-Le gouvernement congolais a déposé un projet de révision constitutionnelle pour l’organisation des futures élections. Comme en 2011, Joseph Kabila changera-t-il une nouvelle fois les règles du jeu ?
La Constitution est en passe d’être modifiée en République démocratique du Congo (RDC). Le gouvernement vient en effet d’adopter un projet de révision constitutionnelle dans le cadre des prochaines élections. Le texte validé en conseil des ministres, lundi 9 juin, prévoit trois lois pour organiser les élections locales de 2015, provinciales et présidentielle de 2016 (télécharger le communiqué du gouvernement). Mais la modification constitutionnelle inquiète l’opposition congolaise qui dénonce le flou du projet et la volonté du président Joseph Kabila « de tout faire pour se maintenir au pouvoir« . Le texte du gouvernement n’apporte en effet aucune précision sur les modifications de la Constitution et parle seulement de « certains articles« .
Suffrage indirect pour les sénateurs et les gouverneurs
Seule certitude du texte gouvernemental : le changement de mode de scrutin pour l’élection des sénateurs et des députés provinciaux qui se fera désormais au suffrage universel indirect, par des élus locaux. L’objectif affiché par Kinshasa est de réduire le budget de ces élections, qui coûteront ainsi moins cher à organiser. Pour l’Association Africaine de Défense des Droits de l’Homme (ASADHO), « les raisons financières avancées pour justifier ces modifications ne sont que la manifestation du manque de programmation du gouvernement« . L’association avertit également que le mode de scrutin indirect risque d’amplifier « le clientélisme l’achat de conscience et la corruption » comme lors des élections des gouverneurs et des sénateurs de 2006 à 2011.
« C’est la deuxième fois que la Constitution est modifiée à la veille des élections »
Pour le reste du projet de révision constitutionnelle, l’incertitude plane. Plusieurs hypothèses sont « redoutées » par l’opposition. La première serait le modification de l’article 220, qui interdit au président Kabila de briguer un troisième mandat. La communauté internationale, Etats-Unis en tête, ont plusieurs fois demandé à Joseph Kabila de « respecter la Constitution » (voir notre article sur la visite de John Kerry à Kinshasa). L’entourage du chef de l’Etat, dont le porte-parole, Lambert Mende, a tenté à de nombreuses reprises de rassurer, dénonçant un « procès d’intention » contre le président congolais. Pourtant, les craintes de l’opposition sont bien réelles selon l’ASADHO, qui constate que « c’est la deuxième fois que la Constitution est modifiée par la majorité au pouvoir à la veille des élections« . En janvier 2011, dix mois avant l’élection présidentielle, la majorité avait réduit le scrutin de deux tours à un seul tour, interdisant ainsi les partis d’opposition de nouer des alliances entre les deux tours.
Silence présidentiel
Le silence du chef de l’Etat est également inquiétant sur la question. Car pour couper court aux rumeurs sur sa volonté de rester au pouvoir, Joseph Kabila aurait pu décider de s’exprimer sur ses intentions pour 2016. Au lieu de cela, le président a distillé des messages les plus ambiguës, comme ces « fuites » sur sa réunion avec des cadres de la majorité dans sa ferme de Kingakati en mars 2014. Joseph Kabila aurait affirmé vouloir modifier la Constitution afin que le président soit désormais élu au suffrage indirect. Une hypothèse qui pourrait « coller« , selon un connaisseur du dossier congolais, avec la volonté de faire élire les gouverneurs et les sénateurs « sur le même mode » et ainsi « contourner le vote des Congolais« . Le discours « musclé » et « conquérant » de Joseph Kabila devant ses troupes à Kingakati, faisait enfin penser que le chef de l’Etat congolais, à seulement 43 ans, ne semblait pas encore disposé à raccrocher les gants. Dernièrement, Lambert Mende est de nouveau monté au créneau pour réaffirmer que le texte du projet de révision « ne prévoyait pas de modification de l’article 220 » qui limite le nombre de mandats présidentiels et « qu’il n’y aura pas de modification du mode de scrutin, qui resterait au suffrage universel direct« .
Un premier ballon d’essai
Dernière carte entre les mains de Joseph Kabila pour se maintenir au pouvoir, nous en avons déjà plusieurs fois parlé : le chronomètre (voir notre article). Maître du temps, Joseph Kabila pourrait prolonger son mandat sans avoir besoin de modifier fortement la Constitution et notamment le très sensible article 220. Les simples modifications « techniques » proposées par le gouvernement ce lundi pourraient suffire à « étaler » les différents scrutins dans le temps puisque les trois scrutins (élections locales, provinciales et présidentielle) sont désormais dissociés. Auparavant une seule loi électorale regroupait ces scrutins. Si ce projet de modification constitutionnelle est adopté : tout retard dans l’organisation des scrutins pourrait permettre au président Joseph Kabila de jouer les prolongations. Le texte présenté au conseil des ministres ressemble donc à un premier ballon d’essai du clan présidentiel pour tester l’opinion, l’opposition et la communauté internationale. Car, si les élections locales doivent bien avoir lieu en 2015… la date des autres scrutins n’a pas encore été fixée.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia