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Par J.-P. Mbelu
Pourquoi, après l’assassinat de « l’une des Voix des sans voix congolais », Floribert Chebeya, a-t-on trouvé là où son corps a été découvert menotté, des préservatifs utilisés, des mèches de cheveux artificiels ainsi que des ongles artificiels de femmes ? Telle est la question à laquelle cet article voudrait répondre. Notre objectif n’est pas de nous limiter à une indignation que ce crime de trop produit chez plusieurs de nos compatriotes. Nous voudrions en saisir, au-delà de cette indignation, l’une de ses significations profondes.
Dans cet ordre d’idées, nous nous situons aux antipodes de certains médias coupagistes et a-historiques kinois écartant, rapidement, d’un revers de la main et sans aucune investigation approfondie, la possibilité que ce crime crapuleux soit un crime d’état. En les lisant, nous nous réalisons que l’un des effets poursuivis par les exécutants de ce crime crapuleux est atteint : créer une atmosphère de peur conduisant à l’autocensure du « quatrième pouvoir ». Faut-il leur en vouloir ? A notre avis, non. Quand, en aparté, nous échangeons avec l’un ou l’autre ami journaliste, il avoue ceci : « Dire la vérité chez nous coûte la vie ! » De là à débiter des sornettes et à émettre des avis fantaisistes, il y a peut-être un pas à ne pas franchir…
C’est vrai, traiter des faits que les discours officiels destinés à la consommation extérieure et à couvrir les crimes peut coûter la vie. Toute lutte pour le triomphe du beau, du vrai et du bien peut coûter la vie. Socrate, Jésus, Gandhi en ont payé le prix. Flory en a fait l’expérience, lui qui avait cru « qu’on ne lutte pas (pour le triomphe des valeurs) en se cachant ». Mais que sont venus faire les effets des femmes à côté de son corps meurtri ?
Répondre à cette question demande que nous puissions nous rappeler l’image du Congolais véhiculée par certains de nos bourreaux et leurs alliés tout au long de la guerre d’agression qui nous est faite. Image dans laquelle certains compatriotes croient : « Le Congolais est un fainéant ; les Congolais aiment la bière, les femmes et l’argent. » Les initiateurs des génocides et des guerres d’exterminations des peuples différents recourent à une tactique : donner de ces peuples une image, une représentation dévalorisante. Ecraser un fainéant, c’est-à-dire quelqu’un d’inutile ou un BMW, c’est-à-dire quelqu’un qui passe toute sa vie à chercher de l’argent facile pour le gaspiller dans la bière et les femmes, quelqu’un qui a perdu de vue les valeurs qui élèvent l’esprit serait rendre service à l’humanité.
Il nous semble que si nous ne replaçons pas cette représentation dévalorisante du Congolais dans le contexte de la guerre d’agression que « les cosmocrates » nous livrent pour nous déposséder de notre humanité, de notre terre et de nos richesses du sol et du sous-sol, nous n’aurons rien compris à la mort de Chebeya. Le fait qu’il ait démontré par sa façon de faire et d’être que la représentation du Congolais que nos bourreaux et leurs alliés fabriquent n’est pas toujours exacte gênait. Luttant sans se cacher, sans fuir le pays pour l’exil, sans recourir aux armes, sans verser dans les travers des BMW, il constituait une exception gênante.
Hier, Lumumba accusé de communiste- c’était l’air du temps- devait être éliminé. Aujourd’hui, dans l’air du temps, le Congolais est un BMW. Pourquoi Flory devait-il faire exception ? Tous les BMW doivent être tués afin que leur terre appartienne aux « races pures » et à leurs alliés.
Dieu merci ! Derrière cette vulgarisation d’une image monolithique et unifiante des Congolais, négatrice des « petits restes », des « minorités organisés d’acteurs-créateurs » et des « veilleurs-protecteurs de la mémoire historique de nos populations » se cache un vice : le triomphe de la cupidité au cœur du capitalisme du désastre. La négation de notre pluralité d’un peuple aux diversités immenses constituant sa richesse, aux élites diverses et diversifiées ayant potentialités énormes sert le triomphe de la cupidité. Malheureusement, plusieurs d’entre nous tombent dans ce piège négateur de notre humanité et de notre diversité. Ils croient facilement que nous sommes « un peuple à part », ayant accumulé les tares et les vices attirant les foudres du Ciel et du monde entier sur nous. Notre péché serait d’être une race maudite ; une race où tout le monde boit, cherche de l’argent pour le gaspiller dans la boisson et les femmes.
