-Une fois de plus la Banque centrale du Congo (BCC) a gardé inchangé son dispositif de politique monétaire, maintenant à 3% son taux d’intérêt directeur et à 7% le coefficient des réserves obligatoires. La BCC justifie cette décision par le fait que tous les objectifs de la politique monétaire ont été atteints. Pourtant sur le terrain, les chiffres disent le contraire. La vérité est que l’Institut d’émission est inactif et inexistant là où on l’attend le plus. Les premiers signes d’essoufflement sont déjà visibles, notamment au niveau du taux de croissance économique, qui n’atteindra pas 8,3% à fin 2013, comme prévu. Une passivité déroutante.
La Banque centrale du Congo (BCC) est absente dans la mise en œuvre de la politique économique du pays. Elle est tellement absente que les choses se gâtent sans qu’elle ne puisse activer les instruments de politique monétaire à sa disposition, lesquels peuvent bien l’aider à empêcher la surchauffe. Et pourtant, au niveau du gouvernement, des efforts sont consentis en soutien à la politique budgétaire de manière à contenir les chocs.
Des chiffres apportent un témoignage qui crucifie l’institut d’émission. Les réalisations de croissance en avril 2013 ont projeté un taux de croissance économique fin 2013 de 7,9%. Deux mois après, soit en juin 2013, les mêmes réalisations ont ramené cette croissance à 7,8% contre les prévisions fin 2013 de 8,3%. Une tendance baissière qui pourrait se consolider jusqu’à décembre 2013 et confirmer ainsi le ralentissement de l’activité économique.
Dans les faits, la BCC ressemble à tout, sauf à une Banque centrale. Sa politique monétaire actuelle n’existe que de nom. Bien plus, elle est aveugle et ne s’inscrit pas dans une vision d’ensemble. Elle se distingue par l’absence de réalisme. Lorsque la dollarisation représente 95 pour cent de l’économie, cela signifie que la monnaie nationale ne représente plus que 5 pour cent de la masse monétaire globale.
La politique monétaire de la BCC porte sur la masse monétaire sous son contrôle, c’est-à-dire, la masse monétaire en franc congolais. Autrement dit, c’est sur une quantité négligeable de masse monétaire dans le pays. De ce point de vue, elle ne peut pas produire d’effet tangible sur l’économie.
Alors que la stabilité du cadre macroéconomique est réputée relative, la BCC s’est pratiquement repliée sur elle-même, se contentant de subir les événements au lieu de les précéder. Des spécialistes du secteur sont formels : la stabilité actuelle est l’effet de la politique budgétaire. La politique monétaire, quant à elle, est quasi-inexistante. Motif : la BCC brille par son absence ou son inaction là où elle devait se montrer plus entreprenante.
Illustration. En décembre 2011, la circulation fiduciaire s’est élevée à 615,345 milliards de FC. Elle est passée en décembre 2012 à 595,164 milliards de FC, pour se fixer en août 2013 à 588,980 milliards de FC.
A la lecture de ces statistiques, l’on constate que les moyens de paiement en monnaie nationale détenus par les agents économiques, principalement les ménages et les entreprises, sont pratiquement en chute libre depuis décembre 2012. Pendant la même période, les dépôts en devises ont connu une nette explosion. Ainsi, en décembre 2011, les dépôts en devises ont été évalués à 1 610,812 milliards de FC. Ils sont passés à 2 020,524 milliards de FC en décembre 2012, avant de se fixer à 2 140,250 milliards de FC en août 2013.
Le constat est bien simple. De même que la circulation fiduciaire hors banque diminuait, de même les dépôts en devises s’accroissaient. Comme si l’effritement des liquidités en circulation était compensé par l’expansion des devises dans l’économie. Un phénomène qui s’explique par la forte dollarisation de l’économie. En fait, les moyens de paiement en devises compensent ceux en franc congolais.
Qu’est-ce qui se serait passé si l’économie congolaise n’était pas dollarisée ? La conséquence la plus probable est la contraction de l’activité économique. Or, des chiffres concordants renseignent déjà une révision à la baisse des prévisions de croissance de l’économie congolaise. Prévue à 8,3% à fin 2013, ce taux de croissance a été revu à la baisse – 7,8%- pour la même période. L’écart paraît certes minime mais, il traduit le désarroi dans lequel se retrouve l’économie congolaise, si rien ne fait entre-temps pour ramener les équilibres à des niveaux de stabilité rassurante.
