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-Ils se définissent comme des “combattants”. Accusés de pillages et de violences, ces Congolais en exil en Afrique du Sud choisissent parfois la manière forte pour dénoncer le régime de Joseph Kabila.
En cette fin d’après-midi, le soleil d’hiver austral décline doucement sur le quartier animé de Yeoville, à Johannesburg. Une petite foule débarque bruyamment sur la place centrale. Sifflet aux lèvres, brandissant des branches de palmier, des Congolais fêtent leur libération. Ils viennent de passer presque deux mois en détention provisoire, mais les charges ont fini par être abandonnées.
Motif ? Ils étaient soupçonnés d’avoir pillé le domicile de l’un de leurs compatriotes, le puissant homme d’affaires Kalonji Kayembe, patron des boîtes de nuit Chez Ntemba, implantées à Johannesburg, Bruxelles ou Paris. Certes, ils n’avaient pas apprécié qu’il invite des artistes congolais – qualifiés de « collabos » du président Joseph Kabila – à se produire en Afrique du Sud. Mais ils contestent avoir commis les vols et violences dont ils étaient accusés. « Nous avons simplement prévenu cet homme que, s’il persistait à faire venir ces artistes, cela risquait de provoquer des troubles », explique Patrick, 23 ans, l’un des jeunes relâchés.
Il n’y aurait donc pas eu de violence cette fois-ci. Mais certains de ces opposants radicaux au gouvernement congolais admettent en faire parfois usage. À Johannesburg ou au Cap, ils emploient les mêmes tactiques que leurs homologues bruxellois et parisiens : intimidation des « collabos » de Kinshasa et, parfois, agression des dignitaires congolais de passage. Souvent filmés, leurs « faits d’armes » sont diffusés sur des DVD vendus à la sauvette et sur internet.
17 000 réfugiés congolais en Afrique du Sud
Combien y a-t-il de « combattants » en Afrique du Sud ? Il n’existe pas de chiffres précis. Mais ce soir-là, sur la place qu’ils ont rebaptisée « Armand-Tungunlu » – en référence à un militant décédé en prison en 2010 après avoir caillassé le convoi présidentiel à Kinshasa -, les quelques dizaines de Congolais présents se définissent tous comme tels. « À Johannesburg, nous sommes à 99 % des supporteurs de l’opposition », affirme Olivier, 32 ans, dont une année passée en Afrique du Sud.
« C’est un développement assez récent, analyse David Zounmenou, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS), à Pretoria. Après la dernière présidentielle en RD Congo, le 28 novembre 2011, qui a vu Joseph Kabila réélu dans des conditions controversées, une partie des opposants s’est radicalisée. Comme ils ne peuvent pas porter atteinte à l’État, ils s’en prennent à ceux qu’ils considèrent comme ses complices. » « Il n’y a pas que les “combattants” ! s’agace Bene M’Poko, l’ambassadeur de RD Congo à Pretoria. Il y a sans doute entre 80 000 et 100 000 Congolais en Afrique du Sud [première communauté francophone du pays]. Et beaucoup ne posent aucun problème, ils étudient ou font des affaires… »
Pour la plupart, les « combattants » sont entrés illégalement en Afrique du Sud. Si certains reconnaissent être avant tout venus pour des motifs économiques, la majorité a déposé dès son arrivée une demande d’asile politique au ministère sud-africain de l’Intérieur. C’est ce qu’a fait Olivier après un long périple. « Nous sommes partis de Lubumbashi, dans le sud-est du pays, où nous avons pris un bus pour le Zimbabwe, parce que nous n’avons pas besoin de visa pour ce pays. Puis nous avons traversé la frontière sud-africaine, comme le font les Zimbabwéens. »
Début 2013, le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) de l’ONU estimait à 17 000 le nombre de Congolais vivant avec un statut de réfugié en Afrique du Sud.