Comprendre l’assassinat de Flory serait, entre autres, travailler au niveau individuel et collectif au rejet de ces clichés négateurs de notre humanité. Croire fermement que, sur cette terre des hommes et des femmes, nous, peuple Congolais, sommes pas une exception. Si nous avons nos travers, nous avons aussi nos qualités. Comme tous les autres peuples. Chaque fois que nos travers sont exagérés, cela peut être un message que ceux qui se livrent à cet exercice nous passent. A travers l’histoire que nous écrivons nous-mêmes, nous nous rendons compte que l’exagération de nos travers a servi de somnifère. Depuis Kimpa Vita, Kimbangu, Lumumba et plus près de nous Munzihirwa, Kataliko, Serge Maheshe, Bapuwa Mwamba, Flory Chebeya, etc., l’exagération de nos travers veut tout simplement nous inviter au silence profitant aux agresseurs-pilleurs et à leurs alliés ainsi qu’à nos élites compradores.
Après Flory Chebeya, à qui le tour ? Peut-être à nos compatriotes députés provinciaux du Sud-Kivu (Tunda Lukole Prosper et N’Sanda Buleli Léonard) menacés dernièrement par Joseph Kabila. Mais aussi à tous ceux et à toutes celles d’entre nous qui remettre en cause, au vu et au su de tous, un désordre mondial fondé sur la dépossession de notre humanité et de nos richesses du sol et du sous-sol. Ces Congolais et ces Congolaises sont des morts en sursis. Les « cosmocrates » dont les cœurs et les esprits ont été mangés par le triomphe de la cupidité supportent mal que leurs tactiques soient connues et décriées. S’ils évitent d’écraser directement nos empêcheurs de penser en rond par eux-mêmes par peur de leur opinion publique, ils se servent de leurs alliés et de nos élites compradores pour réaliser la sale besogne. Quitte à convaincre le monde entier que tous les Congolais et toutes les Congolaises sont des BMW.
Mais pendant combien de temps ce mensonge grossier va-t-il encore faire des victimes ? Difficile à dire ! Surtout pas immédiatement après un crime crapuleux comme l’assassinat de Floribert Chebeya. Les Maîtres du monde et ceux qui leur obéissent se sont toujours servis des crimes crapuleux pour protéger leurs intérêts. La RD Congo est un cas d’école. Le 23 juin 1967, un rapport spécial de la CIA notait ceci : « Mobutu s’en est bien sorti durant dix-neuf mois de présidence par ses propres moyens. Alors qu’il n’était pas particulièrement populaire lors de sa prise de pouvoir en 1965. Il a su progressivement gagner l’estime de la population congolaise. Sa façon machiavélique de consolider son pouvoir a forcé l’ admiration de presque tout le monde et beaucoup de Congolais le respectent parce qu’il a su ramener l’ordre dans le pays. » (C. ONANA ? Ces tueurs tutsi. Au cœur de la tragédie congolais, Paris, Duboiris, 2009, p. 76. Nous soulignons.) Tuer peut faire partie de la « façon machiavélique de consolider le pouvoir » ou un appel à le renégocier avec « les parrains fâchés ». Croire que les diverses dénonciations de l’assassinat de Chebeya et les appels à des enquêtes indépendantes et crédibles finiront par disqualifier, comme par coup de baguette magique, tous les pions des « cosmocrates », c’est oublier notre histoire avec eux.
Personnellement, nous lisons dans l’assassinat de Chebeya un défi lancé aux « petits restes », aux « minorités organisées d’acteurs-créateurs » et aux autres « veilleurs-protecteurs de la mémoire historique de nos populations ». Le défi est le suivant : « Sont-ils capables de faire et d’écrire vous-mêmes votre histoire, avec les hommes et les femmes de bonne volonté du continent africain et du monde entier sans se laisser prendre au piège de l’image dévalorisante que nos bourreaux et leurs alliés véhiculent ? De rompre le cordon ombilical du néocolonialisme ? » Le reste n’est que du vent…