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Le roi des Belges, roi souverain du Congo?


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leopold 2-Dans quelques jours, la RD Congo va fêter ses 54 ans d’indépendance, le 30 juin 2014. Il nous a paru normal d’en appeler à quelques souvenirs. Et par les écrits de cet éminent chercheur qu’est Anicet Mobe, nous vous permettons de vous faire revivre quelques séquences historiques. Le Congo a connu des relations tumultueuses avec la Belgique. Le chercheur Anicet Mobe retrace l’histoire coloniale du Congo et invite Congolais et Belges, à abandonner les mythes pour s’approprier cette histoire commune. “Que Dieu protège la Belgique et notre Congo.” C’est ainsi que le Roi Léopold III conclut, le 17 juillet 1951, son discours d’abdication en faveur de son fils, le Roi Baudouin.
 
Huit ans après, alors que les Congolais  font  vaciller  l’ordre  colonial,  le  roi  Baudouin  attire  fermement  l’attention  du  Premier ministre Gaston Eyskens sur « l’incalculable préjudice moral et matériel que subirait la Belgique, si les Belges (devaient) perdre l’incomparable patrimoine que (nous) a légué le génie de Léopold II”. Léopold  II,  roi  des  Belges  (1865-1909),  roi-souverain  du  Congo  (1885-1908).  Soyons  attentifs  à l’Afrique  centrale  avec laquelle nous avons tissé tant de liens ». Tel est un de quatre souhaits  que formule, pour l’avenir, le roi Albert II lors de son discours d’abdication, le 21 juillet dernier.

Ainsi donc, d’un règne à l’autre; les rois des Belges s’emploient à « sauvegarder au Congo les droits imprescriptibles  que  se  sont  crées  nos  pionniers  pour  assurer  impérativement  la  continuité  de l’association de la Belgique et du Congo » (Baudouin 1°,le 04 septembre 1959). Il faut croire que leurs discours  inspirent  certains  hommes  politiques,  notamment   les  présidents Joseph  Kabila,  Joseph Mobutu et Moïse Tshombe…

Magnifier l’œuvre de la Belgique ?

Le 10 février 2004, devant le sénat belge, le président Joseph Kabila rend un vibrant hommage aux pionniers de l’aventure coloniale léopoldienne.  Le 18 juin 1970 à Kinshasa, le Président Mobutu et le Roi Baudouin rivalisent de rhétorique pour magnifier l’œuvre que la Belgique, selon Mobutu, n’a pas achevée. Il attribue au roi, à « sa grandeur d’âme et à son sens politique, l’évolution favorable des relations  belgo-congolaises ».  Le  roi  renchérit  en  soulignant  qu’ »au-delà  des  souvenirs,  ce  qui demeure, c’est une grande œuvre qui se poursuit aujourd’hui dans des circonstances nouvelles ».

Parfois, c’est de l’establishment colonial -voire de la famille royale- que surgissent les critiques

S’appuyant sur un argumentaire solidement articulé, une certaine historiographie universitaire -Jean Stengers, Guy Vanthemesche, Elikia M’Bokolo, Jean-Marie Mutamba Makombo et  Matthieu Zana Etambala-  contredit  avec  pertinence  les  assertions  béatement  admiratives  de Kabila et  Mobutu. Parfois, c’est de l’establishment colonial -voire de la famille royale- que surgissent les critiques les plus acerbes contre le régime léopoldien et le Congo-belge.

“Le travail en Afrique,l’or à Bruxelles”

Lors de son voyage au Congo, en 1909, le Prince héritier Albert note dans ses carnets: « Le travail en Afrique, l’or à Bruxelles. Voilà la devise de l’Etat indépendant  du Congo ». Il dénonce sévèrement l’état  désastreux  des  infrastructures  hospitalières  et  scolaires  pour  les  Congolais.  Rappelons  les ouvrages  de  Félicien  Cattier,  professeur  à l’université  Libre  de Bruxelles  – La Situation  de l’Etat indépendant  du  Congo,  1906  –  et  du  père  jésuite Arthur  Veermersch,  professeur  à  l’université
 
catholique de Louvain – La Question congolaise, 1906 – dressant un réquisitoire implacable contre les violences infligées aux Congolais sous Léopold II.

Donnons la parole au Gouverneur, le général Pierre Ryckmans, au moment de quitter ses fonctions, le 5 juillet 1946 : “L’investissement devient synonyme d’envahissement; et la colonie, éternelle tributaire, voit s’écouler vers l’extérieur le flot de sa richesse.”

