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-Les diplomates africains à New Delhi se sont réunis suite à un énième crime raciste perpétré contre un étudiant noir. Ils ont interpellé le gouvernement indien et menacent de recommander à leurs pays de ne pas envoyer de nouveaux étudiants en Inde tant que leur sécurité ne sera pas garantie.
Les diplomates africains en Inde avaient menacé de ne pas participer ce jeudi 26 mai, aux célébrations de l’Africa Day qui sont organisées par le conseil indien pour les relations culturelles. Finalement, ils ont maintenu leur participation. « Une participation somme toute représentative pour ne pas embarrasser le gouvernement indien », selon Aziz Loum, conseiller politique à l’ambassade du Sénégal.
L’explication de ce boycott évité de justesse se trouve dans le communiqué publié par le collectif des ambassadeurs africains en poste à New Delhi : « C’est parce que nous sommes encore endeuillés par le meurtre tragique du jeune ressortissant congolais dans les rues de New Delhi la semaine dernière ». « Nous avions d’ailleurs demandé au gouvernement indien de reporter les festivités de la journée africaine », ajoute Alem Tsehage Wodemariam, ambassadeur de l’Erythrée et doyen des chefs de missions africains en poste dans la capitale indienne.
Que New Delhi ait choisi de ne pas accéder à la demande des diplomates témoigne moins de l’insensibilité que de l’embarras grandissant du gouvernement indien confronté à la multiplication des violences racistes dans les grandes métropoles du pays.
Le meurtre du jeune Congolais Olivier Masundo Kitanda survenu dans la nuit du vendredi 20 mai, est le dernier d’une série d’agressions contre les ressortissants africains en Inde depuis plusieurs mois. Agé de 29 ans, le jeune homme, originaire de la République démocratique du Congo (RDC), enseignait le français dans une école de langues à New Delhi, tout en poursuivant des études en informatique.
Vendredi soir, vers minuit, suite à une dispute qui l’a opposé à trois Indiens qui voulaient monter dans la moto-taxi qu’il venait d’héler pour rentrer chez lui dans le quartier sud de la capitale, Olivier Kitanda a été tué à coups de pierres et de briques. Les vidéos de surveillance ont filmé l’agression et ont, depuis, permis d’arrêter deux des trois agresseurs aux casiers judiciaires, semble-t-il, particulièrement chargés.
Racisme anti-africain
Etait-ce une agression raciste ? Pour les policiers qui mènent l’enquête, le meurtre du Congolais n’aurait aucune connotation raciale. Toutefois les attaques contre les ressortissants africains sont fréquentes en Inde. Ils subissent régulièrement des insultes ouvertement racistes qui dégénèrent rapidement en violences physiques. En janvier dernier, à Bangalore – la « Silicon Valley » de l’Inde – une étudiante tanzanienne de 21 ans a été extirpée de sa voiture en même temps que ses trois compagnons, par une foule en colère suite à un accident mortel impliquant un conducteur soudanais. La voiture de la jeune fille a été incendiée et celle-ci et ses amis ont été passés à tabac. Les malheureux ont eu la vie sauve grâce à l’arrivée de la police.
En 2014, trois jeunes étudiants gabonais et burkinabè ont failli être lynchés dans une station de métro de New Delhi. Quelques mois avant, un ministre du gouvernement local a personnellement mené une équipe de policiers en pleine nuit dans un quartier populaire de la capitale pour arrêter des Ougandaises dénoncées par leurs voisins comme étant des prostituées et des droguées.
En 2013, la télévision indienne a rapporté l’histoire tragique de l’étudiant burundais Yannick Nihangaza, venu se perfectionner en informatique dans une université du Punjab, au nord de l’Inde. Le jeune homme a passé neuf mois dans le coma après s’être fait fracasser la tête par une bande de voyous. Selon le rapport de la police que le père de la victime a pu consulter, l’attaque était de nature raciste. Le jeune homme est depuis sorti du coma mais ne pourra plus jamais mener une vie normale.
« Cette fois, la coupe est pleine, s’exclame Kasongo Musenga, conseiller à l’ambassade de la RDC en Inde. Ce pays est une destination prisée de nos étudiants. Or depuis quelques mois, pas une semaine ne passe sans qu’on reçoive des demandes d’aide de la part de nos jeunes, se plaignant d’harcèlements et de violences qu’ils subissent quotidiennement. Souvent, ils ont besoin d’aide pour trouver des logements parce que les propriétaires refusent de leur louer des chambres. Mon ambassade pouvait difficilement laisser passer le meurtre d’Olivier sans réagir.»
