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Par Sylvestre Ngoma
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Le dysfonctionnement criant qui caractérise le secteur de l’enseignement supérieur et universitaire au Congo nécessitait, à juste titre, l’attention de l’autorité de tutelle. Cette crise est le reflet d’une grave crise socio-économique et politique qui secoue tous les secteurs de la vie en République Démocratique du Congo. Mais la question de viabilité des établissements de l’enseignement supérieur et universitaire (ESU) est particulièrement critique parce qu’elle touche à la survie même de l’Etat . L’ESU joue un rôle de premier plan dans le développement d’un pays.
La grande question qu’évoque la mesure de fermeture du ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire (ESU) de la République démocratique du Congo (RDC), le Pr. Mashako Mamba, mesure signée le 18 décembre dernier au terme d’un audit de viabilité est celle de l’organisation ou de la réorganisation de l’enseignement supérieur et universitaire (et même de l’enseignement primaire, secondaire et professionnel) au Congo. De l’état de lieu brossé par le ministre Leonard Mashako Mamba, il sied de retenir quelques tares ci-après : essaimage inadmissible des institutions de l’ESU, illusion d’une éducation adéquate dans certaines institutions, rançonnement des étudiants, mauvaise gestion des ressources financières et matérielles, motivations mercantilistes de certains promoteurs, manque de bâtiments appropriés, manque de matériels didactiques et d’équipements des laboratoires, et absence de corps professoral requis et des ressources humaines. Dans certaines institutions, des bars sont construits sur les campus universitaires emmenant avec eux de tapages sonores nuisibles au processus de l’enseignement.
Le ministre Mashako a donc fait un constat amer : 80% des institutions de l’ESU ne sont pas viables et ¾ des directeurs généraux ne remplissent pas les conditions requises pour animer les institutions de ce niveau, a-t-il conclut. Ainsi, il a pris deux mesures sévères : 3 années académiques déclarées blanches à la faculté de médecine de l’Université de Kinshasa et fermeture de 47 établissements de l’ESU non viables, sur plus d’une centaine recensés à Kinshasa . De ces 47 établissements, 3 relève du secteur public et 44 du secteur privé.
Tout en saluant le souci du ministre Mashako de remettre de l’ordre dans ce secteur clef pour le développement et la reconstruction du pays , nous nous interrogeons, cependant, si la démarche suivie est la bonne. Car nous estimons qu’une telle démarche devrait s’inscrire dans un programme général de réhabilitation, de redynamisation et de reforme des institutions de l’ESU confrontées à plusieurs défis. Et donc, que faire pour réorganiser l’enseignement supérieur et universitaire en RDC ?
Il nous parait aléatoire la mesure de fermeture de 47 établissements de l’ESU au milieu d’une année académique et celle de déclarer 3 années blanches à l’Université de Kinshasa, car ces mesures ne ramèneront pas solidement l’ordre dans un secteur qui est en proie à une crise très profonde. Tant il est vrai que certaines institutions de l’ESU devraient cesser de fonctionner, ne vaudrait-il pas que de s mesures d’accompagnement bien pensées soient mises en place ? Aussi, le ministère de l’ESU aurait -il dû définir clairement les indicateurs de viabilité de référence. De sorte que la population pouvait vérifier et arriver aux mêmes conclusions et exclure ainsi l’idée de l’arbitraire dans la décision du ministre Mashako Mamba. Ces critères devraient aller au de-là des 4 retenus (à savoir la disponibilité des bâtiments appropriés, des matériels didactiques et équipements des laboratoires, de corps professoral requis et des ressources humaines).
Car ces critères seuls ne justifient pas la viabilité d’un établissement. Même les établissements prétendus réunissant les conditions minimales requises de viabilité telles que définies par le ministre Mashako ne sont pas viables quand on considère les standards internationaux de viabilité des établissements de l’enseignement supérieur et universitaire. Les critères du ministre sont vagues et d’aucuns diraient qu’ils frôlent des arrières pensées qui ne disent pas leur nom. De questions méritent d’être posées. Des facultés ou des départements de l’UNIKIN, de l’UPN, de l’ISTA, de l’IBTP… n’ayant pas suffisamment d’écritoires pour tous les étudiants sont-ils plus viables que les institutions publiques fermées ou celles jugées intermédiaires ?
Il faut également prendre en compte d’autres indicateurs de viabilité notamment la qualification du corps professoral, la disponibilité des bâtiments appropriés, des laboratoires, et d’équipements, la parution d’une revue scientifique, les activités de recherche, la rétention des étudiants, la réussite académique des étudiants, les charges horaires des enseignants, le ratio professeur-étudiant, l’existence d’une bibliothèque, la formation professionnelle élargie des enseignants, la capacité d’accueil, la mobilité des enseignants, l’interdisciplinarité, l’utilisation de nouvelles technologies ( NTIC) , l’accès à l’internet, la qualité du corps professoral, la performance des étudiants après leur formation académique, etc.