(Re)lisons  l’opinion  d’un  Congolais  -Joseph-  lui  aussi  et  pur  produit  de  la colonisation-  dont  la démarche intellectuelle s’est totalement émancipée du corset culturel colonial: « La colonisation nous a transformés en un peuple d’exécutants d’un travail sans intérêt et nous a longtemps exclus de toute participation aux charges et responsabilités de la vie politique et sociale; (et a) laissé grandir en nous l’attirance pour le brillant et le superficiel au détriment du développement des valeurs essentielles de la vie professionnelle et de la vie sociale ». [Cardinal Malula, homélie du 29 juin 1970 en présence du roi et du président Mobutu]

Pour en finir avec des légendes dorées d’un Léopold II, philanthrope

L’historien belge, Jules Marchal estime avec prudence, que de son vivant, le monarque retira du Congo une  fortune  évaluée  à 220 millions  de francs de l’époque,  l’équivalent  de plus  de 6 milliards  de francs français,  en 1997.  Cette  fortune  a notamment  servi  à l’embellissement  de la Belgique.  Cet enrichissement  s’est réalisé au prix d’horribles  atrocités  où périrent  des milliers de Congolais.  Dès
1892, des missionnaires protestants anglo-saxons s’élevèrent contre les traitements terrifiants infligés à la population congolaise. Créée par le décret du 23 juillet 1904, une commission d’enquête présidée par Edmond Janssens, avocat général à la cour de cassation de Belgique, sillonna le Congo du 5 octobre 1904 au 21 février 1905.

Le 1er février 1908, Léopold II renonce à ses prétentions sur la Fondation du Domaine de la Couronne

Elle  établit  un  rapport  accablant  pour  dénoncer  de  multiples  exactions  dont  étaient  victimes  les Congolais.  Le 3 juillet 1906, Léopold II se déclare prêt à céder le Congo à la Belgique, si celle-ci reconnaît la Fondation du Domaine de la Couronne, afin qu’il garde l’administration et l’exploitation de régions étendues dont la superficie équivalait à 10% du territoire congolais, représentant un espace d’environ dix fois plus grand que la Belgique.

Le 1er février 1908, il renonce  à ses prétentions  sur la Fondation  du Domaine  de la Couronne  en exigeant  en  compensation  d’un  « témoignage  de  gratitude » qu’un  fond  spécial  de 50  millions  de francs belges, à charge de la colonie, lui soit attribué ainsi qu’à ses successeurs. Légué à la Belgique, ce  fonds  est  un  des  éléments  constitutifs  de  la  « Donation  Royale »  dont  le  patrimoine  équivaut aujourd’hui à 500 millions d’euros » (Le Soir, Bruxelles 23-24 février 2008).

Congo… pépite d’or de la couronne de Saxe-Cobourg

Avant l’accession au trône ou juste après, l’intérêt manifesté pour le Congo semble faire partie du programme de préparation pour les futurs monarques belges.

En 1909, le Prince Albert visite le Congo; devenu roi, il y retourne en 1928 accompagné de la Reine Elisabeth où ils inaugurent  le monument  équestre de Léopold II. En avril 1925, il apporte un soin méticuleux au voyage de son fils, le prince Léopold. Il le félicite chaleureusement, le 25 novembre au terme de sa « superbe randonnée en Afrique, certes la plus complète entre celles entreprises par des non-professionnels  des  colonies.  Cet  examen  approfondi  du  Congo  te  conférera  une  force  et  une supériorité  dont il faudra savoir user pour le prestige monarchique  et l’avancement  des possessions belges d’Afrique »[1].

Le roi Baudouin impose Léon Pétillon, au poste de ministre du Congo.

Le 30 décembre 1932, le Prince Léopold retourne au Congo, chargé d’une mission officielle par le Sénat dont il est membre de droit depuis le 8 novembre 1927. Le rapport qu’il présente le 25 juillet 1933 connaît un certain retentissement. On évoque alors le projet d’ériger au Congo, une vice-royauté au  profit  du  Prince  Léopold   qui,  du  reste,  entretient   d’étroits   contacts   avec  le  ministre   des colonies, Paul Tschoffen. En 1947, le Prince -régent Charles visite le Congo.

Le Prince royal (10 août 1950), Baudouin réserve aux membres du Cercle Royal Africain, son premier discours public, le 22 février 1951: il leur exprime sa « Ferme volonté de maintenir sur le plan colonial, l’attitude de mes prédécesseurs et de me consacrer comme ils l’ont fait avec tant de sagesse au développement matériel et moral de notre magnifique empire ».

Politique congolaise de la Belgique: domaine réservé du roi?

Multiples et variées, certaines initiatives royales -germées parfois en marge ou à l’encontre de la ligne gouvernementale- ont marqué les évolutions que le Congo a -ou non- connues. Relevons en quelques unes qui, depuis 1955, illustrent  les immenses  capacités  d’influence  du Roi: en juillet 1958, le roi Baudouin impose l’ancien gouverneur -général Léon Pétillon, au poste de ministre du Congo. En avril 1959, il s’oppose à la nomination de Scheyven pour remplacer le gouverneur- général Cornélis.

Rappelons que le 14 septembre 1934, le Roi Léopold III imposa Pierre Ryckmans qu’il a connu en 1925 comme gouverneur- général alors même que celui-ci n’avait obtenu que 3 voix lors du vote au
Conseil des ministres.

