-« Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à … prêcher ». Entendu au dernier festival d’humour Toseka, en juin 2013 à Kinshasa, ce détournement du célèbre dicton de Confucius résume bien la situation des « Églises de réveil » en RDC. « Aujourd’hui, une Église rapporte plus qu’une boîte de nuit », assure Mwinyi Hamza Badjoko, anthropologue et opposant politique. Les fidèles sont prêts à se priver pour donner de l’argent à leur « berger ». Ils considèrent ce sacrifice comme un acte de foi et espèrent en retour contracter un mariage, trouver un emploi, voire obtenir un visa pour l’Europe. Dans les faits, ce sont bien sûr les pasteurs qui s’enrichissent, au point de s’acheter villas et belles voitures. Un exemple ? Pascal Mukuna, très populaire à Kinshasa, ne roule qu’en Lincoln Navigator, tantôt en version blanche, tantôt en version noire … Le prix d’un tel véhicule : pas moins de 55 000 euros. Une telle « vitrine » explique pourquoi les Églises de réveil poussent comme des champignons dans la capitale congolaise – on en compte jusqu’à deux ou trois par rue. « Impossible de connaître leur nombre exact : Certaines sont enregistrées auprès de l’hôtel de ville en tant qu’association à but non lucratif, comme l’impose la loi, mais d’autres restent dans l’informel », admet un fonctionnaire municipal à Kinshasa. CRÉER UNE ÉGLISE EST DEVENUE UNE SORTE DE « DÉBOUCHÉ SUR LE MARCHE DU TRAVAIL » « Le phénomène s’est développé au début des années 1970 avec le mouvement du Renouveau charismatique apparu au sein des Églises traditionnelles, décrypte l’abbé Gilbert Shimba, docteur en théologie et professeur de sociologie des religions. Les adeptes de ce courant, gagnés par les enseignements pentecôtistes, se sont détachés du catholicisme pour lancer des Églises dites de réveil. Le pasteur y occupe une place prépondérante dans la vie du fidèle : c’est lui qui sauve, et non plus les sacrements ». Cette tendance a pris de l’ampleur autour des années 1990, après l’échec des politiques d’ajustement structurel imposées par les institutions de « Bretton Woods ». La grogne sociale est à son comble, le peuple a perdu toute confiance en l’État et se tourne vers la religion. De nouvelles Églises se développent, issues à la fois de mouvements évangéliques, pentecôtistes, charismatiques et prophétiques. Dans un pays à fort taux de chômage, créer une Église est vite devenu une sorte de « débouché sur le marché du travail pour certains jeunes diplômés en quête d’emploi », observe Mélanie Soiron-Fallut, anthropologue spécialiste des mouvements religieux en Afrique centrale : « Le statut de pasteur confère une position importante dans la société, dans la mesure où la vie sociale de beaucoup d’adeptes tourne autour de l’église, devenue le nouveau lieu de sociabilité. On n’y va plus seulement le dimanche, mais trois ou quatre fois par semaine. Le leader religieux est désormais considéré comme le relais social qui remplace la famille et, surtout, les structures étatiques défaillantes ». Pour conserver cette emprise, les pasteurs multiplient les initiatives : campagnes d’évangélisation, journées de guérison, veillées de prière … La conquête des esprits prend des allures de compétition entre prédicateurs, qui n’hésitent plus à lancer des chaînes de radio ou de télévision pour se faire connaître et grossir les rangs de leurs fidèles. Plus ceux-ci seront nombreux, plus les « bénédictions », qui s’achètent à prix d’or lors de grands rassemblements de prière dans les stades, seront rentables. Huile miraculeuse, bouteilles de vin porte-bonheur, bibles bénies, stylos de réussite… Ces prédicateurs promettent tout et n’importe quoi pourvu qu’ils y trouvent leur compte, à savoir bijoux et liasses de billets. LES POLITIQUES COURTISENT LES LEADERS RELIGIEUX Leur influence sans cesse grandissante dans la société n’échappe pas au radar des politiques. « Les pasteurs sont écoutés par leurs ouailles, drainent des foules, remplissent des stades : Mieux vaut les avoir avec vous plutôt que contre vous », reconnaît un élu de Kinshasa. Ainsi, en fonction de leur ascendant, les leaders religieux sont plus ou moins courtisés par la classe politique. Il existe désormais les pasteurs proches du pouvoir et ceux de l’opposition. Pour peser davantage, ils se regroupent dans des plateformes : la structure la plus ancienne, Églises de réveil du Congo, se dit « le partenaire social incontournable du gouvernement » ; l’Alliance mondiale des Églises chrétiennes est présidée par Pascal Mukuna, réputé proche de Marie-Olive Lembe di Sita, l’épouse du chef de l’État ; et le Haut Conseil des Églises de réveil charismatiques et autres compte parmi ses anciens responsables Jean-Marie Runiga, président du Mouvement du 23-Mars en avril 2012. « Pendant les campagnes électorales, ces pasteurs drainent les foules pour les candidats moyennant quelques billets de banque », lâche Freddy Kita, secrétaire général du parti Démocratie chrétienne … Et responsable à Kinshasa de la Mission évangélique pour le salut du monde, une Église qui refuse jusqu’ici de rejoindre l’une ou l’autre association. UNE JEEP DE 25 000 EUROS CONTRE LA PROMESSE DE FIGURER DANS LE GOUVERNEMENT Car le mélange des genres comporte des risques. Depuis avril 2013, le « prophète des nations » Denis Lessie est ainsi poursuivi pour « rançonnement de hautes autorités ». Leader de l’Église Arche de Noé, il aurait arnaqué Jean-Baptiste Ntahwa, ancien ministre du Budget. Se faisant passer pour le conseiller spirituel de Joseph Kabila, d’abord accompagné d’un lieutenant de l’armée présenté comme le chauffeur personnel du chef de l’État puis d’un étudiant campant le rôle du petit frère du président, il aurait obtenu de sa victime une Jeep d’une valeur de 25 000 euros en échange de la promesse de figurer dans le prochain gouvernement. Pour sa défense, le pasteur soutient qu’il s’agissait d’une donation. Il a même produit l’acte de cession devant les juges. La voiture lui a effectivement été cédée, mais, selon la partie adverse, elle devait être mise en vente par la suite pour en acheter une neuve au chef de l’État. Si l’affaire éclabousse les Églises de réveil, elle ne suffit pas à estomper l’influence des pasteurs sur les Kinois. Les « hommes de Dieu » peuvent dormir sur leurs deux oreilles, car « les Églises servent aujourd’hui à absorber les frustrations d’une population qui a besoin de trouver la solution à ses problèmes », soutient l’anthropologue Mwinyi Hamza Badjoko. L’espoir placé en leur mentor, c’est tout ce qui leur reste. Cordialement, La Direction du « RÉSEAU NERRATI-PRESS ». |
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