Des institutions publiques fermées ne pouvaient-elles pas être sauvées ? Fallait-il fermer l’Institut Supérieur Technique et Professionnel quand on voit les besoins du pays en main d’œuvre technique ? Quelles mesures ont été prises par le gouvernement pour essayer de sauver ce qui pouvait l’ être ? Y a-t-il eu un débat au parlement ou au sénat ? Fallait-il fermer un établissement de cette importance de manière unilatérale ? Quelles subventions le gouvernement a-t-il mis à la disposition de cette institution et même d’autres institutions de l’ESU ?
Plutôt que d’exiger une contribution à ces institutions pour le fonctionnement du ministère de l’ESU, le ministre Mashako Mamba devrait encourager le gouvernement à appuyer financièrement et matériellement les institutions publiques non viables (et même quelques institutions privées qui proposaient des enseignements utiles et uniques). Nous formulons le vœu que le ministre, pour sa part, donnera une leçon de démocratie aux dirigeants des établissements de l’ESU en gérant les fonds de l’ESU en toute transparence.
Au fait, quelle est la part du budget qui revient à l’éducation ? Si le gouvernement veut sérieusement reformer l’enseignement supérieur et universitaire, cela doit se refléter dans la politique budgétaire du pays. L’éducation nationale doit avoir une place prépondérante dans le budget du pays comme cela fut le cas vers les années 60 et 70.
Un coup d’œil rétrospectif sur le Budget de l’Education
En effet, le gouvernement congolais a traditionnellement alloué une part très maigre du budget national au secteur de l’éducation. Rappelons ici que de 1975 jusqu’en 2000, par exemple, l’éducation nationale ne recevait que 0,1% du budget national. Voici deux tableaux qui donnent une idée sur les dépenses de l’Etat dans le domaine de l’enseignement.
Tableau 1. Structure des dépenses de 1969 à 1975 (en %)
Ministère ou institution | 1969 | 1970 | 1971 | 1972 | 1974 | 1975 |
Éducation nationale | 21,9 | 19,7 | 22,5 | 22,6 | 15,5 | 21,9 |
Source : Kikasa (1979). La population scolaire zaïroise. Zaire-Afrique, n° 134, p.219.
(Mokonzi, 2006)
Tableau 2. Structure des dépenses de 1993 à 2000 (en %)
Ministère ou institution | 1993 | 1994 | 1995 | 1996 | 1997 | 1998 | 1999 | 2000 |
Éducation nationale | 0,2 | 0,3 | 1,2 | 0,9 | 0,8 | 0,2 | 0,4 | 0,1 |
Source : Banque Centrale du Congo : Rapports annuels de 1998 & 2000. (Mokonzi, 2006)
C’est vrai qu’il y a des problèmes de gestion des ressources du contribuable. Mais quelle est la part du budget national que le gouvernement Muzito réserve-t-il à l’éducation nationale en 2010?
Dans son point de presse du 14 septembre 2009, le Ministre du Budget, M. Michel LOKOLA ELEMBA , a annoncé que les dépenses de l’enseignement passent de 6,7 milliards de FC en 2009 à 18 milliards de FC en 2010 sans compter les rémunérations. Qu’est-ce que cela représente pour un budget du Gouvernement central pour l’exercice 2010 estimé à 4.181,1 milliards de FC , soit 4,9 milliards de dollars américains ? Cette part est malheureusement allouée à l’enseignement primaire, secondaire, et tertiaire dans son ensemble. Encore faudra-t-il qu’elle soit réellement utilisée à cette fin utile ! La Tolérance Zéro doit s’appliquer à toutes les institutions qui gèrent les fonds alloués à l’ESU.
Corps Enseignant
Outre le problème du budget, il y a la question de qualification et du renouvellement du corps professoral. Le Bureau Régional pour l‘Education en Afrique, BREDA en sigle note qu’ « Il est généralement admis que l’un des défis majeurs qui se posent au développement et à la qualité de l’éducation en Afrique concerne le nombre élevé d’enseignants qui ne sont pas qualifiés pour les cours qu’ils dispensent. Pour relever ces défis, il est nécessaire et urgent de mettre en place des programmes efficaces de formation continue et des recyclages des enseignants. »
C’est ici l’occasion de rappeler qu’une bonne politique de renouvellement du corps professoral doit tenir compte de la reforme globale de l’enseignement primaire, secondaire et professionnelle. La République Démocratique du Congo est un des rares pays au monde où les établissements de l’enseignement supérieur et universitaire ne forment pas les enseignants pour les écoles primaires ou pour le cycle d’orientation.