Les pistes à explorer
Le remède pour y arriver passe par une gestion rationnelle des liquidités. Une mission qui revient de droit à la BCC. En pareille circonstance, celle-ci peut se servir des instruments en sa possession, notamment le taux directeur et le Billet de trésorerie (BTR). Elle peut, à ce propos, baisser davantage son taux directeur pour ramener les banques et éventuellement les agents économiques à solliciter davantage de crédits. Ce qui, par effet domino, peut susciter une création de la monnaie, augmentant la circulation fiduciaire en monnaie nationale.
De même, la Banque centrale peut diminuer les fourchettes d’appel des BTR. Ce qui aura pour effet de faire porter davantage les agents économiques vers la monnaie, avec effet prévisible la création d’une masse supplémentaire de monnaie nationale. Bien sûr aussi que la BCC peut faire appel à la politique de change par la vente et l’achat des devises.
Malheureusement, la portée de cette mesure est fort réduite du fait que, en raison de la dollarisation, les devises se posent comme substitut de la monnaie nationale pour les agents économiques. Dans ce contexte, la baisse du coefficient des réserves obligatoires paraît moins probable.
Dans les faits, la BCC navigue à vue. Elle est sans repère. Elle est en déphasage avec la politique budgétaire. Cette question est-elle évoquée lors des rencontres de la Troïka stratégique? That is the question.
Il est vrai que l’économie congolaise court un grand danger. Si la BCC maintient ce cap improductif – comme c’est malheureusement le cas – des équilibres durement acquis risquent de fondre comme neige au soleil. C’est le cas des réserves internationales du pays qui prennent déjà une courbe descendante.
Evolution des réserves internationales (en millions Usd)
Période Déc. 2012 mars 2012 avril 2013 mai 2013 Juin 2013 Juil. 2013
Réserves internationales
1.271,7 1.752,7 1.745,8 1.685,3 1.677,1 1.670,8
La tendance est inquiétante. Car après avoir reconstitué ses réserves en devises jusqu’à atteindre le pic de 1 752,7 millions Usd en mars 2012, la RDC est pour le moment en train d’entamer la consommation de ses réserves. Si cette tendance se poursuit, la RDC risque de se retrouver en défaut des paiements en devises. Un recadrage s’impose. Ce qui, dans l’avenir, posera des problèmes en termes d’importations.
Combinée à la contraction déjà visible de l’activité économique – les prévisions de croissance à fin 2013 ayant été revues à 7,8% contre 8,3%- il y a de bonnes raisons pour la BCC de sortir de sa léthargie et d’intervenir.
Ne faudrait-il pas régler la gestion des liquidités pour soutenir la croissance ? Pour autant que les émissions en monnaie nationale sont faites en fonction des besoins de l’économie, autrement dit, pour soutenir le rythme de croissance économique.
La BCC s’est mise à l’écart alors que c’est sur ce terrain qu’elle était attendue pour agir, jouer son rôle. Les tableaux ci-après prouvent à suffisance une passivité à conjurer absolument.
Situation des écarts par rapport à la cible du cadre macroéconomique (en milliards de Fc)
Agrégats Cible Déc. 2012 Réalisation
Déc. 2012 Ecart Cible mars 2013 Réalisation mars 2013 Ecart Cible juillet 2013 Réalisation juillet 2013 Ecart
Base monétaire 1.107,6 850,9 -256,7 904,8 867,1 -37,7 944,8 823,5 -121,3
Ces écarts traduisent l’inaptitude de la BCC à suivre la cadence de la politique budgétaire. Chaque fois que le Trésor ponctionne des liquidités par la réalisation des excédents budgétaires, la BCC n’a pas pu injecter des moyens de paiements nécessaires dans l’économie.
Le tableau suivant, qui donne le rythme (en millions de Fc) des émissions en monnaie nationale jusqu’au 21 août 2013, est plus éloquent sur le sujet.
Rubrique Janv. Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Cumul/An
Emissions prévues 24.000 28.700,0 16.500,0 22.500,0 11.000,0 15.000,0 9.861,2 3.096,7 130.658,0
Emissions réalisées 14.610
13.687,5 11.620,0 15760,0 6.835,0 8184,0 7989,6 2967,2 81.653,3
Tout compte, la BCC n’a pas suivi le rythme de croissance de l’économie congolaise. Elle est restée passive, enfermée dans une politique monétaire d’école – sans effet réel sur le terrain. Il est temps qu’elle sorte de son carcan classique, en jouant véritablement son rôle de contrepoids de la politique budgétaire. En poursuivant son rythme actuel, elle entrainera avec elle l’économie congolaise dans le gouffre.