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Par J.-P. Mbelu
Dans nos débats sur Internet et dans certains cafés, il arrive que nous entendions des compatriotes dire : « Les gouvernants actuels font quand même quelque chose ». Mais quand vous leur posez la question d’expliquer « ce quelque chose », souvent les réponses restent évasives et vagues. La réfection des routes est le cas le plus cité. Les fontaines de Kinshasa aussi.
Souvent, situer cette réfection des routes dans un programme de gouvernement est un exercice très difficile. Que signifie réparer les routes dans un pays où le gouvernement n’est soumis à aucun contrôle budgétaire au niveau du Parlement ? Que signifie réparer les routes dans un Etat-manqué et sous tutelle, où les paisibles citoyens peuvent être abattus à leurs postes de travail ? Depuis qu’il y a cette réfection des routes, combien de nos provinces sont reliées les unes aux autres de façon à faciliter les échanges entre nous et le désenclavement de nos villages par exemple ?
Souvent, une vue d’ensemble de ce qu’on appelle chez nous « les cinq chantiers » manquent. Bientôt cinq ans après la première législature, un bilan sur le nombre d’emplois et les hôpitaux créés, les écoles réhabilitées, les barrages hydro-électriques mis sur pied, des tronçons de pistes de desserte agricole réparés est catastrophique. La sécurité des personnes et de leurs biens n’a été assurée que pour une infime minorité de compatriotes et autres étrangers appartenant au réseau transnational de prédation. La justice a été sacrifiée sur l’autel d’une paix des cimetières. L’année 2010 proclamée « année du social » va bientôt toucher à sa fin sans que les questions sociales majeures liées au panier de la ménagère, au salaire décent, aux soins de santé convenables aient trouvé un début de réponse. Une étude menée récemment par les Universités de Kinshasa et de Gembloux a conclu que 44 millions de Congolais souffrent de malnutrition.
Face à tous ces faits que signifie « les gouvernants actuels font quelque chose » ?
Revenons aux conclusions tirées par l’étude susmentionnée et communiquée au cours d’une conférence organisée par la faculté d’agronomie de Gembloux. « Selon la FAO (agence de l’Onu pour l’alimentation et l’agriculture), jusqu’à 44 millions de Congolais (sur un total de 55 millions) souffrent de malnutrition ou sous-nutrition. Que le Congo est obligé d’importer pour 18 millions de dollars par jour, alors que son PIB/jour ne dépasse pas 14 millions de dollars et qu’il est donc dépendant de l’aide et de l’endettement. Que la part de l’agriculture dans le budget national 2010 est de 0,69 % (“c’est bien moins que ce que font les autres pays africains”, a souligné le professeur Eric Tollens, de la KULeuven. “Si le Congo n’investit pas plus, cela n’ira jamais“). Que l’administration congolaise est “faible et prédatrice” vis-à-vis du paysan, les routes généralement inexistantes, l’électricité rarement disponible, les rendements agricoles “de niveau sahélien en raison de l’absence d’intrants (engrais, insecticides, etc.), de l’utilisation de variétés dégénérées (faute d’apports extérieurs régénérants) et de techniques de culture ancestrales” peu performantes, tels la houe, la machette, les brûlis Pourtant, le potentiel est “incomparable”, la population “dynamique et robuste” et les “ressources abondantes“, a souligné Patrick Houben qui s’occupe du programme de sécurité alimentaire de l’Union européenne à Kinshasa. » (M.-F. CROS, Le Congo, le plus affamé du monde, dans La Libre Belgique du 25 octobre 2010)
A quoi serait dû cet état des choses ? Relisons encore cet article. « Parmi les nombreuses interventions destinées à présenter le travail de Gembloux sur le Congo, souvent en association avec l’université de Kinshasa, écrit M.-F. Cros, plusieurs touchaient à l’alimentation. Il en ressort que la faim dans ce pays résulte essentiellement de la mauvaise gouvernance, et il y a eu plusieurs appels à un changement urgent de la politique de Kinshasa en la matière. » (Nous soulignons) Une administration faible et prédatrice, une mauvaise gouvernance sont, entre autres, les vers dans fruit de notre pays.
