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PARC NATIONAL DES VIRUNGA, (IRIN) – Son métier consiste à pister les armes et les munitions de petit calibre dans les zones de conflit en Afrique, et à en déterminer la provenance.
Chaque cartouche, fusil d’assaut, mortier, roquette ou autre article d’armement militaire qu’elle enregistre constitue une pièce du gigantesque puzzle en cours d’élaboration par l’ONG britannique Conflict Armament Research (CAR), dans le but de cartographier avec précision les flux d’armes de guerre en Afrique.
L’enquêtrice, qui se déplace au gré des aléas du conflit en République démocratique du Congo (RDC), a souhaité garder l’anonymat. « Idéalement, il est préférable de suivre les affrontements de façon à arriver sur place dès que c’est terminé [pour vérifier le type et la provenance des munitions et des armes de petit calibre] », a-t-elle dit à IRIN.
La brigade d’intervention de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) bénéficie d’un mandat « musclé » du Conseil de sécurité des Nations Unies pour neutraliser les groupes armés sévissant dans le pays en partenariat avec l’armée nationale (FARDC), et des opérations ciblant toute une série de milices sont en cours.
Des éléments des FARDC et de la brigade d’intervention du Malawi se sont récemment emparés de la position des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR, un groupe rebelle rwandais hutu) dans le parc national des Virunga. Deux combattants des FDLR ont été tués, et le reste – une vingtaine d’hommes environ – se seraient dispersés dans la brousse, selon les indications que les FARDC ont données à IRIN.
Jonglant avec deux téléphones portables, l’enquêtrice multiplie les appels et obtient l’autorisation (ainsi que quelques refus) de certains membres de la hiérarchie militaire des FARDC d’accéder à l’ancien camp de brousse des FLDR, également connu sous le nom de « Kilomètre 9 ».
« Le mieux est de se rendre sur place et de parler directement avec eux [les FARDC] », dit-elle. « Il faut que nous arrivions avant que les munitions [des FDLR] soient récupérées par les FARDC ».
Il est impératif de documenter ses découvertes aussi rapidement que possible, sur le terrain. Les groupes armés et les armées régulières partagent le plus souvent les mêmes armes à feu. Après s’être emparé de positions militaires, les vainqueurs se redistribuent généralement les armes et les munitions saisies, et un maillon de la chaîne d’approvisionnement se perd.
Depuis la route en roche volcanique, rien ne laisse deviner la base qui assurait un revenu aux FDLR grâce au péage de 0,21 dollars US auquel étaient soumis les voyageurs traversant le parc entre Kalangera et Tongo, dans le territoire de Rutshuru (Nord Kivu).
À la recherche de « marques de culot »
En s’enfonçant de quelques mètres dans l’épaisseur de la brousse, une clairière dévoile pourtant des traces d’habitation : de la viande de brousse pend aux arbres, et l’odeur qui flotte trahit des problèmes d’assainissement. Il s’y trouve un lit de branchages, au matelas de paille, au-dessus duquel est accroché un poncho en guise de protection contre la pluie – et une caisse de munitions.
Une à une, l’enquêtrice photographie les marques de culot à la base de chacune des cartouches. Bien qu’il puisse sembler dénué de sens à l’œil non averti, le marquage des munitions est source d’informations pour le spécialiste.
Les marques de culot d’une cartouche sont imprimées sur le lieu de fabrication, et « on y retrouve le plus souvent le pays d’origine et la date de fabrication », a dit à IRIN le directeur de CAR, James Bevan.
« Par exemple, le numéro d’identification de la Bulgarie est le 10. Luwero Industries, en Ouganda, utilise du matériel de fabrication chinois et présente donc le même style de police. LI à la position de 12 heures, et les deux chiffres de l’année à la position de 6 heures », a-t-il dit.
Le code des munitions zimbabwéennes est ZI, tandis qu’au Soudan, certaines portent le code SU ou SUD.
Les marques de culot comportent d’autres indices évocateurs permettant d’en confirmer l’origine, même s’ils ne suffisent pas à la déterminer, tels que la couleur du joint d’amorce ou la configuration des petites dentelures entourant l’amorce (l’élément de mise à feu à la base de la cartouche).
« On trouve des munitions soudanaises en RDC. L’essentiel provient du gouvernement de Khartoum. Le M23 [une milice agissant supposément pour le compte du Rwanda voisin] en possédait beaucoup également. Nous essayons de comprendre comment elles sont arrivées jusqu’ici. Elles ne sont pas de très bonne qualité », a dit M. Bevan.
Fondée en 2011, CAR surveille les mouvements d’armes au Mali, en Somalie, au Soudan et au Soudan du Sud, et a commencé à faire de même en République centrafricaine il y a peu.
« Il est ressorti [de recherches initiales] que le Soudan approvisionne des forces gouvernementales et non gouvernementales dans toute la région, de l’est à l’ouest de l’Afrique », a dit M. Bevan.
