La date du 24/04/1990 est venue s’ajouter à de nombreux autres rendez-vous manqués de notre histoire politique, ces événements à propos desquels le peuple congolais a nourri tant d’espoirs mais qui – à l’instar du 30/06/1960 par exemple – n’ont accouché que d’une souris, laissant à beaucoup un gout d’inachevé et suscitant à la fois frustration et déception. Ce jour-là, comme le MPR venait de tomber de son piédestal sous la sécousse de la perestroika dont l’onde de choc venait de se faire sentir jusqu’aux bords du fleuve Congo, l’inimaginable s’est produit avec la proclamation du multipartisme. Enfin, soupirait-on, cette compétition politique donnera aux acteurs politiques de rivaliser d’imagination au sein de leurs formations politiques respectives afin de conduire ce grand pays vers le progrès auquel il aspire ; enfin, une nouvelle classe politique insufflera du sang neuf au jeu politique et corrigera les travers du MPR en sortant des sentiers battus. Enfin, se permettait-on de rêver, l’alternance est envisageable à terme. Vingt ans après, toutes ces aspirations légitimes sont restées vœux pieux. Alors que l’on s’attendait à ce que de même qu’il y ait un gouvernement qui gouverne (quoique mal) il y ait pareillement une opposition qui s’oppose en se posant en vigile et en alternative crédible, on a beau chercher une telle opposition mais elle fait cruellement défaut, pointée plutôt aux abonnés absents.
Au vu de la mauvaise gouvernance chronique en RDC et considérant de quand date la proclamation du multipartisme, il semblerait tout naturel d’envisager l’existence d’une opposition politique forte mais malheureusement les faits démentent cette logique car aucun parti politique viable n’a pu surgir jusque- là afin de faire face à sa contrepartie gouvernementale de manière responsable. Voyons-en les raisons.
Causes de stagnation de l’opposition politiques
L’opposition a du mal à convaincre qu’elle peut gérer autrement et mieux. Que ce soit en matiere d’idées nouvelles ou de bonne gouvernance , aucune formation politique ne s’est posée en alternative crédible en démontrant qu’elle peut mieux s’y prendre que ceux qui sont actuellement aux affaires (le gouvernement) : savoir gérer autrement et mieux. L’opposition se borne à publier des communiqués rejetant des décisions gouvernementales plutot que présenter des contre-propositions crédibles. En plus, ces vingt années ont été suffisantes pour éclairer l’opinion sur le type d’hommes et femmes que sont réellement ceux qui se présentent comme « Opposants ». Certains opposants passés au gouvernement ou associés à la gestion de la chose publique à un moment ou à un autre ont détruit le mythe de bonne gouvernance autrefois associé à l’opposition. Des dirigeants de l’opposition ayant une image d’intégrité du genre E. Tshisekedi ou feu Joseph Iléo se comptent sur les doigts d’une main. C’est au plus roublard, tricheur ou menteur que vaut le mérite puisque la course vers l’enrichissement illicite et la corruption est la plus populaire en RDC. Feu Mungul Diaka usait de sa dérision connue quand il disait que « le véhicule est toujours le même mais c’est le chauffeur qui a changé », traduisez : le système (corruption, népotisme et dictature) reste le même, cela meme si les leaders politiques ne sont plus les mêmes. Le peuple, désabusé, constate que l’Opposition politique et gouvernement c’est bonnet blanc blanc bonnet et jette l’éponge, retirant de plus en plus sa confiance à l’opposition.
Les partis d’opposition manquent de projet porteur. Contrairement aux partis politiques des années 60/70 qui avaient des objectifs qui faisaient tant rêver leurs membres ( luttaient pour ou contre l’indépendance, pour le libéralisme du marché ou l’économie socialiste ou se battaient en vue de l’instauration du multipartisme), il est à constater que la plupart de partis politiques congolais ont des objectifs banals, disons terre-a-terre : souvent sensés s’engager à « lutter contre les injustices » ou « promouvoir les libertés » oubliant la formule « il faut accrocher vos rêves aux etoiles ». D’autres au contraire ont des objectifs grandiloquants (« fin de la pauvreté pour tous ») et de ce fait ne sont pas pris au sérieux. Les fondateurs de ces partis n’ayant pas suffisamment creusé dans l’imagination ni dans le vecu quotidien des populations pour trouver des objectifs à même de galvaniser les esprits et les cœurs des potentiels membres, des idéaux élevés pour quoi lutter. En conséquence l’intérêt de ceux-ci s’est relativemt émoussé.
