mai 204. On est bien en droit de se demander pourquoi John Kerry a fini par y faire allusion alors que rien ne l’y obligeait, et encore pour quelles raisons l’attention des faiseurs d’opinion a vraisemblablement été détournée du suggestionnemment…
La trentaine de journalistes congolais et la dizaine de leurs confrères étrangers présents dans la salle des conférences de l’imposante tour de verre construite par les Français sous Mobutu qui l’a laissée à l’abandon, transformée en hôtel de luxe par les Chinois sous Joseph Kabila dans le cadre des 5 Chantiers, ont entendu le secrétaire d’Etat américain leur apprendre ou leur rappeler les échéances électorales qui vont se dérouler en Afrique en 2015 : une quinzaine pour la présidentielle, une trentaine pour les législatives.
“C’est pourquoi chaque élection est tout à fait critique et importante. Il est important que chaque peuple puisse savoir en quoi consiste ce processus, que le peuple ait confiance envers ce processus. Et la position des Etats-Unis est tout à fait claire : nous pensons que les élections doivent être libres, équitables, ouvertes, transparentes et comptables. Plutôt le processus sera annoncé, plutôt la date sera-t-elle fixée, plutôt les gens auront la possibilité de participer (….). Nous pensons que cela doit être fait en conformité avec le processus constitutionnel de la nation“. Telle est la réponse de John Kerry à la première des deux questions posées au cours de cette conférence par Radio Okapi et l’Afp.
En focalisant sa réponse sur les échéances de 2015 alors que la question portait sur la révision constitutionnelle faisant actuellement débat, John Kerry a semblé dire aux Congolais que le sujet n’est pas à l’ordre du jour. D’ailleurs, même dans sa réponse à la seconde question portant sur la sécurité à l’Est et sur le processus électoral en RDC, il va faire montre de rectitude en s’abstenant d’utiliser formellement ce terme.
A analyser les déductions et les réactions faites par des faiseurs d’opinion, une question interpelle tout analyste avisé : à quoi aurait servi son séjour congolais si l’homme d’Etat américain s’était limité à parler paix et stabilité à l’Est, sans rien dire des élections ?
Pourtant, à ce jour, ce processus est un facteur secondaire comparé au facteur principal de la paix et de la stabilité, d’autant plus qu’à mi-mandat, tous les acteurs politiques et tous les activistes de la Société civile savent que le respect ou non de la Constitution tout comme la fixation ou non du calendrier électoral n’ont aucun sens dans un pays privé de paix et de stabilité.
Au demeurant, dans les 15’49 chrono de son intervention (mot d’introduction et réponses aux questions des journalistes), John Kerry a plus parlé de sécurité que d’élections. Il a mis l’accent plus sur l’application de l’Accord cadre d’Addis-Abeba par tous les protagonistes et sur l’action concertée Fardc-Brigade internationale de la Monusco menée contre le M.23, l’Adf-Nalu, les Fdlr et les autres groupes armés que sur le processus dit constitutionnel.
O Afp ! O Rfi, après Jeune Afrique…
Au fait, par quoi peut-on expliquer l’emballement qui s’est saisi des médias ?
A l’origine, il y a la tricherie à laquelle s’est livré le journaliste Saul Loeb de l’Agence france presse (Afp), premier à mettre en ligne à 11:41 la dépêche intitulée “ RDC: WASHINGTON DEMANDE À KABILA DE NE PAS SE REPRÉSENTER EN 2016“. Il fait dire au secrétaire d’Etat américain cette phrase : ” Le président de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila, doit respecter la Constitution de son pays qui lui interdit de briguer un nouveau mandat en 2016“. Pourtant, John Kerry ne l’a pas prononcée. Il en a plutôt appelé au respect du processus constitutionnel.
Sous l’avant-titre “URGENT”, Rfi a fait sa manchette avec le titre ” RDC : A Kinshasa, John Kerry juge que le président Joseph Kabila doit respecter la Constitution et ne pas briguer un nouveau mandat“. Et de citer la phrase intégrale : ” «Je crois que le président Kabila a clairement en tête le fait que les Etats-Unis d’Amérique sont intimement convaincus que le processus constitutionnel doit être respecté“. La chaîne a précisé que cette déclaration a été faite par “ le secrétaire d’Etat américain, John Kerry à l’issue d’une rencontre avec Joseph Kabila à Kinshasa, ce dimanche 4 mai“. Et d’ajouter : “La Constitution de la RDC interdit à Joseph Kabila de se présenter à la prochaine élection présidentielle pour briguer un nouveau mandat“. Elle ne lui a donc pas attribué cette phrase.
Mais, curieusement, dans tous ses journaux Afrique du dimanche 4 mai et du lundi 5 mai à 4h30, elle a mis à son tour ces propos dans la bouche du secrétaire d’Etat avant de l’attribuer, dans le journal de 5h30, à Russ Feingold, envoyé spécial des Etats-Unis pour la région des Grands Lacs ! Il s’est probablement passé quelque chose à la rédaction de la chaîne mondiale pour en arriver à ce subtil rectificatif qui n’est pas sans rappeler la “gaffe” de Jeune Afrique avec l’interview de Kagame la veille de la journée commémorative du génocide rwandais. A Apf et à Rfi, on sait bien que Hollande attend Kabila à l’Elysée !