Début 2013, le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) de l’ONU estimait à 17 000 le nombre de Congolais vivant avec un statut de réfugié en Afrique du Sud. Ce qui n’inclut pas les nombreux demandeurs d’asile. Car même déboutés, ces derniers peuvent recourir à l’interminable procédure d’appel – moyennant, souvent, quelques dessous-de-table – qui leur assurera un titre de séjour de six mois renouvelable. « Lors de son passage au ministère de l’Intérieur entre 2009 et 2012, Nkosazana Dlamini-Zuma [l’actuelle présidente de la Commission de l’Union africaine] avait tenté de remettre de l’ordre dans son administration, rappelle David Zounmenou. Mais celle-ci reste très corrompue, encore aujourd’hui. »
Pourtant, la présence de ces opposants radicaux commence à gêner Pretoria, qui entretient d’excellentes relations avec Kinshasa. Les agressions subies par les hommes politiques de passage en Afrique du Sud font désordre. Ce fut le cas du pasteur Daniel Ngoy Mulunda, au Cap, en 2011, alors qu’il était encore président de la Commission électorale nationale indépendante, ou du député Dede Makwa à Port Elizabeth, en janvier dernier, en marge d’un match de la Coupe d’Afrique des nations. « Toutes les affaires ne sont pas rendues publiques, ajoute l’ambassadeur Bene M’Poko. Mais moi qui dois refaire leur passeport à chaque fois, je peux vous dire que c’est devenu fréquent. »
Arrestation de 19 Congolais à Limpopo
Preuve que la police sud-africaine garde un oeil sur ces groupes, elle a procédé, le 4 février, à un coup de filet retentissant. Dix-neuf Congolais ont été arrêtés dans la province rurale du Limpopo, près du Zimbabwe, où ils s’apprêtaient à s’entraîner. Peu après, leur chef présumé s’est rendu. Il se présente comme Étienne Kabila et affirme, depuis des années, être le fils légitime du défunt président Laurent-Désiré Kabila. Son groupe, baptisé l’Union des nationalistes pour le renouveau, cherchait à renverser l’actuel chef de l’État congolais par les armes, d’après le procureur Shaun Abrahams. Il aurait ainsi promis d’attribuer, à son arrivée au pouvoir, des concessions minières à des mercenaires sud-africains – des policiers déguisés, en réalité – en échange de leur aide.
Sur la place « Armand-Tungulu », la soeur de l’un des détenus (tous sont incarcérés à la prison centrale de Pretoria en attendant leur procès) s’insurge : « C’est faux ! Ils sont venus pour fuir la misère. On leur avait promis une formation d’agent de sécurité. Comment auraient-ils pu refuser de travailler ? » Pour les « combattants », la cause est entendue : avec ces arrestations, l’Afrique du Sud a voulu complaire à Kinshasa. Et de rappeler que le neveu du président Jacob Zuma, Khulubuse, a obtenu des concessions pétrolières sur le lac Albert.
Bienvenue à Little Kin
Pour eux, la place centrale du quartier – coincé entre Houghton et les gratte-ciel du centre-ville – ne s’appelle pas « Yeoville Square Park », mais place « Armand-Tungulu », en hommage au « martyr » de l’opposition congolaise. S’ils veulent acheter du fumbwa ou du dongo-dongo (légumes congolais), ils se rendent au marché « Gambela », surnom qu’ils ont donné au Yeoville Market, en référence à celui de Kinshasa. Au fil du temps, les Congolais de Johannesburg se sont approprié ce qui était, pendant l’apartheid, le quartier juif. Ils le partagent avec d’autres communautés subsahariennes : Mozambicains, Nigérians ou Zimbabwéens arrivés pour la plupart dans les années 2000. Mais les échoppes congolaises se démarquent des autres commerces, notamment les boutiques de vêtements, prisées des « sapeurs », les salons de coiffure, et même les églises. Les loyers ne sont pourtant pas bon marché. « Une chambre dans un appartement coûte environ 200 dollars (155 euros) », se plaint un Congolais qui a vécu un an à Johannesburg. C’est beaucoup plus cher qu’à l’extérieur de la ville, mais la sécurité prime, selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) de l’ONU : « La crainte d’attaques [xénophobes] dans les townships oblige de nombreux réfugiés à vivre dans les zones, plus chères, du centre-ville et ralentit leur intégration dans les communautés locales. »
Jeune Afrique