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Qui a tué Floribert Chebeya en RDC?


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Source: L’Express

Il y a quatre mois, cette figure de proue du combat pour les droits de l’homme en République démocratique du Congo était assassinée. Les pistes de ce meurtre dévoilent les maux qui rongent le pays: brutalité et impunité.

L’ado fluet dégaine son téléphone portable et programme la chanson hip-hop enregistrée avec ses frères et soeurs en hommage au père assassiné.

 Puis Florny s’éclipse sans un mot dans sa chambre. Sur la porte, des dessins au trait juvénile célèbrent un anniversaire in absentia: “47 ans de Papa Floribert”, “Nous t’aimons plus que tout.” Le lendemain 16 septembre, Annie, la veuve du défunt, et les cinq enfants du couple quitteront Kinshasa pour le Canada, leur terre d’asile. “Je les mets à l’abri, murmure la mère, et je reviens pour le procès.” Si procès il y a.

Le meurtre de Floribert Chebeya, directeur exécutif de l’ONG La Voix des sans-voix (VSV) et figure de proue du combat pour les droits humains en République démocratique du Congo (RDC), jette une lumière crue sur les maux qui rongent l’ex-Zaïre: brutalité, opacité, impunité. Il révèle aussi les travers d’un pouvoir autiste, arrogant, miné par les luttes de clans, le primat de la force sur la loi, l’insigne faiblesse de la justice et l’emprise orwellienne de l’appareil sécuritaire – armée, police, services de renseignement. Il dévoile enfin une tenace propension à manipuler les faits comme l’opinion.

AFP/ETIENNE ANSOTTE

Floribert Chebeya.
Le 2 juin, on découvre dans le quartier de Mitendi le corps sans vie de Chebeya, menotté dans le dos et allongé sur la banquette arrière de sa Mazda. En revanche, nulle trace de son cousin par alliance, Fidèle Bazana, militant et chauffeur de VSV. Les assassins ont tenté, au prix d’une mise en scène hâtive et grotesque, de maquiller leur forfait en crime passionnel, voire sexuel. Aux abords du cadavre de “Flori”, dont le pantalon a été baissé jusqu’aux chevilles, ils ont semé préservatifs usagés, comprimés de Viagra, mèches de cheveux et faux ongles. Ne manquent que le sachet de coke et les sex-toys…

Scénario d’autant plus inepte que l’inlassable procureur des satrapes kinois, du maréchal Mobutu à la dynastie Kabila – le père, Laurent-Désiré, hier, le fils, Joseph, aujourd’hui – avait rendez-vous la veille à 17 h 30 avec John Numbi, inspecteur général de la police nationale congolaise (PNC). Quelques minutes avant l’heure H, Floribert envoie deux SMS à son épouse, Annie : “Suis devant le bureau”, puis “Restons en contact”. Plus tard, leur fille Merdie lui suggère par texto d’acheter des saucisses sur le chemin du retour. La réponse – “Bien reçu, bon appétit d’avance” – l’intrigue. “Papa n’écrit jamais comme ça”, s’étonne-t-elle auprès de sa mère. Laquelle tente vainement de joindre son mari. Le soir venu, Annie alerte les amis. Et, le lendemain matin, tous filent au siège de la police. Peine perdue: on ne l’a pas vu… Mensonge éhonté: un témoin certifiera avoir aperçu “Flori” à deux pas des bureaux de John Numbi, le policier, et de son bras droit, Daniel Mukalay. Dire qu’au temps où les nervis de Mobutu persécutaient le même Numbi, Chebeya le planquait chez Lolo la Crevette, un petit hôtel de son quartier, lui procurant vivres et vêtements…

