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Le prince héritier saoudien et l’administration Trump traîneront longtemps le boulet de l’affaire Khashoggi, qui sape aussi le rêve israélien d’une alliance avec les pétromonarchies contre l’Iran.
Tawakkol Karman, prix Nobel de la Paix en 2011, avec un portrait de Khashoggi devant le consulat saoudien à Istanbul
L’assassinat de Jamal Khashoggi, le 2 octobre dans le consulat saoudien d’Istanbul, n’en finit pas de provoquer troubles et remous. C’est peu de dire que la version officielle saoudienne d’un crime « accidentel », perpétré par des éléments « incontrôlés », peine à convaincre. Le moment est pourtant venu de tirer les premières leçons d’un tel scandale international, notamment à la lumière de l’affaire Hariri de novembre 2017. La brutalité de Mohammed Ben Salmane/MBS, le prince héritier et véritable « homme fort » de l’Arabie saoudite, avait alors conduit à une crise déjà sans précédent. Seule l’habileté de la diplomatie française avait pu tirer MBS de ce piège où il s’était lui-même jeté. L’administration Trump n’a pas fait preuve d’un professionnalisme comparable dans l’affaire Khashoggi, dont la Turquie, l’Iran et le Canada sortent à des degrés divers renforcés.
LES TROIS PERDANTS: ARABIE, ETATS-UNIS ET ISRAËL
MBS avait dépensé sans compter pour asseoir son image de « réformateur », consacrant deux longues semaines en mars-avril 2018 à une tournée d’auto-promotion aux Etats-Unis. Le voilà ravalé par l’affaire Khashoggi à une caricature d’autocrate qui aurait droit de vie et de mort sur ses sujets. Le régime saoudien, loin de se « réformer », s’aligne sur les standards des dictatures militarisées du monde arabe, dont les polices politiques, désignées sous le terme générique de moukhabarates (renseignements), sont les institutions-clefs. MBS a dû démettre un de ses fidèles, le chef adjoint des services saoudiens, du fait de son rôle central dans la liquidation de Khashoggi. Mais le roi Salman, souverain en titre de l’Arabie, a compensé son fils et prince héritier en le chargeant de « coordonner » l’ensemble des services de sécurité. En guise de « modernité », le royaume saoudien cumule désormais intolérance wahhabite et règne des moukhabarates.
Quant aux Etats-Unis, ils n’ont cessé d’osciller, au fil des déclarations de Trump, entre l’indignation face à ce meurtre et la volonté d’en disculper MBS. Le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, dépêché à Riyad pour contenir la crise, aurait eu bien du mal à incriminer ses interlocuteurs saoudiens: cet ancien chef de la CIA est un partisan déclaré des « trous noirs » où faire disparaître en toute illégalité les « terroristes » supposés; et l’administration Trump n’a cessé de justifier au nom de « lutte antiterroriste » l’écrasement par ses alliés arabes, notamment en Egypte, de toute forme d’opposition.
C’est cependant Israël qui pourrait payer le prix fort de l’affaire Khashoggi, tant le Premier ministre Netanyahou a misé sur MBS pour officialiser un rapprochement avec les pétromonarchies contre l’Iran et enterrer une fois pour toutes la question palestinienne. Une telle recomposition est désormais exclue, un proche de MBS ayant même menacé de riposter à d’éventuelles sanctions américaines… en se réconciliant avec l’Iran. Netanyahou a tenté d’amortir ce choc en rendant une visite-surprise au sultan d’Oman, mais celui-ci est justement, de tous les dirigeants du Golfe, le mieux disposé envers Téhéran.
LES TROIS GAGNANTS: TURQUIE, IRAN ET CANADA
La Turquie du président Erdogan sort la tête haute d’une épreuve où elle était très exposée. Le statut extra-territorial du consulat saoudien aboutit en effet à ce que l’assassinat de Khashoggi ne se soit pas techniquement déroulé sur le sol turc. Mais la justice turque a pu enquêter à l’intérieur même du consulat, tandis que les révélations distillées dans les médias par les dirigeants turcs contribuaient, du fait de leur caractère à la fois sordide et continu, à maintenir la pression sur MBS et sur l’administration Trump. Erdogan, intervenant solennellement devant les députés turcs, le 23 octobre, a insisté sur la « sincérité du roi Salman » pour mieux semer le doute sur celle de son fils. Il a exigé que les 18 suspects saoudiens soient remis à la justice turque, une posture nationaliste très populaire dans le pays.
L’Iran a également tiré parti de l’affaire Khashoggi, qui a suscité des tensions inédites entre Washington et Riyad, et ce à à la veille de l’entrée en vigueur de sanctions draconiennes des Etats-Unis contre la République islamique. En outre, le tumulte suscité par l’assassinat du journaliste saoudien a permis à Téhéran de faire oublier ses propres turpitudes en matière d’immunité diplomatique: un diplomate iranien en poste à Vienne vient ainsi d’être arrêté en Allemagne et livré à la justice belge, dans le cadre d’une enquête sur un projet d’attentat contre une réunion d’opposants iraniens en France.
C’est pourtant le Canada qui émerge comme le grand vainqueur moral de l’affaire Khashoggi. En août dernier, un simple tweet de la ministre canadienne des Affaires étrangères, s’inquiétant du sort de féministes et de « pacifistes » incarcérés en Arabie, avait déclenché la fureur de Riyad et des rétorsions foudroyantes: expulsion de l’ambassadeur canadien; suspensions des vols entre les deux pays; retour des milliers d’étudiants boursiers et de Saoudiens hospitalisés au Canada; gel, voire retrait des investissements saoudiens. MBS voulait clairement, en s’acharnant ainsi contre le gouvernement Trudeau, envoyer un avertissement à toutes les démocraties occidentales tentées de critiquer, même à la marge, le régime saoudien. Aucune capitale européenne ne s’était d’ailleurs solidarisée avec un Justin Trudeau ainsi ostracisé par MBS après l’avoir été par Trump, lors du sommet du G7. Quelques semaines plus tard, la mise en garde d’Ottawa sur les errements de MBS apparaît prémonitoire.
Telle n’est pas la moindre des leçons de l’affaire Khashoggi.