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La jeune Marubini s’entend bien avec sa mère qui a la main verte, sa grand-mère qui a son franc-parler, son frère qui a un bon coup de crayon et son petit ami Pierre, métis franco-camerounais et chef cuisinier de son état. Elle commercialise du vin dans la région du Cap. Mais elle est sujette à des crises qui pourraient être épileptiques et déclenchent des visions. Elle se blesse durant une de ces transes. Son entourage croit qu’elle veut mettre fin à ses jours.
Petit à petit, Marubini traque la cause principale de son trouble. Son père adoré était un sangoma – guérisseur traditionnel – à Soweto. Elle accepte mal sa disparition. Est-il mort engoncé dans un pneu en flammes ? S’est-il fait tabasser à mort par des nervis de l’Inkatha ? Elle finit par communiquer avec lui et obtient des réponses partielles : les ancêtres ont soulagé l’homme de son fardeau, mais lui ont ordonné de ne jamais revenir parmi les siens.
Ce qui séduit dans ce roman bien léché*, c’est le mélange entre une vie quotidienne enlevée et un monde magique esquissé. La lecture est facilitée par une typographie différente, selon que l’on aborde l’enfance de l’héroïne ou sa vie d’adulte.
Chaque personnage cherche à se reconstruire. La mère se lance dans des pépinières à Soweto, puis à Orange Grove. Le frère dessine des scènes qui s’avèrent prémonitoires. L’ensemble de l’ouvrage n’est pas larmoyant. Au contraire, un zeste d’irrationnel et des touches d’humour donnent à ce roman une saveur bienvenue. Marubini arrive lentement à concilier son passé traditionnel (adolescente, elle a été initiée) et son immersion dans le monde trépidant de Johannesburg au XXIe siècle. Elle donne à son bébé un prénom curieusement présenté comme camerounais.
Tout au plus peut-on reprocher le souci, fréquent chez les écrivains sud-africains, de rendre compte de la diversité linguistique dans les dialogues contemporains. Dans un pays qui compte onze langues officielles, sans parler des argots urbains, ajouter un glossaire en fin d’ouvrage ne serait pas un luxe.
Née Carol Mashigo en 1983 à Soweto, l’auteure est aussi animatrice de radio. Elle compose et chante sous le nom de Black Porcelain. Elle se décrit d’abord comme une conteuse, et explique avoir voulu se soigner en écrivant son roman. Le manuscrit a été rejeté à maintes reprises. Sa mère, n’ayant jamais perdu foi dans le talent littéraire de sa fille, organisait des préachats du livre dans sa paroisse.
Finalement publié, l’ouvrage a reçu le prix du premier roman à l’Université de Johannesburg en 2016.
Mohale Mashigo a commencé à écrire parce qu’elle ne trouvait pas grand-chose qui lui parle dans la littérature actuelle. Pas étonnant que ses modèles soient Alice Walker (Colour Purple) et l’excellente auteure de Nervous Conditions, la Zimbabwéenne Tsitsi Dangarembga. Elle aussi dispose de beaucoup de cordes à son arc : dramaturge, cinéaste, universitaire. Traduit en français sous le titre A fleur de peau (Albin Michel, 1991), son roman avait été distingué par le Prix du Commonwealth. Il renvoyait aux thèses de Frantz Fanon, soulignant les souffrances psychiques d’être une femme dans un univers machiste et colonial.
Black Porcelain murmure à l’oreille de son aînée que l’on peut se reconstruire. Avec courage, avec l’appui des autres, avec le sourire et un brin de magie.
*Mohale Mashigo, The Yearning, Picador Africa, 2016
Avis au futur traducteur / traductrice : en français, yearning signifie aussi bien la nostalgie que l’aspiration ou que le désir ardent. Choix délicat.