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Afrique du Sud: l’ANC gangrené par des rivalités et des violences fratricides

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Par
Tirthankar Chanda

Publié le 28-10-2018
Modifié le 28-10-2018 à 14:23

Deux récentes tueries de cadres municipaux de l’ANC viennent rappeler au gouvernement sud-africain la nécessité de traiter de manière urgente le drame des assassinats politiques qui menacent le processus démocratique. Le rapport de la commission Moerane qui planche sur le dossier depuis deux ans souligne les luttes intestines au sein du parti de Mandela, qui se règlent souvent à coup de fusils. Or, à l’approche des élections législatives prévues en début 2019, le gouvernement Ramaphosa a-t-il la volonté de prendre à bras le corps ce problème grave de violences politiques, qui risque de révéler au grand jour la dérive affairiste du parti ?

L’homme, 44 ans, s’appelait Luyanda Mbele. Militant de l’African National Congress (ANC), il était depuis 2015 conseiller municipal à Cape Town, réélu en 2016. Le soir du dimanche 21 octobre, après avoir déposé une amie chez elle, lorsque Mbele s’apprêtait à repartir chez lui, il a été abattu dans sa voiture à bout portant, tout comme son cousin qui se trouvait à son côté. C’est l’amie qu’ils venaient de déposer qui a appelé la police en découvrant les deux corps inanimés baignant dans leur sang. Lorsqu’elle est sortie de sa maison, alertée par la fusillade, la jeune femme a juste eu le temps de voir une voiture foncer dans la nuit avec deux hommes à l’intérieur.

Deux jours plus tôt, dans l’Etat de KwaZulu-Natal (KZN), un autre cadre de l’ANC avait été froidement exécuté dans sa voiture, arrêtée à un feu rouge. «  Sbu Maphumulo, fonctionnaire de la ville d’Umlazi, située dans la banlieue sud de Durban, rentrait chez lui après une réunion politique qui avait traîné en longueur, quand il est tombé sous les balles de ses assassins », a indiqué la porte-parole de la branche locale de l’ANC. Celle-ci a exhorté le gouvernement de dépêcher rapidement sur les lieux des enquêteurs pour tirer cette affaire au clair et arrêter les assassins. « Il y a urgence  », a-t-elle ajouté.

Urgence

Il y a, en effet, urgence, car depuis quelques années des meurtres à répétition de cadres politiques, issus pour l’essentiel des rangs de l’ANC comme les deux victimes de ces derniers jours, connaissent une recrudescence dramatique suscitant la consternation au sein du parti au pouvoir en Afrique du Sud.

Selon un rapport publié par The Global Initiative Against Transnational Crime («  Initiative globale contre le crime transnational ») en collaboration avec le centre d’études de la criminologie de l’université du Cap, 90 hommes et femmes politiques ont été assassinés en Afrique du Sud entre 2011 et 2017, dont 80 dans la province du KZN, qui détient le triste record des morts violentes. Elle est suivie de près par les régions de Gauteng et du Cap occidental. Beaucoup pensent que le cancer de la violence pourrait se répandre dans tout le pays, mettant en péril le rêve d’une Afrique du Sud démocratique de Nelson Mandela.

C’est suite au meurtre d’un ancien secrétaire général de la Ligue de la jeunesse de l’ANC (ANCYL), survenu à Durban en juillet 2017, que la presse s’est saisie du drame des assassinats politiques. Proche du leader médiatique Julius Malema qui fut un temps le président de l’ANCYL, Sindiso Magaqa était tombé dans une embuscade, avec deux de ses acolytes, sur leur chemin de retour chez lui, à l’issue d’une réunion politique. Sa Mercédès avait été criblée de balles.

Conseiller municipal dans la région de Umzimkhulu, sur la côte australe, Sindiso était un jeune trentenaire promis à un bel avenir politique, mais s’était fait des ennemis en attirant l’attention sur les dépenses irrégulières de son administration municipale, notamment dans le cadre des travaux de rénovation de l’Umzimkhulu Memorial Hall, un bâtiment historique. Le projet avait englouti près de 2 millions de dollars, avant même que le gros œuvre ait pu débuter. « Sindiso n’avait pas froid aux yeux et critiquait ouvertement les dysfonctionnements de son administration. Il savait qu’il était menacé, mais il était très courageux et totalement dédié à la population et à son parti », a déclaré l’un de ses proches à la presse en apprenant qu’on lui avait tiré dessus.

L’attaque contre la voiture de Magaqa eut lieu le 13 juillet 2017, tuant sur-le-champ deux des compagnons de ce cadre municipal. Magaqa décèdera à l’hôpital trois mois plus tard des suites de ses blessures. Plusieurs hommes politiques éminents de l’ANC étaient présents à ses funérailles, mais si ces derniers n’ont pas tari d’éloges en évoquant pendant la cérémonie l’engagement social du défunt, ils ont unanimement refusé de commenter les causes de son assassinat.

