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  • Un confinement total avorté a Kinshasa a cause de l’impréparation des Kinois

    Un confinement total avorté a Kinshasa a cause de l’impréparation des Kinois

    -Longues files, circulation grippée et marchés pris d’assaut : les plus de 11 millions d’habitants de la capitale congolaise se préparaient laborieusement, ce vendredi, à plonger dans quatre jours de confinement total alterné, décidé par le gouverneur de la ville, Gentiny Ngobila. Lequel s’est ensuite rétracté en début de soirée.

    Visage flétri, tête rasée, Hubert, la cinquantaine, fait la queue derrière une marée de fonctionnaires, près du prestigieux boulevard du 30 Juin, en plein centre-ville, pour retirer son maigre salaire avant d’effectuer les achats pour son ménage. « Hélas, je ne le ferai plus. Le salaire n’a pas encore été versé par l’État. Comment vais-je me confiner avec une femme et sept enfants ? Il vaut mieux mourir du coronavirus que de la faim, c’est triste », déplore-t-il, derrière une septuagénaire venue percevoir son salaire d’enseignante.

    Flambée du prix des denrées alimentaires

    Comme Hubert, de nombreux Kinois étaient massés devant les guichets de banques pour retirer les fonds. Mais trop peu ont été servis, plusieurs banques ayant notamment mis en place un « service minimum » en cette période de pandémie.

    D’autres, comme Clarisse, teint clair et cheveux teints, se sont rués vers les marchés pour s’approvisionner en denrées alimentaires. Conséquence : les prix ont considérablement grimpé. « Les commerçants se foutent de nous, ils profitent de cette situation pour exploser leurs chiffres d’affaires sans raison, regrette-t-elle devant une boutique le long de l’avenue Kasavubu, au marché Gambela. Le sac de la farine de maïs est passé de 46 000 francs congolais à 70 000 FC. C’est qui est étonnant, c’est que même une meurette de haricots ait connu une hausse de prix. »

    Dans des supermarchés congolais, de longues files trainaient devant les entrées au mépris des mesures d’hygiène. Gels désinfectants et papier toilette étaient particulièrement recherchés par les clients. Pour les commerçants, la situation est devenue une aubaine.

    « Nous sommes leurs vaches laitières, s’emporte Emery, qui transporte un sac de riz sur un chariot à la sortie d’un supermarché, dans l’est de Kinshasa. Le drame, c’est que l’État tolère cela après nous avoir imposé un confinement sans eau ni électricité. L’État devrait nous alléger la vie en cette période, au lieu de quoi lui et les commerçants nous pillent. »

    « Je devais aussi acheter du lait en poudre, des poissons salés et autres, mais ce n’est plus possible, peste Anicet, près du centre-ville. J’ai vidé mes poches, mais je ne suis pas en mesure de me procurer le minimum vital. Que vais-je faire pendant le confinement ? La faim va nous tuer plus que le coronavirus. »

    Jean-Claude Katende, président de l’ASADHO, une ONG congolaise de défense des droits de l’homme, affirme même que la « décision brutale » de confiner Kinshasa « n’a contribué qu’à exposer les Kinois à la contamination ».

    Pour le mouvement citoyen Lutte pour le Changement, la mesure du gouverneur est « irresponsable ». La Lucha critique le caractère brusque de la décision, qui a été prise sans que des mesures d’accompagnement de l’économie n’aient été adoptées. Le mouvement craint que les pillages ne se développent dans cette période.

    Marche arrière pour le gouverneur de Kinshasa

    Vendredi soir, le gouverneur de Kinshasa Gentiny Ngobila a rectifié le tir, et annoncé par communiqué le report de sa mesure, vivement critiquée. Il justifie ce revirement par la spéculation des prix des biens de première nécessité, et le risque de voir se dérouler dans la capitale « des actes susceptibles de créer l’insécurité ».

    Le gouverneur ne prononce pas le mot de « pillage », que disait redouter la Lucha indignée par la mesure de confinement d’une population dont plus de la moitié vit dans la pauvreté. Vendredi dans la matinée, plusieurs sources gouvernementales affirmaient déjà qu’au plus haut niveau de l’exécutif national, cette mesure de confinement total alternée n’avait pas été entérinée.

    Il faut dire qu’à peine annoncée, cette mesure avait provoqué une levée de boucliers. Certains députés, qu’ils soient de l’opposition ou de la coalition au pouvoir, pointaient le peu de temps de préparation de la population de Kinshasa et l’absurdité du caractère intermittent du confinement.

    Du côté de les autorités de la ville, on dément tout rétropédalage. Le porte-parole du gouvernement provincial, Charles Mbuta Muntu, a annoncé la tenue d’une réunion du conseil urbain de sécurité dans les prochaines heures pour décider de l’éventualité d’une nouvelle date du début du confinement. Il promet une meilleure concertation avec l’équipe en charge de la riposte contre le Covid-19 à ce sujet.

    Pour le porte-parole du gouvernorat, rien ne justifie la « flambée exagérée » des prix observés sur les marchés de Kinshasa ces trois derniers jours car, affirme-t-il, « il n’y a pas rupture de stock ». Avec officiellement 58 cas dont cinq décès, et seulement trois cas de guérison, la RDC, qui avait enregistré son premier cas le 10 mars, est devenue le pays le plus touché d’Afrique centrale.

  • L’argent des Africains : Gloria, infirmière dans un centre hospitalier en RDC – 198 euros par mois

    L’argent des Africains : Gloria, infirmière dans un centre hospitalier en RDC – 198 euros par mois

    infirmier-Un infirmier s’est immolé début mai devant l’hôpital général de référence de Gemena, dans l’ouest de la RDC. Il réclamait sa prime de risques de 38 000 francs congolais, environ 38 euros. C’était son seul revenu, n’ayant pas le statut de salarié dans cet établissement public où il travaillait pourtant depuis 29 ans !

