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-Les crises actuelles au Mali et en RDC le confirment une nouvelle fois. Mal équipées, mal commandées, mal entraînées et… mal aimées, la plupart des forces de sécurité subsahariennes sont dans un piteux état. Enquête.
Le patron d’Africom – le commandement militaire américain pour l’Afrique – est allé droit au but lors d’un briefing accordé le 3 décembre au Homeland Security Policy Institute, un think-tank réputé de Washington. Prié de s’exprimer sur les chances de réussite d’une opération militaire au Nord-Mali, le général Carter F. Ham s’est dit très sceptique sur les capacités d’une force conjointe africaine à mener seule une telle action. Depuis des années, a-t-il expliqué, les rares armées opérationnelles du continent ont été entraînées et équipées pour participer à des opérations de maintien de la paix, mais elles sont incapables de mener une guerre offensive.
En d’autres termes : si nous, Occidentaux, ne prenons pas les choses en main – ce qui, en l’état, n’est ni envisageable ni souhaitable -, il ne se passera rien. Le diagnostic est cruel, mais il est juste. Et ce qui vaut pour l’armée malienne en déroute, chassée de Kidal, Gao et Tombouctou en moins de trois mois après avoir abandonné armes, bagages et munitions aux mains des insurgés, vaut aussi pour une bonne partie de l’Afrique francophone : cinquante ans après les indépendances, aucune armée ou presque n’est en mesure de défendre son propre territoire national. Comme d’habitude, c’est de ce révélateur des crises africaines qu’est la RDC que nous viennent les images les plus choquantes de cette faillite. La chute de Goma, le 20 novembre, a jeté sur la route de Bukavu un troupeau informe d’hommes en uniforme de l’armée congolaise, officiers en tête, comme aspirés par le siphon de la débâcle. Une masse à la fois folle et molle soldant au fil des kilomètres ce qui lui restait de dignité dans l’allure comme dans la tenue, les bras chargés du butin des pillages, souvent abrutie par l’alcool et le chanvre, délivrée de toute discipline. Ces naufragés débraillés aux visages hébétés de fatigue, raclant le sol de leurs godillots, de leurs baskets ou de leurs tongs, le casque sur l’oreille, constituent pour les civils réfugiés auxquels ils se mêlent une menace latente.
Des soldats de parade, aussi remarquables les jours de défilé qu’inaptes sous le feu.
Derrière ce défilé pathétique des chemineaux de la défaite, c’est toute une nation qui s’effondre. De Bamako à Kinshasa, quand une armée en déroute ne suscite plus de la part des citoyens que colère, amertume, sarcasmes et parfois terreur au passage de la cohorte chancelante et prédatrice de ces silhouettes avachies qui se nourrissent sur la bête, c’est le pays tout entier qui subit une sorte de castration symbolique.
Ce mauvais film où une soldatesque en fuite dépouille ceux qu’elle est censée protéger, les habitants des deux Kivus ne l’ont que trop vu depuis quinze ans. Mais ils ne sont pas les seuls. En 1996 et 1997, ce sont toutes les villes traversées lors de leur retraite éperdue que les ex-FAZ, ces Forces armées zaïroises dont Mobutu était si fier, ont soumises à la loi du racket. En Centrafrique, le moindre coup de boutoir d’une rébellion de coupeurs de route fait reculer la Garde présidentielle jusqu’aux portes de la capitale. En Ouganda, les tueurs de l’Armée de résistance du seigneur (LRA) et leur chef Joseph Kony se jouent depuis des années des bataillons de l’armée régulière lancés à leur poursuite. En Côte d’Ivoire, les Forces de défense et de sécurité de Laurent Gbagbo ne sont jamais parvenues à reprendre le contrôle de la moitié nord du pays et la nouvelle armée de son successeur Alassane Ouattara n’a de républicaine que le nom, tant sa composition et son comportement sur le terrain paraissent unilatéraux. Au Congo-Brazzaville, cinq mois de guerre civile en 1997 n’ont même pas permis à l’armée loyaliste de s’emparer des quartiers nord de la capitale, avant de se faire balayer par les miliciens Cobras. L’on pourrait multiplier les exemples de ces armées de parade, aussi remarquables les jours de défilé qu’inaptes sous le feu, aussi redoutables dès qu’il s’agit de taxer les véhicules qui s’aventurent aux abords de leurs barrages qu’incapables de tenir leurs positions sous la mitraille, souvent contraintes par carence et aboulie de sous-traiter les lignes de front à des supplétifs incontrôlés : Maï-Maï en RDC, Ganda-Koy et Ganda-Izo au Mali, Libériens et Dozos en Côte d’Ivoire, Djandjawid au Soudan.
