Incroyable liberté d’inspiration que celle du chorégraphe américain Jerome Robbins (1918-1998) ! Sur une gamme musicale panachée : Philip Glass, Bach, Debussy, Bernstein, le père de West Side Story (1957), il savait sauter du coq à l’âne, sans perdre le contact avec une danse savante, enracinée dans le vocabulaire classique, mais toujours humaine.
Ce paradoxe éclate dans le programme à l’affiche du Palais Garnier. Solide et superbe, il est interprété avec mordant par les danseurs de l’Opéra national de Paris qui ont travaillé avec Jean-Pierre Frohlich, interprète et assistant du chorégraphe pendant trente ans. Un coup de pied aux fesses et nous voilà dans une comédie musicale de marins en goguette pour Fancy Free (1944) ; une galipette envoie paître la technique dans A Suite of Dances (1994) ; un coup de chaud érotique irradie le duo Afternoon of a Faun (1953) ; une bonne marche fouette l’exercice de géométrie qu’est Glass Pieces (1983).
Fibre romantique et mélancolique
La fibre romantique et mélancolique de Robbins, créateur d’une soixantaine de ballets, dont les best-sellers In the Night (1970) et Dances at a Gathering (1969), sur des musiques de Chopin, n’y est pas présente. Régulièrement dansées, ces pièces, chapitres d’un roman sentimental sur la rencontre, composaient en 2010, toujours à Garnier, l’essentiel d’un Hommage à Robbins . Cette nouvelle soirée, moins gazeuse, plus dynamique, propose une autre vision de l’œuvre de ce néoclassique hautement singulier, dont on fête cette année le centième anniversaire de la naissance.
L’irruption de la vie dans la virtuosité file la chair de poule à la danse de Robbins. Elle vrille le langage classique, le tourneboule, le fait régulièrement dérailler en lui rappelant qu’il raconte d’abord une histoire. Cette narration souterraine entraîne un jeu d’acteur muet d’une impeccable minutie, greffé sur un flot…