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L’ONU fait sortir le rapport Mapping de ses tiroirs

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-Vilipendé par le Rwanda, qui le considère comme une autre manière de poursuivre la guerre et de discréditer le FPR qui a mis fin au génocide, cité à chaque intervention par le Docteur Mukwege qui, au nom des victimes, réclame la fin de l’impunité et la mise en place de tribunaux mixtes, le « rapport Mapping » semble bien « sorti des tiroirs » où les Nations Unies l’avaient enfermé depuis dix ans.
L’histoire de ce document controversé remonte à 2010, lorsque le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, basé à Genève et dont le coordinateur à Kinshasa était un Belge, Luc Henkinbrant, met en chantier un projet ambitieux : documenter les massacres, les crimes de guerre et les éventuels crimes de génocide commis au Congo entre 1993 et 2003. Une période qui commence dans les dernières années du régime Mobutu, mais ne couvre pas le début des années 90, où les Kasaïens vivant au Katanga ont été l’objet d’une véritable épuration ethnique et où des pillages menés par les militaires de Mobutu ont dévasté Kinshasa. La période examinée par les enquêteurs concerne surtout sur la période durant laquelle le Congo fut victime de deux guerres menées au départ des pays voisins, le Rwanda et l’Ouganda, rejoints par d’autres pays africains (l’Angola, le Zimbabwe, le Burundi…)neuf armées étrangères s’étant finalement retrouvées en territoire congolais.
Rappelons que la première guerre du Congo avait éclaté au Kivu en octobre 1996 : deux millions de réfugiés hutus encadrés par les auteurs du génocide et l’ancienne armée d’Habyarimana avaient fui le Rwanda à la faveur de l’opération française Turquoise. Enfreignant le droit international en la matière, le Haut Commissariat aux réfugiés avait laissés les civils, mais aussi les militaires et les miliciens Interhahamwe s’installer au Kivu, dans des camps proches de la frontière rwandaise et qui allaient rapidement se militariser. Soutenus par l’aide humanitaire et encadrés par les extrémistes, les réfugiés hutus préparaient un retour offensif dans leur pays. L’inaction de la communauté internationale décida le Rwanda, avec son allié ougandais, à passer à l’offensive. Le Kivu, puis le reste du Congo, furent envahis par un mouvement rebelle, l’AFDL, (Alliance des forces démocratiques pour la libération) qui finit par chasser Mobutu le 17 mai 1917 et par installer au pouvoir Laurent Désiré Kabila. Au cours de cette avancée à l’intérieur du Congo, les réfugiés hutus qui avaient refusé de rentrer dans leur pays et qui restaient sous la coupe des anciennes autorités génocidaires furent impitoyablement poursuivis ; l’avancée des troupes rebelles fut marquée par de nombreux massacres (Tingi Tingi, Biaro, Lubutu, Kisangani, Mbandaka…) dont les principales victimes furent des civils rwandais, placés en première ligne par les combattants et servant de « boucliers humains ». Des civils congolais furent également tués en grand nombre par les assaillants qui ne faisaient pas le détail et les accusaient d’avoir soutenu les Hutus en débandade. Si la plupart des réfugiés hutus finirent par regagner le Rwanda où ils comparurent devant les tribunaux « gaçaça », plus de 200.000 fuyards furent portés disparus, en cavale dans les forêts congolaises ou ayant succombé aux attaques et aux maladies.
En 2007, le président congolais Joseph Kabila, qui venait d’être élu donna son feu vert à l’enquête onusienne. Vingt enquêteurs indépendants se mirent alors au travail, dix ans après les faits. Durant presque une année, ils se reposèrent sur les témoignages et les rapports des ONG internationales qui avaient accompagné l’exode des réfugiés à travers le Congo, sur le travail déjà mené par un premier enquêteur onusien Robert Gersony, sur les documents d’une valeur diverse rassemblés par des dizaines d’ ONG congolaises présentes sur le terrain mais souvent très hostiles au Rwanda, considéré comme un envahisseur. Les enquêteurs de l’ONU interrogèrent plus de 1200 témoins de ces violences.
Avant même sa parution, le rapport fut vilipendé par Kigali, qui considérait que ce document, plus qu’une simple compilation de crimes de guerre, avait pour objectif caché d’accréditer la thèse du « double génocide », celui des Hutus et des Congolais. Aux yeux du pouvoir rwandais, cette thèse du « double génocide », toujours répandue dans le Congo d’aujourd’hui, relativisait la tentative d’extermination des Tutsis du Rwanda et occultait la complicité d’une France qui avait soutenu jusqu’au bout le pouvoir génocidaire.
A la veille de sa sortie -que des pressions politiques rendaient incertaine- le rapport fut opportunément publié dans les colonnes du quotidien Le Monde. Lors de sa publication le 1er octobre 2010, le Rwanda, qualifia ce document d’ « outrancier et préjudiciable » et Kigali menaça les Nations unies de retirer immédiatement ses 3500 Casques bleus qui se trouvaient au Soudan.
La première phase de la guerre diplomatique fut remportée par Kigali et le rapport, truffé de conditionnels et d’assertions non vérifiables, fut jugé inutilisable sur le plan judiciaire. Le document fut cependant publié, mais les noms des auteurs présumés des crimes demeurèrent confidentiels. Et pour cause : non seulement Kigali, avec l’appui des Américains, exerçait une forte pression sur l’ONU, mais, à la faveur des accords de paix de Sun City, conclus en 2002 et soutenus par la communauté internationale, nombreux étaient les officiers responsables des crimes de guerre et issus des mouvements rebelles pro rwandais qui avaient été intégrés dans l’armée congolaise. Leur impunité avait en quelque sorte été le prix de la paix, la contrepartie du départ des armées étrangères et de la réunification d’un Congo jusque là occupé et divisé. Vingt ans plus tard, des postes clés au sein de l’armée congolaise sont toujours détenus par des hommes comme Gabriel Amisi Kumba dit Tango Fort, inspecteur général des forces armées après avoir été chef d’état major général, et qui avait participé à la guerre de Kisangani en 2000. Cette intégration de criminels de guerre au sein de l’armée découle toujours de la logique de ces accords de paix qui furent, à l’époque, appuyés par la communauté internationale… Par la suite, de nombreux officiers, Tutsis congolais ou d’origine rwandaise, intégrés dans l’armée congolaise, comme Laurent Nkunda, (qui vit au Rwanda) Bosco Ntaganda, (actuellement entre les mains du Tribunal pénal international), Sultani Makenga, chef du M23 et qui est réfugié en Ouganda, prirent les armes avec l’appui de Kigali et endeuillèrent une fois encore l’Est du Congo…
Révélateur de massacres passés sous silence, utilisé comme instrument de la « guerre de basse intensité » et de dénigrement longtemps poursuivie par la France à l’encontre du Rwanda et renforçant l’hypothèse d’un double génocide, le rapport Mapping a refait surface grâce au plaidoyer du Docteur Mukwege, soutenu par un Luc Henkinbrant désormais retraité de l’ONU. Sorti de l’oubli, le document rencontre un succès croissant au sein de l’opinion congolaise qui exige que la justice internationale se saisisse du document et mette fin à l’impunité. Est-il besoin de préciser qu’après la clôture du rapport en 2003, bien d’autres crimes ont encore été commis et que les groupes armés se sont multipliés, mis au service des ambitions de politiciens congolais…