Peur
Les raisons de cet échec collectif ne tiennent évidemment pas à la qualité intrinsèque des hommes de troupe, ni à la formation des officiers (tout au moins les officiers supérieurs), issus souvent des meilleures écoles. Outre la logistique et les moyens adéquats, ce qui manque le plus à ces armées en gestation sont la motivation et le sens de la mission qui leur est confiée. Se battre sans savoir pourquoi on se bat et avec l’impression constante de ne pas être respecté ni soutenu par un pouvoir politique fort et un leadership uni sont des handicaps rédhibitoires. Au Mali comme en RDC, les militaires ont eu la conviction d’avoir été trahis par l’arrière, au point de développer une obsession de la cinquième colonne comme syndrome compensatoire à leur propre humiliation. Ils se méfient de l’État et l’État se méfie d’eux, au point qu’aujourd’hui encore certains chefs d’état-major, voire certains présidents, ne distribuent armes et cartouches qu’avec une extrême parcimonie, de peur qu’elles ne se retournent contre eux. Tout en somme est affaire de gouvernance. Et sur ce point, l’Afrique a encore un long chemin devant elle…
Malgré tout, quelques bons élèves
Les problèmes structurels dont souffrent les armées subsahariennes ne doivent pas occulter leurs qualités, ou les progrès accomplis au cours des dix dernières années par certaines d’entre elles. Après avoir contribué avec succès à la transition de l’apartheid à la démocratie, l’armée sud-africaine reste ainsi l’une des plus puissantes du continent, en particulier grâce à son aviation de combat et de transport… En outre, elle déploie un peu plus de 1 000 hommes au sein de la Mission des Nations unies pour la stabilisation de la RDC (Monusco).
Le Kenya compte parmi les autres armées bien notées : ses troupes s’entraînent régulièrement, y compris avec les Britanniques et les Américains. Les bénéfices sont là, comme en témoigne le bon comportement des soldats kényans engagés contre les Shebab à travers la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom). Même si son matériel est vieillissant, il reste tout à fait opérationnel. Cette efficacité se traduit par les déploiements à l’étranger : observateurs en RD Congo, importants contingents en Somalie et au Soudan du Sud, instructeurs en Ouganda…
Toujours en Somalie, les 5 000 soldats ougandais engagés ont fait preuve d’une certaine efficacité en dépit de lourdes pertes, tandis que le pays modernise son arsenal et que les États-Unis pourraient transférer des appareils de surveillance et de reconnaissance. Accusé par l’ONU de soutenir les rebelles du M23 en RD Congo, le pouvoir de Kampala a fait savoir qu’il pouvait envisager un retrait de Somalie. S’il survenait, l’Éthiopie enverrait alors une dizaine de milliers d’hommes. Ses militaires connaissent déjà bien le terrain pour y avoir affronté et battu les Shebab.
Également accusé de soutien au M23, le Rwanda dispose de forces efficientes, surtout dans le domaine des opérations d’infanterie légère et de lutte antiguérilla. Déployées notamment au Darfour, ces troupes sont reconnues aux Nations unies pour leurs compétences, en particulier dans les actions civilo-militaires.
D’autres pays entrent également dans cette catégorie des élèves en net progrès : le Ghana et la Tanzanie participent à plusieurs opérations de maintien de la paix des Nations unies ; le Tchad et la Mauritanie, avec leurs unités spécialisées, sont considérés par les experts militaires comme les seuls pays de la sous-région à vraiment pouvoir faire la différence face aux jihadistes dans le nord du Mali. Laurent Touchard
(Jeune Afrique)