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Le conflit qui oppose les rebelles du M23 et l’armée congolaise (FARDC) près de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, dans l’est du pays, s’est intensifié depuis le 14 juillet. La lutte se déroule sur deux champs de bataille : à l’arme lourde autour de Kanyaruchinya, une ville désertée par ses habitants, située à 14 km au nord de Goma ; et dans l’usine à rumeurs du Nord-Kivu. Le feu nourri des FARDC perturbe le M23, tandis que des critiques acérées et des attaques verbales s’en prennent à la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO).
Le jeudi 18 juillet, des manifestations se sont déroulées à Goma contre la MONUSCO. La police a dû faire usage de gaz lacrymogènes et tirer en l’air à titre d’averstissement. Les ONG étrangères ont recommandé à leurs employés de ne pas sortir de chez eux, et le contingent pakistanais de la MONUSCO s’est préparé à multiplier ses patrouilles, voire à intervenir par la force.
Le colonel Mamadou Ndala, qui commande la campagne des FARDC, avait défilé en héros dans les rues de Goma le matin même. Les passants et les motards (chauffeurs de moto-taxi) avaient escorté sa Land Cruiser camouflée et équipée d’une mitrailleuse dans tout le centre-ville. Le colonel avait inspecté un camion qu’on chargeait de carburant pour les troupes du front et visité le poste de commandement du 802e régiment d’infanterie de Goma.
Quatre jours après la reprise des combats, au cours desquels plus de 100 rebelles auraient été tués, le colonel Ndala est manifestement adoré par les habitants de Goma. Amical, arborant un sourire radieux, c’est un personnage aimable et que l’imagination populaire de cette ville couverte de lave [le volcan Nyiragongo qui surplombe la ville est l’un des plus actifs au monde et a recouvert a deux reprises la ville] a pratiquement élevé au rang de saint. Une femme m’explique pourquoi il est si populaire à force de gestes menaçants : le colonel est l’homme qui va trancher la gorge au M23.
Le soutien dont jouit le colonel Ndala n’a d’égal que l’hostilité que suscite la MONUSCO dans la population. Cela m’apparaît on ne peut plus clairement alors que je suis le colonel à travers la ville pour obtenir une interview. Devant un hôpital, une femme de soldat me jette une pierre qui me touche à la jambe. Puis mes oreilles sont assaillies d’insultes en swahili et lingala, deux des quatre langues nationales de la RDC. Mon chauffeur et moi expliquons à une foule menaçante de femmes et d’enfants, lui en swahili et moi en mauvais lingala, que je ne fais pas partie de la MONUSCO. Finalement, la femme qui m’a lancé la pierre me fait un sourire d’excuse et la haine laisse la place au désir de m’aider à faire mon travail.
Alors que nous quittons la ville et suivons le colonel Mamadou sur la route de l’aéroport, nous apprenons la grande rumeur du jour : le colonel aurait été appelé à Kinshasa et serait affecté dans une autre province.
Les rumeurs vont bon train en RDC. En 2010, les shégués (enfants des rues) de Kinshasa s’étaient moqués de mon smartphone et m’avaient expliqué que le radiotrottoir était « plus rapide que l’Internet ». A Goma, des adolescents tout excités racontaient des rumeurs à la Elvis sur la mort de Michael Jackson : la CIA était dans le coup et le roi de la pop vivait en fait à Lubumbashi [capitale de l’Etat du Katanga, situé à l’extrême sud du pays] et s’apprêtait à sortir un nouveau single. Les rumeurs récentes ont toutefois des implications plus sérieuses.
La rumeur du départ du colonel pour Kinshasa s’est répandue et les cris « N’y va pas ! » et « Il n’ira pas ! » fusent au milieu des nuages de poussière que soulèvent la Land Cruiser et son escorte, qui foncent sur la route inachevée qui mène à l’aéroport… et le dépassent. Il est facile de prouver qu’une rumeur est sans fondement. Mamadou ne partait pas pour Kinshasa, et les choses auraient dû s’arrêter là.