Ceci explique en partie la baisse du niveau de l’enseignement. Car la base n’est pas solide. Il est inconcevable que des écoles entières avec 40 ou 50 élèves aient la mention « néant » aux examens d’état. Ces résultats doivent interpeller le ministre de l’EPSP ainsi que le gouvernement. Le ministre de l’EPSP n’a annonce aucune mesure pour améliorer les résultats des élèves finalistes. On aurait l’impression que les résultats des examens d’état d’édition 2009 ne l’interpellent pas. En Amérique où j’enseigne, des chefs d’établissements perdraient leur job…
Une des reformes doit en fait consister à revoir le contenu des programmes pédagogiques au pays afin que les orientations pour le graduat et la licence soient revues. Il faut former des professionnels de l’enseignement pour tous les niveaux de l’enseignement primaire, secondaire, et universitaire.
Il est troublant de savoir que la RDC n’a aucune institution d’enseignement supérieur chargée de former les enseignants de l’école primaire et du cycle d’orientation. L’Université Pédagogique Nationale ainsi que les instituts supérieurs pédagogiques forment les enseignants des 3 e années, 4 e années secondaires (gradués) et 5 e années, 6 e années secondaires (pour les licenciés). Il faudra donc une reforme de l’enseignement au niveau supérieur et universitaire afin que des programmes adaptés à la formation des élèves de l’école primaire et du cycle du Cycle d’Orientation soient mis en place. L’Etat ne doit pas confier l’ultime responsabilité de former les enseignants du primaire aux écoles secondaires pédagogiques. La nature de l’enfant est tellement complexe qu’il faut des enseignants bien qualifiés pour enseigner les enfants. C’est donc la conjugaison d’une formation primaire, secondaire et universitaire adéquate qui permet un bon renouvellement du corps professoral.
Reformes de l’Education
En effet, la vraie reforme doit cibler plusieurs points clefs : l’augmentation de la capacité d’accueil de nos universités, l’amélioration des conditions de travail des enseignants et des étudiants, la révision des programmes académiques (les programmes concus vers les années 50 sont toujours utilisés à ce jour), la construction et rénovation des bâtiments, le renouvellement des bibliothèques académiques qui n’en sont que de nom, l’adoption d’un budget conséquent pour l’éducation nationale, le changement de mentalité, la politique du livre à l’université (est-ce que c’est le professeur qui doit produire son syllabus ou c’est l’université qui doit adopter des livres à utiliser ?), la révision du système d’évaluation des finalistes du secondaire caractérisé par un nombre excessif d’échecs (une décentralisation du système de correction à travers les provinces du pays est nécessaire; il faut mettre fin à cette centralisation à outrance qui consiste à envoyer toutes les copies des examens d’état à Kinshasa), etc.
Nous souhaitons la tenue d’un forum national sur la reforme de l’enseignement supérieur et universitaire. Si cela n’est pas possible, que le ministre ouvre une boite électronique de suggestions où les professionnels de l’enseignement à travers le pays et la diaspora peuvent partager leurs idées.
En effet, depuis que la République Démocratique du Congo a eu ses premières universités avant son accession à l’indépendance , à savoir l’Université Lovanium en 1954, l’Université de Lubumbashi en 1956, il n’y a jamais eu de reformes solides dans ce secteur. Avant l’indépendance de la RDC, la motivation de la Belgique à ne pas former des cadres congolais indispensables pour la gestion de l’appareil administratif, politique et économique du Congo au lendemain de son accession à l’indépendance n’est pas à chercher très loin. La politique éducative de la Belgique était dictée par le souci de continuer à avoir la main mise sur la gestion du pays. Le professeur Graetien Mokonzi aborde cette question abondamment dans ses publications.
Tirer des leçons des reformes passées
Mais les différentes reformes qui ont eu lieu depuis 1960 n’ont pas produit les résultats escomptés. Rappelons ici quelques reformes : celle de 1961 (qui a consacré la création des institutions d’enseignement supérieur pédagogique, devant soutenir le développement de l’enseignement du premier et du second degrés, et des institutions d’enseignement supérieur technique, voire d’une université protestante, à Kisangani, en 1963) , celle de 1971 ( laquelle a consisté essentiellement en l’unification de l’enseignement supérieur et universitaire consacrée par la création de l’Université Nationale du Zaïre (UNAZA), celle de 1981 (qui a été opérée essentiellement au niveau de l’administration, plaçant l’accent sur l’autonomie dans la gestion des établissements de l’E.S.U.), les Etats Généraux de l’Education (1996), la réforme des programmes (en 2003) . Toutes ces reformes ont échoué en partie parce qu’elles n’étaient pas accompagnées d’une volonté politique de redynamiser et de revitaliser l’enseignement supérieur et universitaire au Congo.