Le message royal du 13 janvier 1959, se démarqua substantiellement de la déclaration gouvernementale sur  l’avenir  politique  du  Congo. Hormis  le  Premier  ministre,  Gaston  Eyskens  et le  ministre  du Congo, Maurice Van Hemelrijck, le gouvernement n’était nullement informé des positions royales. Le professeur  Stengers  qualifie,  pour  cette  époque,  la démarche  du roi « D’acte  probablement  le plus important du règne ».

Le président du parti social-chrétien interpelle le roi pour stigmatiser la politique menée en faveur du Katanga sécessionniste

En décembre 1959, sans en informer le gouvernement, le Roi Baudouin entreprit un voyage au Congo – où l’avait discrètement précédé son père- afin de reprendre la main après le soulèvement populaire du 4 janvier,  férocement  réprimé  par  la Force  Publique  coloniale.  C’est  au  cours  de  ce  séjour  que  le commandant  en  chef  de  la  Force  Publique,  le  général  Janssens  s’employa  à  le  persuader  de proclamer l’indépendance du Congo sous l’égide de la couronne, le 1er juillet 1960.

Au plus fort de la sécession katangaise, alors que les autorités congolaises s’efforcent de résorber la crise, le Roi apporta publiquement le 21 juillet 1960, un soutien à Tshombe. Celui-ci est, du reste, reçu à Bruxelles, le 6 décembre et est décoré du Grand cordon de l’ordre de la couronne par le ministre des affaires africaines. Le rapport de la commission  d’enquête parlementaire  belge a clairement établi que le Palais royal entretenait des liens très étroits avec des personnalités belges -major Weber, d’Aspremont Lynden Harold, le Recteur Dubuisson de l’université de Liège- directement impliquées dans les sordides manoeuvres ayant abouti à l’assassinat du Premier Ministre Lumumba.

Dans  une  lettre  qu’il  lui  adresse  le  4  août  1960,  le  président   du  parti  social-chrétien, Théo Léfevre interpelle vivement le Roi pour stigmatiser la politique personnelle qu’il mène en faveur du Katanga sécessionniste. Le roi reçut chaleureusement, en 1965, Tshombé, venu en Belgique brader le patrimoine congolais -portefeuille- au profit des intérêts des capitalistes belges.

Les relations belgo-congolaises  se sont distendues  en 1967 après la révolte des mercenaires  belges, français et sud- africains- commandés par le colonel belge Jean Schrame – qu’avait recrutés Tshombe et que Mobutu avait incorporés dans l’armée nationale congolaise en 1965. Le dégel vint d’une initiative personnelle du Roi Baudouin qui dépêcha son frère, le Prince Albert de Liège,- Roi Albert II – à Rome pour inviter le Président Mobutu à venir en Belgique. Celui-ci arriva à Bruxelles, le 8 juin où le roi lui remit le Grand Cordon de l’ordre de Léopold.

Le Prince Albert séjourna au Congo en février 1969, à la tête d’une importante délégation économique et au mois d’avril 1969, le Roi Léopold III reçut le Président Mobutu à Nice. La famille royale se mobilisa pour préserver le joyau de la couronne afin de sceller la réconciliation économique entre le capitalisme belge et le régime Mobutu.

Quand les colonisés couronnent le monarque métropolitain…

L’accueil triomphal -impensable en Belgique à cette époque- que reçut le Roi Baudouin dès son arrivée à Kinshasa, le 16 mai 1955,valut -à tort- pour les Belges, approbation de leur entreprise coloniale alors qu’ils essuient des critiques acerbes à l’ONU. L’enthousiasme délirant des Congolais offrit aux Belges l’image -illusoire- d’une nation unie, réconciliée et réconfortée dans ce qu’elle considère comme son droit de pérenniser l’exploitation coloniale alors que la conférence de Bandoung (avril 1955) sonnait le glas de l’ère coloniale.

Il importe que les Congolais soient des acteurs avisés des évolutions résultant de ces initiatives

Discours royaux et princiers ainsi que des initiatives politiques émanant du Palais illustrent clairement que  depuis  plus  d’un  siècle, la  dynastie  belge a  une  conscience  aigue  des  enjeux  -politiques, économiques et diplomatiques- de l’aventure coloniale et post-coloniale dans l’équilibre et la stabilité de la Belgique, ainsi que de son influence dans les relations internationales. En décembre dernier, le roi Albert II s’est inquiété de menaces qui pèsent sur le Congo.

Ayant  été  préparé  par le roi Baudouin  à l’exercice  de sa fonction  royale,  le roi  Philippe prendra, certainement, des initiatives -ou en soutiendra- pour marquer de son empreinte les relations belgo- congolaises. Il importe que les Congolais soient des acteurs avisés des évolutions résultant de ces initiatives.

Il appartient aux intelligences belges et congolaises -libres de tout préjugé (néo)colonial- d’élaborer des outils conceptuels pour approfondir les questionnements épistémologiques liés à l’écriture et à l’enseignement   de  l’histoire  coloniale  afin  que  nos  peuples  se  défassent  de  mythologies  pour s’approprier intelligemment des pans entiers de notre histoire commune.

Par Anicet MOBE, chercheur en sciences sociales et membre du collectif des intellectuels congolais
« DEFIS ».
Eco 243