Pourquoi lui? Pourquoi maintenant? Aux yeux d’un régime qu’obsède l’échéance présidentielle de 2011, les motifs de “liquider” ce gêneur natif du Kivu (Est) abondent. Harcelé, contraint parfois de plonger dans la clandestinité, Floribert Chebeya a exhumé des oubliettes congolaises les scandales et les tabous les plus brûlants. A commencer par les mystères de la lignée Kabila : l’incertaine filiation de Joseph ou l’assassinat, en janvier 2008, de son indocile demi-soeur Aimée. Le franc-tireur de VSV eut encore le tort de dénoncer l’exécution, dès 2000, d’Anselme Masasu, l’un des cofondateurs de l’Alliance qui porta au pouvoir Laurent-Désiré. Il fustigera les massacres des insurgés d’un mouvement mystico-politique du Bas-Congo, Bundu dia Kongo, ou la répression fatale aux militaires rebelles de la province de l’Equateur. “Le message est limpide, soupire un militant des droits civiques. Si l’on peut tuer Floribert, pas un de nous n’est à l’abri. On va tous y passer.”

IDE
“Il n’y a pas de crime parfait”, assène un vieil avocat. Surpris par l’impact de ce deuil, tant au pays qu’à l’étranger, le pouvoir s’efforce, avec un empressement inédit, d’allumer des contre-feux. “Résolu à faire toute la lumière”, Joseph Kabila convoque, le 5 juin, une session extraordinaire du Conseil supérieur de la défense. Elargie aux pontes du Parlement et de la justice, la réunion aboutit à la suspension, “à titre conservatoire”, du général Numbi. Une demi-mesure qui ne suffit pas à apaiser l’émoi des partenaires occidentaux – et bailleurs de fonds – de l’ancien Zaïre. On consent donc à confier l’autopsie à une équipe de médecins légistes congolais et néerlandais. Evasives aux yeux du profane, ses conclusions alimentent la thèse du tabassage qui dérape. Les violences infligées à Floribert Chebeya, atteint d’une malformation cardiaque, n’auraient “pas joué un rôle significatif” dans son décès.

La riposte prend parfois un tour insolite: en août, Luzolo Bambi, ministre de la Justice et des Droits humains, publie un “Livre blanc”, plaidoyer pro domo présenté sous la forme d’un “hommage” à Chebeya. Maladresse? Le général John Numbi y apparaît au premier rang des “officiers soupçonnés”. L’opération de diversion suppose le verrouillage de l’enquête, confiée à la justice militaire, et l’emprisonnement de quelques suspects, fussent-ils de simples lampistes.

“Nous avions reçu l’ordre de l’assassiner”

A défaut d’accéder au dossier, les avocats des familles Chebeya et Bazana apprennent l’inculpation d’une demi-douzaine de gradés de la police, dont deux en fuite. Tous originaires du Katanga, comme Numbi, et tous placés sous son autorité. Le plus capé d’entre eux : le colonel Daniel Mukalay, adjoint du général. Dans le courant de juin, un certain Amisi Mugangu, membre, à l’en croire, du commando, adresse par téléphone et par courrier électronique divers messages à une poignée d’expatriés en poste à Kinshasa, puis à un journaliste du site Congoindependant.com.

Ce commissaire adjoint des renseignements de la PNC soutient avoir été exfiltré au lendemain du meurtre vers l’Ouganda, via Brazzaville et Addis-Abeba. Et ce sur instruction de Numbi, lequel lui aurait fourni argent et billet d’avion. Truffé de détails, son récit accable le patron de la police ainsi que Joseph Kabila, dépeint sous les traits du commanditaire. Il y est question d’une embuscade avortée, dès le 23 mai, non loin du domicile de Floribert Chebeya, ainsi que de l’immersion dans les eaux du fleuve Congo du cadavre de Fidèle Bazana. Le 8 octobre, après un silence de plus de trois mois, Mugangu a envoyé à l’auteur de ces lignes un e-mail dans lequel il affirme avoir été arrêté et torturé au Kenya par des agents aux ordres de Kabila. Puis s’être enfui, échappant ainsi à un périlleux rapatriement, grâce à la bienveillance d’un “policier de bonne foi”.