Le rapport sur les mouvements d’armes en provenance du Soudan devrait être publié en juin 2014. Le même mois, l’ONG lancera une base de données ouverte – baptisée iTrace – au siège des Nations Unies à New York. Il est envisagé que ces informations accessibles au public servent notamment aux autorités nationales de contrôle des exportations d’armes, aux ONG et aux journalistes d’investigation.
Publié par Small Arms Survey en mai 2014, le rapport intitulé Following the thread : Arms and ammunition tracing in Sudan and South Sudan (Suivre la piste : le traçage des armes et des munitions au Soudan et au Soudan du Sud) a découvert, lors d’une période d’enquête s’étendant d’avril 2011 à juillet 2013, que « les forces de sécurité soudanaises sont la principale source d’approvisionnement en armes des groupes armés non étatiques au Soudan et au Soudan du Sud, par le biais d’une stratégie d’armement délibérée et de prises au champ de bataille ».
Traité sur les armes
Le 2 avril 2013, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le Traité sur le commerce des armes (TCA) visant à réguler le marché des armes conventionnelles, estimé à 70 milliards de dollars US annuels. L’Iran, la Syrie et la Corée du Nord ont voté contre. Un an après l’adoption du traité, 118 États l’avaient signé, et 31 l’avaient ratifié. L’entrée en vigueur du TCA est soumise à sa ratification par 50 pays.
CAR recueille aussi bien des données sur l’arsenal des milices que sur celui des forces gouvernementales, étant donné que « le commerce illicite et le commerce licite [d’armes et de munitions] sont liés. Les circuits primaires légaux alimentent le marché illicite », a dit M. Bevan.
Allison Pytlak, directeur de campagne auprès de l’ONG britannique Control Arms Coalition (CAC), a dit à IRIN que le TAC était dépourvu de « mécanismes de suivi [intégrés] ».
« Certaines études évaluent le commerce annuel de munitions pour les armes légères et de petit calibre à 4,3 milliards de dollars – plus que le commerce d’armes légères et de petit calibre en lui-même, estimé à 2,68 milliards de dollars », a-t-elle dit.
Mme Pytlak a ajouté que de nombreux pays étaient opposés aux contrôles portant sur les munitions prévus par le traité, « actuellement appliqués aux exportations uniquement – au motif que c’est trop compliqué à mettre en œuvre et à gérer. […] L’immense majorité des pays qui exportent du matériel militaire pratiquent déjà un contrôle des munitions dans le cadre de leurs systèmes de contrôle des exportations d’armes ».
CAC prévoit la mise en place d’un système documentaire de surveillance de la mise en application du traité, alimentée par la société civile, comparable à l’Observatoire des mines et des armes à sous-munitions dédié au contrôle de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel.
À Tongo, les soldats des FARDC nettoyaient leurs armes avant les offensives programmées contre les FDLR. Parmi la grande variété d’armes retrouvées sur place se trouve un fusil sans recul, saisi lors de l’assaut d’une position du M23 l’année dernière.
Une unité des FARDC avait fait main basse sur l’arme : cet exemple illustre la rapidité avec laquelle une arme peut se perdre, dans ces environnements où le matériel passe de mains en mains avec une telle fluidité. Ces informations apportent un élément de réponse, qui permettra par la suite de comprendre comment l’arme a pu transiter par un tel labyrinthe d’acteurs militaires, tant gouvernementaux que non gouvernementaux.
D’après un rapport publié par CAR en 2012 à la suite d’une enquête portant sur neuf pays – The distribution of iranian ammunition in Africa (La distribution des munitions iraniennes en Afrique) – « Les gouvernements africains sembleraient être les principaux vecteurs de l’approvisionnement en munitions [et armes] iraniennes des marchés illégaux en Afrique – que ce soit du fait de pertes, de vols ou de politiques délibérées d’armement des civils et des forces insurgées ».
Dans un cas de figure, « il existe une preuve claire d’un approvisionnement direct et illicite de l’Iran à destination du continent », ce qui constitue une violation des sanctions édictées par les Nations Unies en 2007 visant les exportations d’armes iraniennes. « Les transferts de munitions iraniennes contrevenaient aussi aux sanctions des Nations Unies ciblant la Côte d’Ivoire et vraisemblablement aux embargos des Nations Unies frappant la RDC et le Darfour. Il n’y a pas de preuve permettant d’établir une participation directe de l’Iran dans ces violations », explique le rapport.
« Les marchés d’armes africains évoluent, avec l’apparition de nouveaux fournisseurs et de nouveaux vecteurs d’approvisionnement – aussi bien légaux qu’illégaux. Pourtant, la communauté internationale est freinée dans sa lutte contre la prolifération d’armes illicites, essentiellement du fait d’un manque de capacité de surveillance qui l’empêche de comprendre pleinement les transferts illicites et, partant, de développer des stratégies adaptées de lutte contre la prolifération », souligne le rapport.
Le traité sur le commerce des armes « est solide s’agissant des contrôles visant les exportations, mais ne s’accompagne d’aucun élément de suivi indépendant à l’heure actuelle. C’est ce que nous [CAR] faisons », a dit M. Bevan.
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[This report does not necessarily reflect the views of the United Nations]