Bas la place y’a personne (Giù la piazza non c’è nessuno), de Dolores Prato, traduit de l’italien par Laurent Lombard et Jean-Paul Manganaro, Verdier, 890 p., 35 €.
Il y a quelque chose de l’ordre du « demeuré » dans l’immense récit d’enfance de Dolores Prato (1892-1983). Née bâtarde, celle qui fut abandonnée par sa mère à la naissance a « toujours raté quelque chose, dans tous les domaines. Elle a même raté la publication », résume le traducteur Jean-Paul Manganaro pour « Le Monde des livres ». Dolores Prato n’a en effet connu de son vivant qu’une édition amputée de Bas la place y’a personne, livre à nul autre comparable, très différent des quelques récits que cette femme indépendante, exclue de l’enseignement en 1927 en raison de son engagement antifasciste, avait publié auparavant (dont le bref Brûlures , traduit chez Allia en 2000).
Ces derniers « sont intéressants, bien sûr, mais si différents » que, pour le lecteur amoureux qu’est le traducteur, « leur lecture en deviendrait presque… douloureuse », murmure-t-il. Voilà vingt ans que lui-même se bat, en Italie aussi bien qu’en France, pour que Bas la place y’a personne existe enfin à sa juste mesure, celle d’un chef-d’œuvre « qui sera vraiment découvert dans les années qui viennent » : si la réception critique de l’édition italienne définitive parue en 2016 a été remarquable, le public ne s’est pas précipité vers cette somme déroutante qui apparaît au premier regard comme une « palinodie répétitive, sans doute angoissante pour de nombreux lecteurs d’aujourd’hui ».
L’édition Natalia Ginzburg
Cette édition n’en est pas moins la troisième depuis que Natalia Ginzburg (1916-1991) a publié Prato chez Einaudi en 1980 (l’auteure avait 88 ans), en l’amputant des deux tiers et en normalisant son phrasé. Avec une manière rien qu’à elle, Dolores Prato n’en avait pas moins affiché…