Dérive affairiste de l’ANC

Analysant les chiffres des meurtres réactualisés, l’auteur du rapport du Global Initiative sur les morts violentes en Afrique du Sud, Kim Thomas, indique que 13 des 19 meurtres politiques comptabilisés pendant les huit premiers mois de l’année en cours ont été perpétrés dans la province du KZN. « Si le KZN est plus touché que les autres régions, cela s’inscrit dans une longue tradition de violences politiques qui sévit dans cette province  », explique la chercheuse. A la fin des années 1980, lorsque les négociations battaient le plein pour mettre fin à l’apartheid et organiser la transition vers un régime démocratique, les violences opposaient l’ANC au puissant parti zoulou Inkatha Freedom Party du chef Buthelezi : elles firent au bas mot 20 000 morts. Selon certains historiens, ces violences entre communautés noires rivales auraient été fomentées par les partis d’extrême-droite afrikaner dans le but de discréditer la révolution démocratique en cours.

La donne a changé depuis 1994, date du transfert du pouvoir politique à la majorité noire. L’ANC est solidement aux manettes depuis bientôt 25 ans, même si les partis de l’opposition ont réussi parfois à imposer l’alternance à la tête des administrations municipales et régionales. Or les données recueillies par les équipes de la Global Initiative montrent que, comme l’écrit Kim Thomas, « les assassinats politiques sont plus nombreux dans les localités où il n’y a pas eu d’alternance, ce qui indique que les meurtres sont liés aux luttes internes au sein des partis politiques au pouvoir, en l’occurrence l’ANC, et pas à la compétition entre les partis ».

Les rivalités internes entre les « camarades  », comme les militants de l’ANC se désignent entre eux, sont souvent motivées par la compétition pour l’accès aux postes, devenu synonyme d’accès aux ressources. Dans ces conditions, les luttes se règlent parfois à coups de fusils, notamment dans les régions rurales où le parti de Mandela a le monopole du pouvoir, et distribue prébendes et contrats publics moyennant des dessous de table sonnantes et trébuchantes. « La dérive affairiste de l’ANC sous la présidence Zuma n’est peut-être pas étrangère à la hausse des assassinats politiques dans ce pays », affirme Kim Thomas.

Absence de volonté politique

La gravité de la situation a conduit le gouvernement du KZN à mettre en place en octobre 2016 une commission afin d’engager des investigations sur les assassinats politiques. La commission Moerane, ainsi appelée d’après le nom du magistrat qui la dirige, a auditionné une centaine de personnes, dont des chefs politiques régionaux, mais aussi des chercheurs, des journalistes et des lanceurs d’alerte et des activistes.

Les témoins interrogés par la commission ont tous insisté sur le lien étroit entre les meurtres et la corruption qui gangrène la classe politique. Déposant devant la commission, la spécialiste de la corruption en politique, Mary de Haas, a reproché à la police de vouloir minimiser le phénomène des assassinats politiques en ne donnant pas le chiffre exact de victimes. Elle déclare en avoir comptabilisé pour sa part plus d’une centaine dont les victimes des assassinats perpétrés par les résidents de l’hostel (foyer des travailleurs temporaires) de Glebelands (Durban), de sinistre mémoire. C’est parmi ces jeunes que les politiques puisent les exécuteurs de leurs basses besognes.

Le rapport de la commission Moerane, rendu public en août dernier, revient sur ces débats et exhorte le gouvernement à mieux protéger les lanceurs d’alerte et les activistes menacés pour avoir révélé les complicités entre la classe politique et les gangs mafieux. Sensibilisé au drame des meurtres politiques, le président Cyril Ramaphosa aurait demandé, pour sa part, à son ministre de la police d’accélérer son enquête et de lancer des poursuites pénales contre les assassins.

Si pour beaucoup d’observateurs, cette reconnaissance par le président de la gravité de la violence politique est un pas en avant, d’autres s’interrogent sur la lenteur des investigations policières qui n’ont débouché jusqu’ici sur quasiment aucune arrestation. Aux funérailles du conseiller municipal Luyanda Mbele tué le 22 octobre, le ministre de la police Bheki Cele avait promis à la famille de la victime de retrouver le ou les assassins sous trois jours. Plus d’une semaine s’est écoulée depuis…

« On peut se demander, s’interroge Marianne Séverin, spécialiste française de l’Afrique du Sud (1), s’il y a une véritable volonté pour prendre à bras le corps la question des violence politiques. » Et d’ajouter : « Manifestement, dans le contexte actuel, la priorité du gouvernement de Pretoria est de réunir les différentes factions de l’ANC en vue des législatives de 2019, plutôt que de diviser le parti en montrant du doigt ses éléments mafieux, impliqués dans des affaires de corruption, de l’attribution frauduleuse de marchés publics et des assassinats ! »


(1) Chercheur associée au Laboratoire pour l’Afrique dans le monde (LAM), Sciences Po Bordeaux.

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