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Joseph Kabila. Le schéma classique de « faiseurs des rois » et de courtisans


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Par Jean Pierre Mbelu (Congo Libre)

Les 14 pages de JA publiées la semaine dernière pourraient participer d’un schéma classique propre aux « faiseurs des rois ». Placés face à ce schéma, les courtisans réagissent énergiquement et font de leur « chef », « créature des faiseurs des rois », un héros de la cause collective. Cela jusqu’au jour où ce schéma réalise son objectif. Les courtisans s’enfuient ou disparaissent dans la nature en attendant de récupérer un peu de place au soleil sous un autre « chef ».

Quand JA (N° 2612 du 30 janvier au 6 février 2011) publie 14 pages sur Joseph Kabila (=Mobutu light) et son cabinet parallèle, quelques « minorités congolaises organisées » ont posé cette question : « Pourquoi, maintenant » ? Et en fait de « révélations », il n’y a pas eu grand-chose. Les Congolais et les Congolaises avertis ont été déçus en remarquant que ces secrets de polichinelle ont provoqué une grande agitation dans nos milieux journalistiques. Pour ces Congolais, JA, en tant que média dominant, joue le jeu de « faiseurs des rois ». Il s’inscrit dans le schéma classique de ces derniers.

Comment procèdent-ils ? Ils créent leurs marionnettes par un coup d’Etat ou des élections arrangées. Ils les comblent de cadeaux et d’éloges tout en les pressant comme des citrons aux dépens des populations. Ils leur mentent en leur garantissant un soutien et une sécurité sans faille. Au moment opportun, pour une raison ou pour une autre, surtout quand « les amis fabriqués » ne sont plus intéressants, ils organisent leur interchangeabilité. Les médias dominants rentrent dans le jeu. Ils révèlent les secrets de polichinelle et plébiscitent une autre marionnette comme étant « un homme ou une femme providentiel(e) ».

Souvent, ces hommes (et femmes) providentiels sont présentés comme n’ayant aucun passé. Et si ce passé a été compromettant pour le devenir commun, il est vite classifié dans le panier des erreurs liées à la nature humaine. Disons que « les faiseurs des rois » veulent travailler avec des gens tournés vers l’avenir et amnésiques. Ils ont horreur des peuples entretenant leur mémoire collective.

Au moment où ils veulent procéder au changement de «leurs créatures », ils rencontrent la résistance des courtisans de ces dernières. Les courtisans font de leur « chef », marionnette de « faiseurs des rois », un héros de la défense de la cause des populations des laissés-pour-compte. Ils passent à côté des faits et accusent « les chefs de leur chef » de diaboliser ce dernier pour des raisons inavouées. Ils font croire, inutilement, à « leur chef » qu’il a le soutien de son peuple et que rien ne lui arrivera. Cela jusqu’au jour où, mis dos au mur, ils lâchent ce dernier et se mettent à chercher de « nouveaux chefs ».

Ce schéma classique s’est appliqué chez nous avec Mobutu. D’ami de la troïka (USA, France, Belgique) pendant la guerre froide, il est devenu « une créature de l’histoire » quand ses « ex-amis », les USA en tête, ont jugé bon de redessiner la carte de l’Afrique des Grands Lacs avec d’autres acteurs mineurs (Kagame et Museveni). Certains dignitaires de la deuxième République informés la disqualification du Grand Léopard n’ont pas su l’aider à négocier une sortie honorable du cercle de la troïka. Mobutu parti, plusieurs de ces dignitaires ont connu un temps de désert sous Laurent-Désiré Kabila. Grands manœuvriers, ils ont su se tailler une place au soleil sous Joseph Kabila. Certains d’entre eux ont renoué avec les habitudes qu’ils avaient à la cour de Mobutu : basses flatteries, corruption, analyses approximatives des enjeux géopolitiques et géostratégiques, chantages improductifs à l’endroit « des bailleurs de fonds », diabolisation des adversaires politiques, soutien à la politique de la terre brûlée, etc. Toute cette pratique participe, chez eux, de l’accumulation des biens, des avantages et des privilèges de la cour. Cela jusqu’au jour où sonne le glas…

Les lecteurs de la réaction de Lambert Mende au dossier de JA sur Joseph Kabila seraient surpris de retrouver à peu près le même ton dans les entretiens accordés par Mobutu à Jean-Louis Remilleux, publiés en 1989 (année de la chute du mur de Berlin !) à Albin Michel sous le titre « Mobutu, dignité pour l’Afrique. Entretiens avec Jean-Louis Remilleux ». Après ces entretiens, Mobutu a encore fait quelques années au pouvoir avant que n’éclate la guerre d’agression contre notre pays.

