Isidore et les autres , de Camille Bordas, Inculte, 414 p., 19,90 €.
Sur le plan scolaire, les cinq premiers enfants de la famille Mazal peuvent être considérés comme des surdoués. Ils remplissent des dossiers de candidature en classe prépa quand les enfants de leur âge sont encore au collège. Ils cherchent un nouveau sujet de thèse à peine leur premier doctorat obtenu. Rien ne leur plaît tant, lorsqu’ils sont réunis, que d’organiser une « soirée condescendance ». Quoi de plus drôle, eneffet, que de pointer l’étroitesse d’esprit de ceux qui n’ont jamais lu Aristote, Deleuze et Bourdieu ? Ou de relever les naïvetés et maladresses d’un photographe amateur qui ne connaîtrait pas en détail l’histoire de l’art ? Sûrs de leur bon goût comme de leur intelligence, ils ne doutent pas un instant de leur capacité à réussir leur vie. Aucune difficulté ne devrait leur résister, puisqu’ils ont toutes les clés pour comprendre le monde qui les entoure. Encore faudrait-il, bien sûr, qu’ils y prêtent attention. Le réel, on s’en doute, va se rappeler à eux avec brutalité.
La satire pourrait s’annoncer féroce. Elle est, sous la plume de Camille Bordas, douce-amère. Comme si l’auteure réévaluait, plutôt qu’elle ne les reniait, des codes et des valeurs qu’elle avait elle-même, un temps, adoptés. Ni anti-intellectualiste ni empreint d’excessifs bons sentiments, Isidore et les autres est tout simplement un roman vivifiant. Un texte en apparence léger, qui ausculte pourtant avec une généreuse lucidité la façon dont chacun des personnages – chacun de nous, aussi bien – organise le passage des livres à la vie, et inversement. Si la culture académique et sa prétention à tout expliquer sont égratignées, la tonalité du roman n’est en rien désenchantée. Le tableau que la jeune romancière (née en 1987) brosse de cette famille d’intellectuels névrosés, mal à l’aise avec les émotions, est suffisamment impressionniste…