Pas de dividendes matérielles pour leurs membres. La rélation entre l’individu et son parti politique est souvent du type matériel ; beaucoup ne voient pas ce qu’ils devraient faire pour leur parti mais raisonnent ainsi : « j’adhère à tel parti politique pour ce qu’il me donnerait en terme de promotion sociale ou la protection qu’il peut m’accorder». Mais de l’avis de beaucoup cependant, aucune rétribution matérielle ne découle d’un quelconque soutien à l’opposition. La raison est simple : la RDC est un environnement où tous les clignotants économiques sont au rouge et y être connu comme membre de l’opposition offre souvent peu de garantie d’avoir un « bon » travail voire même de conserver celui que l’on aurait, l’essentiel des entreprises étant étatiques ou para-étatiques, c’est- à -dire propriété du gouvernement. En conséquence, contrairement aux partis au pouvoir qui peuvent puiser à volonté dans les caisses publiques ou compter sur les cotisations de leurs membres hauts placés, un parti d’opposition fait difficilement face à la gestion courante pour défaut de ressources, la pauvreté ambiante étant la cause principale. Pire, ses membres ne peuvent même pas compter sur lui pour les « dépanner » en cas de pépin : maladie, deuil, prêt, etc. Les difficultés auxquelles l’UDPS à fait face en vue de réunir les fonds servant à l’organisation de son Congres l’attestent, les partis d’opposition étant généralement pauvres.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la boutade du « faux chauve » relatée par E. Tshisekedi en son temps : ceux qui entraient dans l’opposition pensant qu’elle ressemblait à un sprint qui les conduiraient rapidement au pouvoir (et par delà à la jouissance) se détrompent car il était plutôt question d’une course de fond, un combat de longue haleine dont personne ne connaissait l’issue. Beaucoup se sont essoufflés une fois confrontés à cette réalité et … ont cessé de s’opposer en quittant les rangs du parti car être opposant étant difficile à assumer. « L’opposition ne peut pas faire vivre son homme » murmure-t-on souvent à Kinshasa. Et quand leur arrive des rumeurs de distribution d’argent de « l’autre coté », c’est- à -dire à la Présidence, beaucoup n’hésitent pas à franchir le Rubicon.Partant l’opposition a peu d’attrait pour beaucoup.
Infantilisme démocratique à l’oeuvre. Les effets du balbutiement démocratique sont encore visibles, les cadres des partis n’ayant pas encore intériorisés les règles et principes régissant le fonctionnement d’un parti politique. Lorsqu’un cadre est discipliné à la suite d’un écart au regard du réglement d’ordre en vigueur au sein du parti ou mis en minorité, il y en a qui assimilent cela à un rejet et, se sentant humiliés, ils quittent leur parti, ce qui a pour effet de désorienter leurs membres. Par ailleurs, par naiveté ou amateurisme, lorsque un événement semble favoriser l’opposition ses membres laissent souvent échapper l’occasion d’en tirer des dividendes politiques ou de capitaliser. Quand le Marechal avait pris congé du MPR le 24/04/1990 tous les juristes de l’opposition n’avaient pas vus un hiatus pouvant le conduire à la démission étant donné que de par la constitution en vigueur le Président du MPR était ipso-facto chef d’Etat. Lorsque pendant l’entre deux tours en 2006 l’on s’attendait à un débat télévisé entre les candidats restés en lice (Kabila et Bemba), l’on sait que le premier à tort ou à raison, s’est soustrait à cet exercice démocratique obligatoire qui lui aurait été fatal à cause de ses carences intellectuelles évidentes : il ne maitrise aucun dossier et n’est pas à l’aise face à la camera. L’opposition prit simplement acte de l’indisposition de la partie adverse et se tut. Capitaliser sur l’escamotage du débat contradictoire aurait peut-etre eu d’autres effets dans la suite.
