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En RDC, Kabila tente de survivre à la crise


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-Lubumbashi, poumon économique du pays, vit dans la peur de la répression après les émeutes, alors que le second mandat de Joseph Kabila s’est achevé le 19 décembre.
Dans le sud-est de la République démocratique du Congo (RDC), une ville aime à cultiver son image de cité minière, charmante et prospère. Plus proche de Dar es-Salaam, en Tanzanie, que de la capitale congolaise, Kinshasa, Lubumbashi pourrait même paraître prétentieuse avec son centre-ville soigné, ses maisons coloniales aux jardins fleuris, ses répliques de centres commerciaux sud-africains et ses routes asphaltées.

Dans de nombreux villages des environs, sur des pancartes de fer rouillé s’affiche le visage de l’ancien chef d’Etat Laurent-Désiré Kabila, assassiné en 2001. Son fils et successeur, le président Joseph Kabila, de même que ses principaux conseillers économiques et sécuritaires, ses ministres les plus stratégiques – hydrocarbures, mines, finances, portefeuille – sont originaires de cette ancienne province du Katanga, grande comme la France avant qu’elle soit administrativement redécoupée, en quatre, en juillet 2015.

Lubumbashi est aussi le fief de l’ancien gouverneur Moïse Katumbi. Accusé par le pouvoir d’avoir détourné des fonds lorsqu’il était à la tête de la province, M. Katumbi a bâti sa popularité sur une générosité de façade à l’égard des populations défavorisées, une habileté à impliquer ou à contraindre les sociétés minières à prendre en charge les infrastructures dont le prestige lui revenait. Sans oublier le TP Mazembe, le club le plus connu d’Afrique, dont les victoires servaient à son ascension politique. Depuis la dernière présidentielle en 2011, nul n’ignorait son ambition de succéder à Joseph Kabila, pour qui il a fait campagne avant de se muer en opposant fin 2015, ce qui lui a valu de voir exhumer des dossiers judiciaires.

Début d’insurrection

Menacé d’arrestation, M. Katumbi a négocié avec Joseph Kabila son départ du pays. Son immense villa fastueuse reste occupée par l’un de ses gardes du corps. Parmi ses voisins dans le quartier huppé Golfe, il y a le richissime homme d’affaires George Forrest, à la tête d’un empire minier, industriel et bancaire, ainsi qu’un certain Gédéon Kyungu Mutanga. Ce dernier est un ancien chef de guerre à la cruauté redoutée – et féticheur – qui a un temps usé de la menace sécessionniste avant d’être condamné à la prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité par la justice congolaise. Il s’est évadé de la prison de Lubumbashi en 2001 puis s’est rendu en octobre 2016, vêtu d’habits à la gloire du président.

Le 19 décembre, date de la fin constitutionnelle du second mandat de Joseph Kabila, les quartiers populaires de Kinshasa se sont soulevés, le temps d’une nuit et d’une journée. Des jeunes armés de pierres ont affronté les forces de sécurité. A Lubumbashi, jusque-là assommée par la répression, les affrontements ont pris la forme d’un début d’insurrection dans les zones défavorisées. Sans pour autant menacer le centre-ville. Huit morts dont quatre par des balles perdues, « pourtant tirées dans le ciel bleu », assure le porte-parole de la police, et 47 blessés. Des postes de police et des maisons communales du grand marché ont été pillés ou incendiés.

Lubumbashi, poumon économique de la RDC, fief ethnique du président et de ses hommes clés, a défié le pouvoir plus qu’aucune autre ville. Un symbole sonnant et trébuchant. Joseph Kabila ne peut pas se permettre de perdre la deuxième ville du pays. Ces derniers mois, Lubumbashi a fait l’objet de toute l’attention des services de sécurité. Les leaders de l’opposition, dont le vieux Gabriel Kyungu, charismatique chef historique de la mouvance indépendantiste katangaise, ont fait l’objet d’attaques. Des militants de l’opposition et des activistes de la société civile ont été traqués, emprisonnés pour certains. « On vit comme sous une dictature », dit un opposant qui demande l’anonymat. En réaction à ces deux jours d’insurrection, les services de sécurité auraient interpellé près de 150 personnes originaires de ces communes frondeuses, souvent de manière brutale. Lubumbashi a soudainement perdu de sa superbe.

« On réduit nos dépenses de prestige », dit, implacable, Jean-Claude Kazembe. Cet ancien ami de Moïse Katumbi resté fidèle à Joseph Kabila, inconnu du gotha de Lubumbashi, a été élu gouverneur du Haut-Katanga en mars. Parmi ses premières décisions : l’embellissement spectaculaire de l’enceinte du gouvernorat, jalonnée de petites maisons de pierre blanche aux toits pointus. « Ce sont des travaux qui contribuent à asseoir le respect des autorités, déclarait avant le 19 décembre M. Kazembe, qui prend la tête d’une province désargentée. J’ai dû baisser mon salaire de même que ceux des fonctionnaires car je dois gouverner avec un budget de 300 milliards de francs congolais seulement [près de 300 millions d’euros]. »

Asphyxie économique

Fini le temps de l’eldorado minier. La deuxième ville du pays s’enfonce dans une crise économique aggravée par le contexte politique. Les principales mines du Haut-Katanga sont à l’arrêt et l’élite de Lubumbashi reste suspendue au cours du cuivre, qui a chuté de 25 % en 2015 et remonte peu à peu, sans pour autant rassurer des investisseurs. Seuls les Chinois, avides de ressources cuprifères et peu exigeants en matière de droits de l’homme, semblent trouver leur compte, opérant le plus souvent à travers des sociétés opaques dissimulées dans des montages financiers qui le sont tout autant. Depuis 2015, des dizaines de milliers d’emplois salariés ont été supprimés dans un pays où l’informel reste prédominant. Les usines disparaissent peu à peu. Restent les creuseurs illégaux qui risquent leur vie pour quelques dollars. La délinquance est en hausse et, dit-on, s’exporte d’Afrique du Sud pour viser les riches expatriés du quartier Golfe.

L’économie minière héritée de l’époque coloniale a endormi la ville, qui a négligé son potentiel agricole, préférant importer les denrées alimentaires produites en Zambie, à une trentaine de kilomètres de là. Le prix des produits de base comme la farine s’est envolé depuis que l’Etat zambien, qui subventionne ses producteurs, a freiné l’exportation en RDC. Cette asphyxie économique a nourri la colère dans les quartiers populaires privés des dons de l’ancien gouverneur populiste, Moïse Katumbi. « Que ce soit Kabila ou Katumbi, ça ne compte pas pour nous, les politiques ne pensent qu’à eux, dit Joseph Mulaj, un petit commerçant des quartiers populaires quadrillés par l’armée. On lutte pour acheter à manger et ça ne peut plus durer. »

Depuis le 19 décembre, Lubumbashi vit dans la peur de la répression et d’une dégradation de la situation économique. Le pouvoir est déterminé à y maintenir sa mainmise. Il en va de la survie du système Kabila.

Le Monde