Silence…d’or !
Qu’à cela ne tienne ! Dans le mélodrame qui se joue dans l’espace médiatique, un bout de phrase semble condamné à l’oubli. Un bout de phrase qui en dit pourtant long sur la question – voulue d’actualité – de la révision constitutionnelle.
Dès lors que chacun est désormais libre d’y aller avec son interprétation, le débat pourrait maintenant se focaliser sur ce que Washington entend par ” …on n’impose pas de limitations” quand bien même les Etats-Unis reconnaissent avoir “vécu ce processus pendant des siècles” et encouragent “ d’autres pays de respecter leurs constitutions“.
A ce sujet, on devrait se demander pourquoi les Américains ménagent-ils les autres Etats africains, pourtant résolument engagés dans la voie de “délimitation” des mandats, alors qu’ils semblent plutôt exigeants à l’égard de la RDC pendant que le Président Joseph Kabila ne s’y est jamais formellement prononcé ?
A dire vrai, on veut sortir le Raïs de ce qui dérange tous ses adversaires politiques de l’intérieur et de l’extérieur, voire certains de ceux qui se disent ses proches : le silence. On veut le pousser à la faute.
Leadership sûr et mûr
Or, bien que de la nouvelle génération, Joseph Kabila a conscience du “respect” d’une tradition instaurée depuis le 24 avril 1990 avec l’enclenchement du processus démocratique. Effectivement, voici près d’un quart de siècle que les Congolais continuent de faire exactement ce que la communauté étrangère attend toujours d’eux en pareille circonstance : la confirmation du maternage.
Il savait qu’en séjour à Kinshasa les 3 et 4 mai 2014, le secrétaire d’Etat devrait avoir du mal à manager son propre calendrier, tellement que tout ce que Kinshasa compte de leaders d’opinion tenaient à l’approcher pour accuser et diaboliser les tenants du Pouvoir. Ainsi, certains ont cherché à le voir pour lui réclamer la tenue du dialogue national, comme si les Concertations nationales de 2013 – dont la cérémonie de clôture avait été rehaussée de la présence de la délégation du Conseil de sécurité des Nations Unies – n’en était pas un; d’autres – se prétendant du milieu du village et passant pour indépendants et neutres – ne pouvaient que saisir l’occasion pour revendiquer unilatéralement l’alternance politique, entendez la victoire impérative de l’Opposition aux élections de 2016, sans justifier le pourquoi de la défaite tout aussi impérative à infliger à la Majorité.
L’homme d’Etat américain ne pouvait finalement que s’en rendre compte : 54 ans après l’accession de la RDC à la souveraineté nationale et internationale, bon nombre de leaders de ce pays ont encore du mal à assumer la responsabilité que requiert l’Indépendance pendant qu’ils ont le culot de se décréter nationalistes et patriotes.
Ces leaders n’ont jamais pris conscience du fait que la notion d’indépendance, de nationalisme, de patriotisme ne se conçoit que par rapport à la notion de partenariat. Au demeurant, le droit international qu’ils évoquent à tout bout de champ est régi par le partenariat ayant pour symbolique forte le tapis rouge. Lorsque, en visite dans un pays donné, un Chef d’Etat se fait dérouler le tapis rouge, c’est qu’il se sait l’égal du Chef d’Etat hôte. Il va de soi que ses collaborateurs sont soumis au dispositif régulateur du partenariat. D’où le rôle du ministre des Affaires étrangères en déplacement dans un pays donné de porter le message de son Chef d’Etat ou de Gouvernement, selon que l’on soit d’un régime présidentiel, semi-présidentiel ou parlementaire.
Il est bien dommage que depuis un quart de siècle, les chantres (chanteurs, dirait l’autre) de la Démocratie dans notre pays semblent ne pas vouloir en tirer la leçon. Comme relevé dans la dernière chronique, ils se livrent au même exercice d’agitation : Hillary Clinton, Susan Rice, Condoleeza Rice, Madeleine Albright, Andy Young, Herman Cohen.
Ils savent bien que pour être respecté, il faut soi-même se faire respecter.
Or, quelle image du leadership congolais vient-on de donner à John Kerry ?
Heureusement qu’il y a eu l’étape décisive du Palais de la Nation où le secrétaire d’Etat a été reçu en audience par le Président Joseph Kabila le dimanche 5 mai 2014 avant la conférence de presse. C’est à cette étape que le leadership sûr et mûr de Kabila s’est confirmé, leadership que des faiseurs d’opinion malintentionnés ont voulu descendre en flammes.
C’est probablement ce qui a fait dire au secrétaire d’Etat américain : “…on n’impose pas de limitations“.
Omer Nsongo die Lema