« Quand je l’ai vu dans le terminal, je me suis précipitée et l’ai enlacé. Quand je lui ai dit : “bienvenue à la maison ”, il a eu une petite réserve. » Son épouse, Myu, décrit le retour difficile dans son pays, jeudi 25 octobre, de Jumpei Yasuda, ancien otage japonais en Syrie. Sous le choc après quarante mois d’une détention qu’il a lui-même qualifié d’« enfer » , le journaliste indépendant doit affronter un accueil mitigé dans l’Archipel.
Depuis l’annonce de sa libération mardi, un flot de critiques – essentiellement anonymes – se déverse sur les réseaux sociaux autour de la notion de « jiko sekinin » , la « responsabilité individuelle ». Leurs auteurs reprochent à M. Yasuda, qui a réalisé plusieurs reportages remarqués au Proche-Orient depuis le début des années 2000, d’avoir bravé l’interdit gouvernemental de se rendre dans des zones dangereuses.
La décision suivait l’assassinat, début 2015, par l’organisation Etat islamique de deux Japonais, le journaliste Kenji Goto – ami de M. Yasuda – et Haruna Yukawa, qui dirigeait une société de sécurité. Aux yeux des critiques du journaliste, il n’aurait eu que ce qu’il mérite. D’où des invectives blessantes comme, « anti-citoyen » ou « élément perturbateur de la société » . Certains l’ont même qualifié d’« otage professionnel » car il a déjà été enlevé. C’était en 2004 en Irak, où il travaillait sur les souffrances causées par la guerre.
Shinzo Abe se dit « soulagé »
Il a heureusement quelques défenseurs. Toru Tamakawa, commentateur sur TV Asahi, estime qu’il faut rejeter « avec fermeté » l’argument de la responsabilité individuelle. « Nous avons besoin de gens qui risquent leur vie pour obtenir des informations sur le terrain », explique-t-il.
La polémique rappelle celle survenue en 2004 au sujet de trois otages japonais, deux travailleurs humanitaires et un photographe, libérés après neuf jours de détention en Irak. A leur arrivée à Tokyo, des centaines de personnes les attendaient non pour saluer leur libération mais pour les conspuer . « Vous êtes la honte du Japon » ou « Voleurs d’impôts » , disaient des pancartes brandies par la foule hostile rassemblée à l’aéroport.
Cette colère, qui traduisait selon Masatoshi Saito, journaliste de la chaîne TBS, les dérives au Japon du néolibéralisme et du néonationalisme, avait été instrumentalisée par le gouvernement du premier ministre, Junichiro Koizumi (2001-2006), qui souhaitait détourner les critiques contre l’intervention des Forces d’autodéfense – les troupes japonaises – aux côtés de l’armée américaine en Irak.
Difficile cette fois de parler d’instrumentalisation. Le premier ministre, Shinzo Abe, s’est dit « soulagé » d’apprendre la libération de M. Yasuda. Une question demeure pourtant : y-a-t-il eu paiement d’une rançon ? Tokyo dit que non. Mais l’observatoire syrien des droits humains, structure basée à Londres et suivant la guerre en Syrie, affirme que de l’argent a été versé par le Qatar qui, avec la Turquie, a joué un rôle déterminant pour la libération de Jumpei Yasuda.
Il présente ses excuses
Le journaliste a livré quelques bribes d’informations sur sa détention dans l’avion qui le ramenait au Japon. Il a été capturé en juin 2015 dans la province d’Idlib (nord-ouest de la Syrie) par des militants présumés du mouvement Hayat Tahrir Al-Cham, anciennement le Front Al-Nosra proche du réseau Al-Qaida.
Les trois années qui ont suivi ont été marquées par des abus physiques et psychologiques. « Pendant plus de six mois, ils ne m’ont pas laissé me laver . Ils me donnaient des conserves, mais pas d’ouvre-boîtes » , a expliqué M. Yasuda, amaigri et fatigué. Il est resté confiné près de huit mois dans une cellule de 1,5 mètre de long. Il ne pouvait même pas allonger ses jambes pour dormir . « Je vivais dans la peur permanente de ne jamais m’en sortir ou d’être tué. »
En arrivant au Japon, le journaliste a choisi de faire profil bas. Dans un communiqué transmis à la presse par son épouse, il a présenté ses excuses « pour avoir causé des problèmes et suscité des inquiétudes » et promis de donner des explications sur sa détention.