Conclusion
Il est donc temps que les autorités politiques congolaises commencent à gérer le secteur de l’enseignement supérieur et universitaire en respectant les modes de gestion moderne. Une mesure de fermeture prise après l’adoption d’une constitution institutionnalisant la démocratie au pays en 2006 ne doit pas se faire comme les fameuses fermetures de 1969, 1981, ou encore de 1992. Il faut engager un débat démocratique sur la question avec la population ou ses représentants (au sénat et au parlement).
Le souci de reformer est louable. Mais fermer les établissements de l’ESU sans avoir donné le temps ou les moyens à ces institutions de se conformer aux normes de viabilité arrêtées , c’est créer plus de problèmes qu’on aimerait résoudre. Que vont devenir les 3.500 étudiants touchés par cette mesure ? Puisque ces institutions sont éparpillées à travers la capitale, va-t-on trouver des logements pour l’aménagement de tous ces étudiants ? Va-t-on allouer des moyens de transport pour faciliter les déplacements de tous ces étudiants ? Va-t-on prévoir des pauses café aux heures de midi ? Comme disait Dr. Georges Alula, fermer une institution ne coute rien. Mais pour les pauvres étudiants victimes, cela coûte le prix d’une déstabilisation.
Pour les autorités académiques, « le style de gestion d’un établissement est un facteur important qui explique les performances d’une école. Dirigée par un chef d’établissement qui suit régulièrement le travail de ses enseignants, qui a une bonne organisation pédagogique et sociale, une école a toutes les chances d’être plus performante qu’une autre dont le directeur néglige ces paramètres organisationnels », dit le professeur Graetien Mokonzi .
La Tolérance Zéro à l’ESU doit servir des garde-fous à tout gestionnaire ou dirigeant d’une institution de l’enseignement supérieur et universitaire. Elle permettra de promouvoir une bonne gestion et de sanctionner les mauvais dirigeants qui sont plus animés par le souci de s’enrichir. Le parlement, s’il existe réellement, il doit exercer un droit de regard sur les actions du ministère et les établissements de l’ESU pour le développement de notre pays. Les universités doivent être gérées par des manageurs maîtrisant les normes de gestion modernes.
En tant que médecin, le ministre Mashako Mamba a peut-être loupé une belle occasion de ramener aussi de l’ordre dans le secteur de la santé quand il en fut ministre. N’aurait-il pas mieux fait de fermer les centres de santé privés et publics non viables ? Les polycliniques et autres hôpitaux ?
Prendre une mesure de fermeture aux conséquences si graves à la veille d’un remaniement gouvernemental annoncé dans la presse, c’est donner inutilement matière à cogitation à ses détracteurs. Une bonne reforme de l’enseignement supérieur et universitaire doit faire partie d’un plan stratégique global de réhabilitation de ce secteur en crise.
A propos de l’auteur
Sylvestre Ngoma enseigne depuis 12 ans aux Etats-Unis d’Amérique. Il enseigne présentement les cours suivants : « Foundations of Information Technology », « Scientific and Technical Visualization I & II » et « Technology Advanced Studies » dans une école secondaire dans l’état de la Caroline du Nord. Doctorant en Gestion de Technologie de l’Information, il détient une maîtrise en Gestion Stratégique de l’Internet et une Licence en Anglais. Chargé de la gestion de la station de télévision à circuit fermé de son école, il est également le webmaster du site Internet de son école: Il est agrégé en enseignement de la technologie (Technology Education), en médias numériques (Digital Media), et en enseignement de l’Anglais comme Seconde Langue (ESL) en Caroline du Nord. Il a enseigné au pays pendant plusieurs années.
Références
1. Kikasa, M. (1979). La population scolaire zaïroise. Zaire-Afrique, n° 134, 209-220.
2. Elemba, M.L. (2009). Conférence de Presse de M. Michel Lokola Elemba, Ministre du Budget . Cellule d’Etudes Financières et Budgétaires . Kinshasa, République Démocratique du Congo. 1-11.
3. BREDA Bureau Régional pour l‘Education en Afrique Bureau Régional de l’UNESCO (BREDA) http://www.dakar.unesco.org/education_fr/sup_newtech.shtml
4. Mokonzi, G. B. (2006). L’école congolaise de demain: quelles chances et quels défis? L’école Démocratique. Retrieved September 15, 2009 from http://www.skolo.org/spip.php?article355&lang=fr
04 janvier 2010