En effet, exaspéré par le peu d’empressement témoigné par les autorités indiennes pour engager des poursuites judiciaires sérieuses contre les auteurs d’agressions racistes, le collectif des chefs de missions africains s’est réuni après le meurtre de l’étudiant congolais pour réfléchir à un mode de protestation adapté. D’après leur communiqué de presse, les ambassadeurs africains envisagent de demander à leurs gouvernements de ne pas envoyer de nouveaux étudiants en Inde tant que leur sécurité ne sera pas garantie. « Nos diplomates ont également demandé à rencontrer la ministre des Affaires étrangères pour lui rappeler la nécessité de mettre au point rapidement des programmes éducatifs pour lutter contre les stéréotypes et le racisme qui brouillent la vision qu’a le grand public indien de l’Afrique », a confié Kasungo Musenga.
Ces interpellations par les diplomates africains gênent les autorités indiennes dont l’embarras n’a d’égal que l’ampleur de leurs ambitions économiques africaines. Les enjeux sont en effet considérables pour l’Inde qui a réuni en octobre dernier, à New Delhi, les chefs d’Etat et de gouvernement des 54 Etats africains dans le cadre du troisième sommet Inde-Afrique. L’objectif était de donner une nouvelle impulsion à leur coopération économique et commerciale. Economie émergente, l’Inde a besoin de l’Afrique pour assurer les besoins de son industrie en ressources naturelles et en énergie.
Les entreprises indiennes convoitent aussi les marchés africains en pleine expansion, où elles sont en compétition avec leurs homologues chinois et occidentaux implantés sur le continent depuis plus longtemps. Pour rattraper son retard, l’Inde a proposé aux pays africains un partenariat « gagnant-gagnant » basé sur les transferts de technologies et de savoir-faire. New Delhi a aussi annoncé à l’occasion du sommet d’octobre dernier le doublement des bourses accordées aux étudiants africains désireux de venir étudier en Inde.
Rappelons que les universités indiennes ont une longue tradition d’accueil d’étudiants africains. L’université Barakhatulla dans l’Etat indien du Madhya Pradesh a attribué l’année dernière un doctorat honoris causa au président somalien Hassan Sheikh Mohamund dans le cadre d’une cérémonie émouvante pendant laquelle le Somalien est revenu sur ses années d’études en Inde, il y a presque trois décennies.
Plus de bourses, mais aussi le coût peu onéreux des études dans les institutions supérieures indiennes, privées ou publiques, attirent aujourd’hui de plus en plus de jeunes africains dans les campus universitaires à travers le sous-continent. Certains avancent qu’ils seraient au nombre de 30 000, alors qu’ils n’étaient qu’une petite poignée dans les années 1990. Or avec le grand public indien nourri de stéréotypes coloniaux sur l’Afrique et les Africains, la cohabitation Africains-Indiens s’est révélée conflictuelle, conduisant à des agressions racistes qui font désormais la Une de la presse internationale.
Opération de com’
L’indignation suscitée dans le milieu diplomatique par le meurtre de l’étudiant congolais de New Delhi a poussé cette fois les autorités indiennes à réagir. Craignant que ces violences ne compromettent la bonne image de partenaire économique viable dont jouit l’Inde sur le continent africain, le porte-parole du ministère indien des Affaires étrangères a condamné le meurtre, sans pour autant le qualifier de « raciste ».
La ministre Sushma Swaraj elle-même a expédié un tweet annonçant le lancement d’un programme de sensibilisation pour rappeler aux Indiens que ces agressions contre les étrangers « embarrassent » le pays. Ces timides prises de position suffiront-elles pour mettre fin aux violences ? On peut en douter car, comme l’a écrit la presse indienne, les propos de la ministre sonnent plus comme une banale opération de communication plutôt que comme une véritable condamnation de la montée du racisme anti-africain, alors que la situation exige un geste exceptionnel de la part des responsables au sommet de l’Etat.
« J’aimerais voir le Premier ministre en personne prendre la parole à la télé, écrivait un éditorialiste respecté de Bangalore au lendemain de l’attaque raciste perpétrée contre la Tanzanienne en février dernier, et exprimer en sa qualité de haut représentant de l’Etat sa repentance pour cette agression raciste. Il devrait inviter la jeune femme à New Delhi pour se faire photographier avec elle, en train de lui offrir de vive voix la repentance de la nation tout entière. »
Et Tunku Varadarajan d’ajouter : « Il enverra ainsi un message clair à l’Afrique et aux Africains – et par là même à tous les Indiens – qu’un grand pays comme le nôtre ne peut tolérer le racisme. » Pour calmer l’inquiétude des diplomates africains en colère, c’est sans doute ce qu’il conviendrait de faire lorsque les parents du jeune Congolais assassiné seront prochainement à New Delhi pour ramener chez eux le corps de leur fils disparu.
rfi