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RDC: Les petits fermiers exigent la stabilité d’exploitation des terres

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Par Charlotte Nyembo

KINSHASA- Plus de 800 petits agriculteurs organisés en coopératives dans les environs de Kinsasa, en République démocratique du Congo (RDC), pourraient produire suffisamment de riz et de légumes pour toute la population de la capitale estimée à quelque huit millions d’habitants, selon le ministère de l’Agriculture.

Mais, ils affirment ne pas pouvoir exploiter de manière durable et stable les terres qu’ils occupent et qui leur sont arrachées pour être loties en terrains de construction immobilière, notamment à Mimoza, Maluku, Mpasa, Bandalungwa, N’Sele et Kingabwa, qui sont quartiers ruraux aux alentours de la capitale.

La situation est plutôt triste pour Françoise Makulu, une productrice de légumes. «Pendant plus de cinq ans, je produisais plus de 200 kilos de légumes chaque trimestre en exploitant seulement 100 mètres carrés de terre sur la pépinière qui se trouve en face de l’Institut supérieur de commerce de Kinshasa. Mais, depuis une année, la pépinière a été vendue à des commerçants libanais qui, en quelques semaines seulement, y ont érigé quatre immeubles», affirme-t-elle à IPS.

Il n’y a pas de chiffres sur la quantité de riz produite et sur les périodes de culture de cette céréale dont les semences seraient même irrégulières par rapport à la culture des légumes.

«Ma production trimestrielle me permettait de couvrir tous les besoins alimentaires de ma famille, à payer le loyer de la maison dans laquelle nous vivons et à payer les frais scolaires de tous mes enfants», déclare Makulu. Elle dit qu’elle est «désormais obligée de revendre du poisson racheté auprès des grossistes» au marché de Selembao; une des 24 communes de Kinshasa, afin de faire survivre sa famille.

Pourtant, selon Norbert Bashengezi, ministre de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Elevage, «le gouvernement est prêt à aider ces petits agriculteurs à produire davantage et à peu de frais; surtout qu’ils sont constitués à plus de 80 pour cent de femmes». Selon le ministre, les femmes sont les «premières à prendre conscience pour nourrir les enfants, payer leurs frais scolaires, au moment où les hommes ayant abandonné le travail des terres, s’adonnent à la lecture des journaux et à …la télévision».

Ces déclarations du ministre ne rassurent pas Laurentine Vakoko, une autre ancienne productrice de légumes, dépouillée de son champ le long de l’avenue Kasa Vubu à Bandalungwa. «Comment un gouvernement qui prétend aider les petits agriculteurs et fermiers peut-il leur ravir ce qu’ils possèdent de si essentiel pour leur travail?», demande-t-elle à IPS.

«Enlever les terres aux petits agriculteurs qui contribuent à lutter contre la faim, c’est renforcer l’insécurité alimentaire dans notre pays. La seule aide que nous attendons désormais du gouvernement, c’est la garantie de la stabilité d’exploitation des terres», déclare, à son tour, Génie Kamanda, qui cultive le riz à N’Sele depuis plus de cinq ans. Elle dit néanmoins avoir eu l’avantage de bénéficier des houes, bêches, semences et fertilisants gratuitement distribués par le gouvernement en mai 2009.

«Les investisseurs dans l’agriculture doivent comprendre qu’à travers son programme de lutte contre l’insécurité alimentaire, le gouvernement voudrait leur assurer la stabilité d’exploitation des terres, puisque depuis janvier 2009, il a déjà investi plus de 500 millions de dollars américains pour aider certains d’entre eux avec des matériels aratoires et d’autres intrants», rassure le ministre Bashengezi, s’adressant à IPS.

«Une déclaration de plus comme on en entend tous les jours! Le ministre rassurerait nos collègues dépouillés de leurs champs s’il nous disait qu’il existe désormais ou qu’il va initier une politique concertée entre son ministère et celui qui a la charge de la gestion des terres», affirme John Mbaka, membre de la coopérative agricole des producteurs des légumes de la Changu, un des quatre districts de Kinshasa.

Pascal Mavungu, un ingénieur agronome congolais, souhaite voir ce débat s’élargir à d’autres acteurs sociaux du domaine agricole. Pour lui, «la recherche de solution au dépouillement des terres cultivées ne doit pas se limiter aux échanges entre le couple gouvernement-petits agriculteurs puisque la société civile doit y trouver une place et jouer son rôle interpellateur sans lequel le gouvernement déjà si puissant ne saurait être infléchi par un groupe d’agriculteurs vulnérables».

Mais, «comment compter sur une société civile qui gaspille les 60 pour cent de ses financements dans des réunions d’auto-renforcement des capacités ou sur des associations qui n’ont pas d’adresse, qui viennent retirer des intrants au ministère pour les revendre à 10 mètres des 12 entrepôts?», rétorque Bashengezi, s’exprimant devant un parterre de journalistes et d’agriculteurs.

«Il est vrai que la société civile congolaise souffre de plusieurs incapacités et d’une désorganisation», reconnaît Fernandez Murhola, président de la société civile de Kinshasa, mais pour qui «on ne saurait pas généraliser les insuffisances de certaines organisations sur toute la structure».

Murhola ajoute à IPS : «Il est vrai en même temps que les associations du domaine agricole ne sont pas encore suffisamment bien structurées. Cela est dû au fait que l’agriculture ne constitue pas encore un enjeu de grands débats dans notre pays. Mais les autres associations, qui existent depuis des années dans divers secteurs de la vie sociale, ont pu tout de même aider à recadrer l’action du gouvernement par des actions concertées de lobbying et de plaidoyer». (FIN/2009)

Emmanuel Chaco

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