Et quand certains d’entre nous affirment que « les gouvernants actuels font quelque chose », à quoi cela rime-t-il ?
A notre avis, les débats sur nos fora et dans certains de nos cafés semblent être déconnectés de la recherche scientifique, des choses d’une intelligence avertie et du traitement sérieux des questions essentielles de notre pays.
Internet, bien qu’étant un bon instrument de communication, nous rendrait paresseux. Lire, s’instruire, se former, apprendre et désapprendre seraient devenus des exercices trop négligés.
Et pourtant, avec l’éclosion des blogs d’une certaine presse alternative, Internet pouvait être mis à profit pour rompre les chaînes de différentes formes d’obscurantisme, d’ignorance et de fanatisme ! Du moins au sein de la minorité ayant accès à cette machine moderne ! (Il est un fait que n’importe qui peut avoir accès à Internet sans une base suffisante de culture qui permette un débat d’idées fondé sur autre chose que la fanatisme et le m’as-tuvisme.)
Il est urgent que nos échanges soient fondés sur une base de culture générale suffisante et des essais suivis de déconstruction des discours et théories convenus.
Quand certains d’entre nous disent que « les gouvernants actuels font quelque chose », ils sont loin de s’imaginer que certains d’entre eux sont aux affaires depuis bientôt dix ans, l’équivalent de deux mandats électoraux.
Et pendant deux mandats, Lula le Brésilien a appliqué le programme fome zero (faim zéro) avec des résultats applaudis aux quatre coins du monde. L’un de ses secrets : un passé de syndicaliste et d’un résistant contre les forces de la mort. Dans son programme de gouvernement, il avait compris que la faim est une arme de destruction massive. Et qu’il fallait travailler à l’apaisement de toutes faims habitant le cœur de l’homme : faim de nourriture, de savoir, de santé, de travail, de vie familiale, de liberté, de dignité, etc. « Destiné à briser l’une après l’autre les structures d’oppression, le Programa fome zero doit créer, pensait Lula, les conditions matérielles de la libération du corps et de l’esprit des hommes. L’homme libéré décidera librement de l’usage de sa liberté. La responsabilité individuelle (et communautaire) est au cœur de ce programme. La victime devient acteur. Le pauvre est l’artisan de sa propre libération. » (J. ZIGLER, L’empire de la honte, Paris, Fayard, 2005, p.215)
Perdre de vue ce qui se fait autour de nous et nous contenter de nous auto-féliciter en marge de toute approche critique (positive ou négative) de ce que produisent nos gouvernants actuels nous semble être une voie qui ne mène nulle part. Ce que nous donnons l’impression d’oublier est « qu’une mystérieuse dialectique existe entre des personnes singulières et le peuple, entre certaines volontés subjectives et la conscience collective. Dans certaines situations conjoncturelles, cette dialectique peut infléchir le cours des évènements. » (Ibidem, p.192)
Avec un peu d’humilité, nous devrions reconnaître que nous avons encore besoin que de véritables acteurs-créateurs d’un autre Congo, capables d’impulser des changements structurels porteurs de vie pour nos populations. En avons-nous parmi les gouvernants actuels ? Peut-être l’un ou l’autre. Mais il participe d’un système tellement vicieux et vicié qu’il faut briser. Dépendant de l’aide et de l’endettement extérieur, ce système est pris en otage par les IFI. Il génère beaucoup de misère anthropologique, l’enrichissement sans cause d’une minorité prédatrice et est nocif pour les générations présentes et futures. 44 millions de compatriotes souffrant de malnutrition et/ou de sous-nutrition, c’est combien de vies gâchées pour demain ? Malgré ces faits, on nous dit que « les gouvernants actuels font quand même quelque chose ». Kozanga kayeba, ezali liwa ya solo !