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Dépolitiser les forces de «sécurité»


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Par Congo Libre

A Kinshasa, la Haute cour militaire a terminé l’instruction du procès relatif à l’assassinat, le 1er juin 2010, de Floribert Chebeya Bahizire et de son compagnon d’infortune Fidèle Bazana Edadi. S’il est vrai que la vérité est encore loin d’être au rendez-vous, il n’en demeure pas moins vrai que ce procès est révélateur d’une leçon majeure. Il s’agit de la politisation et surtout de la tribalisation des forces dites de sécurité. Par forces de sécurité, il faut entendre : l’armée, la garde présidentielle (garde républicaine), la police, les services de renseignements civils et militaires, la DGM (Immigration). Les animateurs de ces services publics prétendent tirer leur légitimité de l’institution «Président de la République». Aussi s’estiment-ils exonérés de l’obligation de rendre compte à une autre instance. Tous les politologues conviennent que le transfert entre les mains d’un seul homme de tous les pouvoirs constitue le pire danger pour le peuple.

Le procès Chebeya a revelé que la police nationale est devenue le «monopole» des Congolais d’expression swahilophone. C’est-à-dire essentiellement, les originaires du Katanga, des provinces du Kivu et du Maniema. La Province Orientale est plutôt marginale. A titre d’illustration, on peut citer : le patron de la police nationale (suspendu ?) s’appelle John Numbi Banza Tambo (Katanga). Son adjoint, Charles Bisengimana, serait natif du Nord Kivu. Le colonel Daniel Mukalay, chef des services spéciaux de la police, (Katanga) et le major Christian Ngoy, commandant du «bataillon Simba» (Katanga). Signalons que la police provinciale de Kinshasa est dirigée par un natif du Maniema, le général Jean de Dieu Oleko. Ces hommes sont les dépositaires d’un “secret d’Etat”. Ils savent ce qui s’est passé le 1er juin 2010 lorsque Chebeya est arrivé au siège de la police. Ils ont décidé d’adopter l’omerta. Le silence cher aux maffieux. Le premier qui ouvrira la bouche est un homme mort. Ces hommes se comportent comme les membres d’une “société secrète”. Ils considèrent les originaires des autres provinces du pays comme les “ennemis” du pouvoir en place.

Que l’on se comprenne bien. Le but poursuivi ici n’est pas de stigmatiser les locuteurs d’une des quatre langues nationales de la RD Congo. Bien au contraire, il s’agit de tirer la sonnette d’alarme sur la coloration «tribalo-ethnique» que prennent les forces dites de sécurité autant que la discrimination dont sont victimes les natifs des autres régions. Cette situation fait planer une grave menace sur l’unité nationale dans la mesure où les différents services dits de sécurité se comportent de plus en plus en milices chargées de traquer tous les contradicteurs du régime en place. Un régime qui s’identifie ouvertement à l’aire culturelle swahilophone du pays.

D’aucuns pourraient objecter que le phénomène décrit à travers ces lignes ne date guère d’aujourd’hui. Il remonte à l’époque de Mobutu Sese Seko. Sans doute. Quid alors du “changement” et surtout de l’Etat de droit claironnés jadis par les tombeurs de l’ancien régime? Treize années après la chute de la IIème République, peut-on franchement continuer à se barricader derrière un prétendu «héritage mobutiste» pour éviter de regarder certaines vérités en face? Devrait-on encore invoquer cet héritage pour justifier l’incapacité des pouvoirs publics à assurer à tous les citoyens une «égalité» et une «égale protection» devant la loi impliquant notamment la suppression de discrimination d’accès aux fonctions publiques? Le vrai problème ne se situe-t-il pas dans l’incapacité des gouvernants du «Congo libéré» à faire une bonne lecture de l’Histoire du Congo-Zaïre au cours de ces vingt dernières années?

Lors du lancement des «consultations populaires» en janvier 1990, plusieurs mémorandums n’avaient pas manqué de réprouver la «tribalisation» des «services spécialisés» par la présence massive des personnes appartenant «au seul clan Ngbandi ou à défaut un ressortissant de l’Equateur». C’est notamment ce qu’on peut-on lire dans le mémorandum des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères. Les évêques du Zaïre dénonçaient, pour leur part, l’existence d’un «pouvoir absolu et autocratique». Ils recommandaient à l’époque que «les instances nationales rendent compte non seulement au chef de l’Etat mais aussi à une autre instance représentant le peuple et pouvant sanctionner les manquements». Lors de la «consultation nationale» organisée, du 24 février au 11 mars 2000, sous le régime de LD Kabila, les partis politiques fustigeaient la «régionalisation» et la «tribalisation» tant du pouvoir que de l’armée, de la police et des «services». Le constat est là : vingt années après le lancement du processus démocratique, les services dits de sécurité restent plus que jamais une “force de répression” au service des puissants du moment. Quel recul! Quel gâchis!

Le Changement que les Zaïro-Congolais appellent depuis deux décennies risque de rester un mirage aussi longtemps que la cooptation sera l’unique mode de recrutement et de promotion des fonctionnaires oeuvrant au sein des services publics cités précédemment en lieu et place du concours à l’échelle nationale. Il va sans dire que la dépolitisation des forces de sécurité sera une conquête citoyenne ou ne le sera pas. Elle dépend donc de la capacité des citoyens à ne plus tolérer l’intolérable et surtout à ne plus accepter l’inacceptable en refusant de regarder sans réagir les abus commis au quotidien par ces organismes sur les droits et libertés. La capacité d’indignation d’un peuple est et reste le moteur de toute révolution…

Baudouin Amba Wetshi
© Congoindépendant