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À propos de la visite de Bernard Kouchner à Kinshasa


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Source: Afriqu’Echos Magazine

En Afrique, les Français aiment bien les démocraties de pacotille et particulièrement, sous l’influence de B. Kouchner, celle qui trône sans partage au Rwanda. On peut s’interroger sur les raisons qui animent M. Kouchner, artisan principal de la réconciliation franco-rwandaise. Ce n’est sans doute pas la défense de la francophonie, le Rwanda de Kagamé vient de lui tourner le dos en adhérant au Commonwealth ; ce n’est pas non plus la défense d’intérêts économiques français dans la région des Grands Lacs, ils sont quasi-nuls. Ce n’est pas non plus pour que la France retrouve une influence politique dans la région, elle est disqualifiée depuis longtemps sans espoir de retour face à la puissance américaine dont elle est devenue une servante zélée : le retour de la France dans l’OTAN, sa participation à la guerre américaine en Afghanistan, sa dénonciation sans nuances du régime iranien, son soutien toujours plus évident à Israël conduisant à la négation du droit à l’existence des Palestiniens, en sont autant de témoignages. La diplomatie française ne soutient même pas ses propres agents en Israël, restant sans réaction contre les vexations que les autorités israéliennes leur font subir, jour après jour. Non, ce qui a conduit M. Kouchner dans sa quête de réconciliation avec le Rwanda est beaucoup plus personnel.

M. Kouchner s’est toujours montré proche de la minorité tutsi, dont on a pu écrire, sans crainte du ridicule, qu’elle était d’origine « nilotique » par opposition à la majorité hutu, qui serait bantoue : le « seigneur d’Orient » tutsi contre le nègre « banania » hutu. Ce sont des inepties, mais la vision des tutsi, dont la littérature coloniale a été jusqu’à soutenir qu’ils étaient des « juifs africains », en proie à la barbarie des bantous (les hutu), n’est pas pour rien dans la perception qu’à M. Kouchner du drame rwandais. Ce drame, il ne le voit qu’à travers le « génocide » qui frappa les tutsi en 1994 ; pas une seconde n’est évoqué le massacre perpétré, par l’armée rwandaise, en 1996/1997 de plus de 200 000 réfugiés hutu en fuite dans les forêts de l’Est de la RDC ; sur ce massacre, la lumière n’est pas encore faite aujourd’hui, et il n’est pas « politiquement correct » d’en parler. Tout comme les violences inouïes faites au Palestiniens, menacés jusque dans leur existence, ne pèsent rien tant Israël doit être soutenue en raison de la Shoah qui excuse tout, le génocide de 1994 dédouane le Rwanda aux mains du FPR de toute responsabilité dans l’instabilité du Kivu et dans les crimes commis contre sa population. Il n’est évidemment pas question de nier l’horreur de la Shoah ni celle du massacre à grande échelle de 1994 dont furent victimes les tutsi mais pourquoi tolérer que ces événements tragiques doivent exonérer des victimes qui se sont rendues elles-mêmes coupables de crimes affreux commis depuis de longues années, en Palestine et au Kivu ?

La réconciliation franco-rwandaise – même si, côté rwandais, elle n’est que de façade – ne doit pas se faire sur le dos de la RDC. Malgré les dénégations françaises, après divulgation du plan de paix pour le Kivu le 16 janvier 2009, énoncé par le président Sarkozy, précédé, en décembre 2008, de celui concocté par l’Américain Herman Cohen, nul ne peut douter que, dans l’esprit des Occidentaux, la balkanisation du Congo demeure un moyen de satisfaire leur convoitise des richesses du sol et du sous-sol du Kivu en s’appuyant sur le Rwanda, exigu et surpeuplé, sans ressources autre que l’agriculture, pays entrepôt des pillages du Congo qui contribue à leur transfert en Europe ou aux Etats-Unis et qui voit, dans le dépeçage de son grand voisin, la possibilité d’une extension territoriale à laquelle il n’a jamais renoncé. Que la France et les Etats-Unis, que l’ONU et tous ceux qui se piquent d’être des « amis » de la RDC fassent en sorte que l’Etat congolais puisse contrôler les mines du Kivu et leur exploitation, qu’il puisse, plus généralement, asseoir définitivement son autorité sur ses provinces de l’Est et enfin qu’il soit en capacité d’assurer une paix véritable au Kivu, alors on pourra considérer autrement le rapprochement français avec le Rwanda. La visite du ministre français des Affaires étrangères à Kinshasa, après avoir signifié à Kigali la « repentance » française aurait dû être l’occasion pour les autorités congolaises, issues, elles, d’élections libres et démocratiques, de le rappeler aux Français. Malheureusement, à la lecture des comptes-rendus de cette visite dans les médias, apparemment ceci n’a pas été fait. M. Kouchner a salué la paix retrouvée et la bonne entente existant aujourd’hui entre le Rwanda et la RDC dont le point d’orgue serait l’entrée au gouvernement congolais d’anciens rebelles du CNDP ; il a ensuite fait connaître la position de la France au sujet de la MONUC dont le retrait du Congo serait prématuré, invitant le président Kabila à se rendre en France et annonçant la visite en RDC, en février, d’investisseurs français. Les dirigeants congolais se sont montrés satisfaits des déclarations de M. Kouchner. On ne peut être que dubitatif devant leur inconsistance et leur manque de fermeté à l’égard de cette « communauté internationale » qui continue à placer le Congo sous tutelle. Comment envisager la relance d’une coopération régionale, au travers de la CEEAC, réclamée à cor et à cri par les Occidentaux, sans réelle souveraineté de l’’Etat congolais sur le Kivu ? Il est à craindre, dans ces conditions, de voir les Congolais dépossédés de l’affirmation de l’indépendance de leur pays – dont la célébration du cinquantenaire devrait être l’éclatante manifestation – comme ils ont été dépossédés depuis 1960 de la réalité de celle-ci. Leurs dirigeants, toutes époques confondues, sont coupables de cette dépossession.

L’inauguration récente à Kinshasa d’un monument à la mémoire de Joseph Kasa-Vubu est un témoignage de la méconnaissance, consciente ou non, de leur propre histoire par les Congolais, quand on sait le rôle joué par le premier président du Congo dans l’élimination de Patrice Lumumba et dans la gestion des intérêts occidentaux au Congo jusqu’à ce que, en 1965, Mobutu prenne le relais. En avril 2009, le président Kabila déclara, dans une belle interview donnée au New York Times, que « le Congo est un gentil géant », un beaucoup trop gentil géant devrait-on dire. |Alain Bischoff*

* [1]
Notes:
[1] Alain Bischoff, juriste, consultant indépendant pour l’Afrique centrale. (Auteur de Congo-Kinshasa, la décennie 1997-2007, Editions du Cygne, Paris, 2008)