    À quelques centaines de kilomètres au sud-ouest de Gemena, Gloria* a accepté de nous « ouvrir » son portefeuille. Infirmière depuis 2004 dans un centre hospitalier privé, situé au cœur de la ville de Kinshasa, cette mère de famille – elle a trois enfants – a bien du mal à joindre les deux bouts. En cause : le « salaire insignifiant » qui lui est versé tous les mois.

    « Plus d’une fois l’idée de démissionner m’a déjà traversé l’esprit, confie-t-elle. Après 11 ans de travail, lorsque votre paie ne vous permet pas de vivre décemment, vous avez une seule envie : tout laisser tomber ! » Chaque mois, Gloria touche 111 090 francs congolais, soit 111 euros. « À ce salaire mensuel de base s’ajoutent une indemnité de logement équivalant à 33 euros, une prime de transport de 52 euros et une autre prime non spécifiée de 2 euros », précise-t-elle, yeux fixés sur les lignes de son bulletin de paie. Ce qui lui fait un revenu mensuel de 198 euros. Mieux lotie que d’autres dans un pays où le salaire mensuel moyen dépasse légèrement les 30 euros selon la Banque mondiale, il lui faut malgré tout batailler pour faire face au coût de la vie.

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    L’argent des Africains : Saïd, imam au Maroc – 325 euros par mois

    Provisions alimentaires pour la famille : plus de 60 euros

    « Si j’étais seule, avec trois enfants à charge, ce salaire de misère ne m’aurait pas permis de survivre. C’est mon époux qui pourvoit à l’essentiel de nos besoins », reconnaît cette femme de 44 ans, mariée à un employé d’une ONG locale de développement. « Comment aurais-je pu, par exemple, payer les frais de scolarité de mon premier fils qui s’élèvent à plus de 400 euros par an ? », interroge-t-elle.

    Si son mari prend en charge les frais de scolarité des enfants et le loyer de plus de 90 euros par mois – la famille vit dans un trois pièces dans le sud de Kinshasa -, Gloria se charge des provisions alimentaires pour le foyer. « Chaque mois, je fais le plein de fufu [farine de maïs et/ou de manioc], d’huile végétale et de haricots », explique-t-elle, précisant que « cela [lui] coûte mensuellement plus de 60 euros ».

    Transports : 42 euros par mois

    Résidant dans une commune très excentrée du centre-ville, notre infirmière doit effectuer chaque jour deux correspondances de bus pour se rendre sur son lieu de travail.

    Gloria débourse en effet tous les mois quelque 42 euros pour le transport. « Je me lève tous les matins à 5 heures 30 pour m’occuper des enfants avant leur départ à l’école », explique-t-elle. « Mais les routes sont en mauvais état et je ne parviens jamais à être à l’heure au travail », déplore-t-elle.

    « Pour ces retards réguliers au travail, j’ai déjà reçu plusieurs avertissements », poursuit-elle. Des remontrances qui lui restent en travers de la gorge. « Un jour, je finirai par rendre mon tablier et changer de métier », jure celle qui a grandi dans l’ex-province de Bandundu, dans l’ouest de la RDC. « Je retournerai dans mon village natal pour m’occuper des champs. Je crois qu’en tant que paysanne, je gagnerai mieux ma vie qu’en tant qu’infirmière dans la capitale », espère-t-elle.

    Épargne informelle : 27 euros

    En attendant, c’est à Kinshasa que Gloria se bat pour réaliser ses petits projets. « D’ici la fin de l’année, je voudrais acheter une machine à laver pour la famille », confie-t-elle. Mais l’appareil électroménager coûte environ 136 euros. Plus de 2/3 de son salaire mensuel.

    « Comme c’est impossible de sacrifier les autres dépenses pour me la payer, je participe depuis le début de l’année, avec neuf autres collègues, à une sorte de tontine : chaque mois et de manière rotative, chacun d’entre nous verse 27 euros à un membre du groupe. Ce dernier encaisse ainsi d’un coup 270 euros », explique Gloria qui attend son tour à la fin du mois d’octobre.

    Assistance familiale et « imprévus » : 65 euros

    Tous les mois, Gloria s’efforce également de ne pas tout dépenser. Elle garde toujours sur elle une soixante d’euros pour des « imprévus » qui sont principalement consacrés à la santé des enfants. « Mon mari est souvent en mission en dehors de la ville de Kinshasa. Pendant son absence, si un enfant tombe malade, je dois être en mesure de lui acheter quelques médicaments en urgence ou de le conduire à l’hôpital, s’il le faut », se justifie-t-elle.

    Une fois tous les trois mois, elle essaye également d’envoyer « quelque chose » à ses parents restés en province. « C’est ma plus grande peine : ne pas pouvoir aider financièrement ma mère et mon père alors qu’ils ont tout sacrifié pour me payer des études quand j’étais jeune », affirme-t-elle.

    « J’en souffre encore davantage lorsque mes oncles et tantes considèrent que je ne m’occupe pas de mes parents alors que, selon eux, j’ai réussi dans la vie parce que je travaille et vis à Kinshasa », ajoute-t-elle. Qu’à cela ne tienne, Gloria n’oublie jamais d’envoyer environ 10 euros « chaque trimestre » à son père et à sa mère, tous les deux retraités. « C’est triste mais c’est tout ce que je peux faire », lâche-t-elle, soulignant qu’elle-même ne s’autorise pas à acheter de nouveaux pagnes avec son salaire.

    Taux de conversion établi à 1 euro pour 1000 francs congolais le 11 août 2015.


    *À la demande de l’intéressée, son prénom a été modifié.

    (Jeune Afrique)