Revenons sur l’un ou l’autre point de la réaction de Lambert Mende à JA publiée le 04 janvier par le journal Le Potentiel. Au point 3, Mende écrit : « François Soudan situe «l’accroc au printemps de Kinshasa», illustré par la rupture du deal entre Kabila et les capitales occidentales, au début de 2003 lorsque le ministre Matungulu, «l’homme du FMI », démissionna. » Pourquoi ? Mende répond : « On a beau manipuler la casuistique, tout Congolais averti comprend que pour les inspirateurs de ce commentaire, le vrai «crime» de Joseph Kabila c’est d’avoir osé privilégier les Intérêts Nationaux de la RD Congo et de ne pas avoir laissé nos partenaires extérieurs gérer à leur guise les ressources du Congo par ‘missi dominici’ interposés. » Quels sont les Intérêts Nationaux de la RD Congo que Joseph Kabila a osé privilégier ? Comment Joseph Kabila pouvait-il privilégier ces Intérêts au moment où le pays obéissait au diktat des IFI ?

Que s’est-il passé, selon le texte de JA ? « Aussi, écrit JA, lorsqu’un jour de janvier Augustin Katumba Mwanke vient le voir pour lui demander de transférer 50 millions de dollars sur le compte de la présidence au titre des « dépenses de souveraineté », le ministre dont la signature est indispensable, renâcle. Avant de céder de mauvais gré, non sans avoir averti qu’un second versement douteux de ce type risquerait fort de compromettre les relations avec les institutions de Bretton Woods. » (JA p.23) Lambert Mende n’aurait-il pas été plus convaincant en indiquant les Intérêts Nationaux que cet argent a servis ? Ce n’est pas tout. « Une dizaine de jours plus tard, Katumba revient le ( Matungulu) voir : il lui faut à nouveau 50 millions. Cette fois, Matungulu refuse tout net et se rend à Lubumbashi pour tenir un discours prévu de longue date devant l’Assemblée provinciale du Katanga. En pleine séance, Katumba l’appelle au téléphone : « Reviens à Kinshasa immédiatement, c’est un ordre du président ! » Matungulu obéit. Il « saute dans un avion, passe deux heures pénibles dans les locaux du Conseil national de sécurité, où on le menace, rentre chez lui et rédige sa lettre de démission, qu’il ira lui-même déposer le lendemain sur le bureau du président. » Que se passe-t-il après ? Matungulu est traité comme un malfrat ! « Dans l’heure qui suit, la garde républicaine débarque à son domicile de fonction et le jette dehors. » (JA p.24) Acceptons que Matungulu fait partie des « missi dominici » du FMI. Cela était-il une raison suffisante pour qu’il soit victime du gangstérisme d’un Etat manqué ? Comment peut-on, d’une part, accepter les programmes d’ajustement structurel du FMI, solliciter que cette institution de Bretton Woods remette une bonne partie de la dette odieuse du pays et d’autre part, être rebelle au contrôle de la même institution ?

Au lieu d’accuser le FMI de vouloir gérer à sa guise les richesses du Congo par des « missi dominici » interposés, ne sont-ce pas les pratiques douteuses des « petites mains » locales des IFI qui devraient être décriées sur la place publiques ?

A point 4, Mende écrit : « Les prédateurs n’acceptent pas que le président Joseph Kabila, sur la timidité duquel ils comptaient pour pérenniser l’exploitation sans contrepartie significative des richesses de la RD Congo, se soit métamorphosé en ce défenseur « moderne, modeste et avisé » des Intérêts Nationaux de son pays qui « agace jusqu’à ses voisins africains ». »

Qui sont ces prédateurs ? Dans le rapport de l’ONU de 2001, les prédateurs décriés agissent en réseau. Et « le premier ministre » du gouvernement parallèle, Katumba Mwanke, est cité nommément parmi « les nouveaux prédateurs ».

Il y a un ou deux jours, La Libre Belgique et Le Soir ont repris un commentaire de De Standaard au sujet d’un câble de Wikileaks. De Standaard « écrit a (…) que Kabila a corrompu en 2009 des parlementaires afin de renverser le président du parlement Vital Kamerhe, un potentiel rival à l’élection présidentielle de la fin de cette année. Kabila aurait donné 200.000 dollars à des parlementaires, selon le journal. » Qui sont ces prédateurs ? Doivent-ils être vilipendés seulement quand ils sont extérieurs au cabinet parallèle montée par l’Autorité morale de l’AMP et Katumba Mwanke ? D’ailleurs, le réseau transnational de prédation inclus « les faiseurs des rois » et leurs marionnettes – leurs créatures.

Faut-il se fier au schéma classique et à sa finalisation ? Il n’aboutit pas tant que l’interchangeabilité des marionnettes n’est pas garantie. Les « faiseurs des rois » tiennent à rester aux commandes. Les Congolaises et les Congolais avertis n’accordent plus de crédibilité aux schémas concoctés ailleurs. Ils ont opté pour une culture de la résistance pouvant les conduire à rompre avec le marionnetisme et à devenir des acteurs-créateurs de leur propre destinée.

J.-P. Mbelu