Des ambitions démesurées. Peu d’acteurs politiques congolais se satisfont de jouer le seconds roles au sein de leurs partis. Il parait avantageux à un politicien de s’en aller d’un grand parti ou il n’était « pas en vue » pour un parti alimentaire (ou il sera en vue), pourvu qu’il soit appelé « président » ou « secretaire-général ». Nombre de ces politiciens manifestent une aversion totale à l’existence des grands partis politiques où ils seront absorbés et veulent garder leur personnalité intact, c’est- à -dire de la visibilité. Lors des forums importants, il semble que cela rapporte (per diem) ou lors des négociations nationales sa voix de chef de parti se négociera au prix fort.
Cette caricature du politicien voulant à tout prix être le Chef n’est-elle pas aussi le miroir du congolais moyen qui tend de plus en plus à remplacer dans le langague courant le terme approprié « monsieur » par celui inapproprié de… « Chef » ? Même la formule politique bizarre concoctée à Sun City par l’ancien chef d’état sudafricain Thaboo Mbeki de « 4+1» ne fut concue que pour s’accommoder au politicien congolais si friand de pouvoir. N’a-t-on pas vu des candidats à la présidentielle qui ont mordu la poussière alors qu’ils pouvaient raisonablement d’abord solliciter un siège au Parlement ? Par ailleurs, l’adhésion à un parti politique semble n’est pas être un acte refléchi car les politiciens congolais papillonent de parti en parti à la recherche d’une place au soleil. Le tribalisme comme facteur amenant un groupe de gens à soutenir aveuglement un politicien trahit aussi l’infantilisme politique. Si un dirigeant poltique savait que briser unilatéralement la cohésion au sein d’un parti et s’en aller sans raison (ou suite à un acte de corruption) dans un autre serait désapprouvé par la population, il y penserait par deux fois. Et des cas de « vagabondage » politique seraient rares.
Un pouvoir peu respectueux des droits humains. Tous les gouvernements en place à Kinshasa se sont évertués systématiquement à acculer les activistes politiques jusque dans leur dernier retranchement, reduisant à leur portion congrue les libertés fondamentales pourtant coulées dans la constitution du pays (droit de réunion, de manifestation, d’expression). Et pour cela les moyens forts sont la règle, la Police et même l’Armée appelée souvent en renfort usant toujours d’une main lourde pour intimider, brutaliser, traquer, arrêter et voire donner la mort. C’est dans ces conditions que l’opposition au Congo, la vraie, se fait dans les larmes, la sueur et le sang. Un activiste politique sait que l’un ou l’autre jour il finira en prison à cause de l’intolérance gouvernementale. Le pouvoir se fait fort de penser que tolérer une manifestation politique est signe de faiblesse et de désapprobation générale alors qu’une manifestation politique n’est pas synonyme de vote populaire au terme duquel le gouvernement sera renversé. Les rapports alarmants des ONG des droits humains (Amnesty, HRW, VSV) l’attestent ; des événements comme ceux du 25/02/1992 nous le rappelent. Depuis le début de la démocratisation, nombreux ont perdu des biens (confisqués ou détruits), leur liberté (émettre une opinion politique différente de celle du gouvernement peut valoir à quelqu’un un sejour en prison), leur travail (etre indexé comme opposant peut causer d’un licenciement d’une entreprise etatique ; ou le harcelement) ; des membres de familles (disparus ou mis à mort) ; et d’autres portent encore des stigmates rappelant la brutalité policiere. Dans ces conditions, faire partie de l’opposition semble exiger trop de l’homme congolais et suscite la peur chez beaucoup ; seuls les téméraires peuvent prendre le risque de s’engager dans l’opposition.
Pour ces raisons l’opposition politiques congolaise n’a pas tenu ses promesses du 24/04/1990 et, tel un avion paré au sol mais incapable de l’envol, patauge et stagne. A moins qu’elle ne se ressaisissse le paysage politique congolais restera pareil à ce qu’il est actuellement pour longtemps encore : un gouvernement fort et qui gouverne mal faisant face a une opposition qui se cherche toujours, situation qui n’est pas sans rappeler un système de parti unique qui ne dit pas son nom. |