DPA/AFP/Maurizio Gambarin

Le général John Numbi (à gauche), inspecteur général de la police congolaise. Chebeya avait rendez-vous avec lui le jour de sa disparition.
Aveux crédibles ou manoeuvre visant à mouiller Numbi et Kabila? Les “congologues” ébauchent à ce stade cinq scénarios. Citons pour mémoire la bavure, rançon d’une raclée mal dosée par une bande de pieds nickelés. Thèse que balaie le fuyard Mugangu: “Nous avions reçu l’ordre d’assassiner Floribert.” Le mobile selon lui? Un rapport que le pionnier de VSV était censé consacrer à la fortune de “Joseph”, chiffrée en millions de dollars. Il n’empêche: les enquêteurs eux-mêmes enfilent les bourdes. Quand l’auditeur général militaire, maître de l’instruction, envoie à l’épouse de Fidèle, officiellement “disparu”, une convocation, il l’adresse à la “Veuve Bazana”…

Maints experts jurent que l’arrêt de mort ne peut émaner que du chef de l’Etat; d’autres, tout aussi péremptoires, que John Numbi, 48 ans, naguère patron du bataillon Simba, unité d’élite de l’armée, jouit d’une assise suffisante pour prendre seul l’initiative de l’hallali. Vient ensuite la théorie du complot, qui exonère le général, relègue Chebeya au rang de victime collatérale et se décline en deux variantes. Il s’agit – version 1 – de fragiliser “Jo” Kabila et John Numbi, artisans l’un et l’autre du rapprochement amorcé avec le Rwanda de Paul Kagamé. La version 2? Joseph aurait sinon orchestré le meurtre, du moins tiré profit du drame pour réfréner les ambitions supposées du général. “Kabila et Numbi partagent trop de secrets; leurs destins sont liés”, nuance un analyste onusien. Avant d’énoncer une ultime supposition: le superflic paierait le détournement d’une saisie de cocaïne opérée au printemps 2009 dans un avion venu du Brésil. Poudre aux yeux?

Kabila mise sur la veulerie de l’Occident

Les partisans de Numbi jugent douteuse la profusion d’indices tendant à l’incriminer. “John a beaucoup d’ennemis, glisse l’un de ses avocats, par ailleurs député du parti présidentiel. Surtout au sein de la faune politique.” Etrangement vêtu d’un maillot du Onze de France de football, ce prof de droit dément la confession de Mukalay; lequel aurait craqué à l’instant d’être incarcéré, s’offusquant de “payer pour l’autre”. En clair, pour son supérieur. Le 2 octobre, quatre mois jour pour jour après le martyre de Chebeya, Armand Tungulu, opposant résidant d’ordinaire en Belgique, est retrouvé mort dans un cachot de la garde présidentielle à Kinshasa. Version officielle: suicide. Trois jours auparavant, il avait été tabassé et embarqué pour une pierre jetée sur le convoi de Kabila.

Journalistes insoumis, militants de la société civile: en cinq ans, le pouvoir a inspiré ou couvert une dizaine de meurtres, souvent perpétrés dans ce pandémonium qu’est devenu l’est du pays. Asservie et corrompue, la justice congolaise épingle au mieux quelques sous-fifres. Nul doute que Kabila mise, cette fois encore, sur la veulerie de l’Occident, enclin, le temps de l’indignation passé, à se plier aux impératifs de la realpolitik. Au nom de la “stabilité régionale”, des contrats miniers et – un comble – de la “consolidation de la démocratie”. “Calcul voué à l’échec, tonne un diplomate. Nous exigerons un procès équitable et transparent.” Il faudra bien cela pour que Florny embarque un jour à bord d’un vol de retour Ottawa-Kinshasa.

De notre envoyé spécial

Par Vincent Hugeux, publié le 15/10/2010 à 14:30
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