Sauf qu’il n’en est rien. L’idée même que le gouvernement central puisse empêcher Mamadou et les FARDC d’obtenir la victoire suffit à entretenir la colère. Une banderole proclame ainsi : « Mamadou reste et Kabila [président de la RDC] part. RIP Kabila. » Alors qu’il franchit les barrages de police pour foncer vers la ligne de front, les motards ne peuvent plus suivre le colonel, mais la foule continue à scander des slogans et les événements tournent à la manifestation.
Un jeune homme nous déclare : « Si le colonel Mamadou s’en va, nous attaquerons tous les bâtiments de la MONUSCO. » Un autre souligne que leur homme pourrait vaincre le M23, mais que la MONUSCO l’en empêche.
Le groupe de motards se disperse, rattrapé par la nécessité de repartir gagner son pain et par les appels au calme de Jean-Marie Malosa, le chef de la police du district de Nyragonga. Une fois les motards calmés et partis, celui-ci se dit content de voir que « la population est derrière l’armée ». Cet épisode permet en effet de tirer la leçon comme quoi la population soutient l’armée et le moral est bon.
Les Nations unies suscitent beaucoup de frustrations à Goma. En novembre 2012, la MONUSCO n’a pas protégé la ville et le M23 l’a occupée pendant dix jours. Les habitants se souviennent d’avoir vu les soldats onusiens regarder sans rien faire les troupes du M23 déferler dans les rues et piller les bâtiments publics et un hôpital.
Non seulement les gens ont l’impression que la MONUSCO ne les protège pas, mais ils sont convaincus que ses membres sont surpayés, en argent, en droits et en faveurs sexuelles. Des règles plus strictes ont été adoptées pour limiter les scandales sexuels, mais les salaires de la MONUSCO sont toujours largement considérés comme trop élevés.
D’après les motards à qui j’ai parlé au cours de la semaine dernière, l’argent abonde à Goma. Les habitants pensent toutefois que cet argent n’arrive pas jusqu’à eux. « Les expatriés sont là pour gagner de l’argent et le rapporter chez eux », me confie un vendeur des rues.
Les Nations unies espèrent que cette méfiance diminuera une fois que la brigade d’intervention qui vient d’être formée atteindra sa pleine capacité, le mois prochain. Constituée de Sud-Africains, de Malawites et de Tanzaniens, la brigade, qui a [pour la première fois] un mandat offensif pour combattre les milices rebelles, est en cours de déploiement à Sake, dans le Nord-Kivu.
Les rumeurs se propagent à toute vitesse, et Goma est une poudrière. Une fois qu’une rumeur a pris, il est difficile de la faire taire. Même si le colonel Mamadou se dirigeait vers le front, et non vers l’aéroport, les motards se sont accrochés à l’idée que leur sauveur était envoyé ailleurs – et que cela, d’une façon ou d’une autre, était de la faute de la MONUSCO.
Lambert Mende, le porte-parole du gouvernement à Kinshasa, et le colonel Hamuli, le porte-parole des FARDC à Goma, ont appelé au calme et à l’arrêt des manifestations contre la MONUSCO sur Radio Okapi [une radio congolaise financée par l’ONU]. Selon eux, le M23 utilise les rumeurs pour déstabiliser la ville.
La bataille pour le contrôle du discours ne se déroule pas uniquement via le radiotrottoir. Les échauffourées sont également permanentes en ligne. De Twitter aux blogs, information et désinformation jouent un rôle important dans la perception de la situation au Nord-Kivu. Twitter regorge d’inventions flagrantes, divers comptes présentent tous les jours depuis lundi [15 juillet] des états erronés de la position des combattants du M23, ainsi que d’autres rumeurs. La situation est tellement explosive et les informations si douteuses circulent tellement vite que c’est peut-être une bénédiction qu’il y ait si peu de gens ayant accès à l’Internet en RDC.
Même si la brigade d’intervention arrive et fait un peu diminuer la haine vis-à-vis de la MONUSCO, les motards ne seront pas entièrement satisfaits. Ils continueront à se plaindre parce que le personnel des Nations unies et de l’aide se sont pas autorisés à faire appel à leurs services pour des raisons de sécurité. Il sera aussi difficile de conquérir la puissante radio trottoir que de s’attaquer au M23.