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IL Y A CINQUANTE ANS : “Sire ils vous l’ont cochonné”-LE GENERAL JANSSENS A-T-IL PROVOQUE DELIBEREMENT LA REVOLTE DE LA FORCE PUBLIQUE ?


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Par Paul Antheunissens

IL Y A CINQUANTE ANS : “Sire ils vous l’ont cochonné”

Force-publique

Sommaire:

Avant l’indépendance, La révolte de la Force Publique, L’opération Mangrove, Le rôle du Général Janssens

La scène est célèbre : le 5 juillet 1960, cinq jours après l’indépendance du Congo Belge, face aux  gradés de Léopoldville (Kinshasa) et de Thysville (Mbanza Ngungu) assemblés dans une salle de cours du camp Léopold, le général  Janssens, commandant la Force Publique, écrit au tableau noir : « Avant l’indépendance= Après l’indépendance ». Le jour même, la garnison de Léopoldville se révolte ; le lendemain, la garnison de Thysville fait de même. Les jours suivants, toutes les garnisons de la Force Publique se rebelleront tour à tour, prenant en otages leurs officiers et sous-officiers belges et créant des troubles partout dans le pays. La conduite du général Janssens a été jugée de diverses façons par les contemporains et les historiens. Certains évoquent certains traits de caractère confessés par l’intéressé lui-même : amour maniaque de la discipline,  goût de la provocation. D’autres croient à une action  délibérée : il savait  que son intransigeance provoquerait une rébellion qui permettrait sans doute une reprise en mains du pays par les forces métropolitaines présentes au Congo. Avec le recul du temps, il n’est pas sans intérêt de  préciser son rôle  dans les événements.

Avant l’indépendance

L’annonce de l’indépendance par le roi Baudouin, le 13 janvier 1959, après des troubles sanglants à Léopoldville, avait étonné la plupart des Belges qui savaient que rien n’était prêt à cet égard : il n’existait pas d’élites noires, pas de médecins, de juristes, d’officiers etc. La date butoir  du 30 juin 1960, fixée par la Table Ronde tenue à Bruxelles avec les représentants des partis congolais, semblait une gageure. Le ‘pari congolais’  d’amener le Congo Belge à l’indépendance dans la prospérité et la paix imposait une ambiance souriante et optimiste. Mais, sous les sourires de façade, le doute régnait et chacun prenait ses précautions. Les élections législatives de mai 1960 avaient donné la victoire au MNC Lumumba, ce qui ne paraissait pas très favorable aux industriels et colons belges, qui se demandaient s’il était bien raisonnable  de poursuivre leurs activités en Afrique. Certains rapatriaient leur famille et leurs capitaux. Les fonctionnaires belges au service du Congo exigeaient et obtenaient par la voie de leurs syndicats des garanties de réintégration en Belgique en cas de départ prématuré.

Les forces métropolitaines  sous commandement du général Gheysen, casernées à la base de Kamina (au Katanga) et dans les  bases de Kitona et de Banana (près de l’embouchure du fleuve Congo) renforçaient leurs effectifs et leurs moyens. Au début  du mois de juin 1960, la Force Navale belge envoyait à Banana quatre algérines armées ainsi qu’un transport de troupes. Le 30 juin, les effectifs des forces métropolitaines atteignaient 3.800 hommes sans compter  les 3.000 volontaires belges, sorte de garde civique répartie dans tout le pays, auxquels des armes seraient distribuées en cas de nécessité.

L’indépendance, telle qu’elle était présentée par les politiciens belges, ne plaisait pas  au général Janssens, petit homme sec et  autoritaire qui avait passé toute sa carrière à la Force Publique. N’ayant côtoyé que des gradés et des soldats noirs dont l’éducation était fruste, il partageait les préjugés  de nombreux  coloniaux au sujet des capacités intellectuelles limitées des Congolais.  Il existait, pourtant, dans la société congolaise, des sujets doués qu’on avait envoyés dans les universités belges, comme Thomas Kanza (à l’UCL en 1952) et Justin Bomboko (à l’ULB en 1955) ou dont on avait fait des prêtres et des évêques. Les universités Lovanium  (Léopoldville, fondée en 1954) et d’Elisabethville (Lubumbashi, fondée en 1956) avaient formé en 1960 une vingtaine de diplômés  noirs. Une bonne sélection aurait permis de former des officiers valables. Mais le temps pressait  et le général  Janssens estimait qu’après l’indépendance, il était plus sage de maintenir en service  les 600 officiers et sous-officiers (adjudants) belges qui commandaient aux 20.000 hommes de la Force Publique. Aucune objection à ce sujet n’avait été soulevée lors de la Table Ronde de Bruxelles durant laquelle le ministre des Affaires Africaines De Schrijver avait déclaré : « La Force Publique a servi l’administration belge ; elle servira le gouvernement congolais dans un même esprit de loyauté. » Quelques nouveautés avaient pourtant été introduites. Une école d’adjudants congolais créée à Luluabourg en 1959 avait produit sept adjudants en 1960. Une école de pupilles (fils de militaires)  triait sur le volet les candidats les plus doués auxquels elle offrait un enseignement moyen du degré supérieur (les trois dernières années d’humanités scientifiques)  et une préparation  au concours d’entrée à  l’Ecole Royale Militaire de Bruxelles. Elle n’en était encore qu’au niveau de la  2ème scientifique. Même si  l’un ou l’autre candidat réussissait le concours en 1960, il ne sortirait de l’Ecole Militaire qu’en 1964. Ces initiatives paraissaient insuffisantes aux gradés congolais qui demandaient en vain la création de passerelles leur donnant l’accès  au rang d’officiers. En outre, la Force Publique maintenait la disparité des traitements entre Blancs et Noirs. Elle n’avait pas annoncé  d’augmentation des soldes après l’indépendance alors que les employés noirs de l’administration calculaient, sans se tromper, que le départ des blancs après l’indépendance leur permettrait d’occuper des postes plus élevés et de multiplier leur traitement par quatre. Le mécontentement régnait dans les garnisons. Certains gradés avaient noyauté secrètement   les différentes unités en prévision d’une révolte qui se ferait après l’indépendance, contre le gouvernement Lumumba coupable d’avoir accepté le maintien des Belges à la Force Publique. La Fraternelle des anciens militaires congolais écrivait à Lumumba : « Cher Lumumba, N’oubliez pas que le gouvernement est digne de ce nom grâce à l’armée. Si nos revendications ne sont pas écoutées, le gouvernement s’attendra à une révolte militaire dans tous les camps de la Force Publique. » Des responsables belges, comme le professeur Van Bilsen,  préconisaient la constitution  d’une force des Nations Unies au Congo avant l’indépendance.  D’autres suggéraient d’adjoindre des officiers des Nations Unies à  l’Etat Major de la Force Publique durant les premiers temps de l’indépendance.  Aucune mesure de ce genre ne fut prise, le gouvernement belge mettant  toute sa  confiance dans le jugement et l’expérience du  général Janssens.

Le général de Cumont, Chef d’Etat Major belge, avait ordonné aux unités casernées en  Belgique et en Allemagne de mettre  sur préavis de 48 heures des compagnies de marche pour une intervention éventuelle au Congo ou au Ruanda-Urundi. Il y en aurait en tout 26 soit environ 6.000 hommes.

La révolte de la Force Publique

La révolte de la Force Publique le 5 juillet à Léopoldville avait surpris et indigné les coloniaux et l’opinion publique belge. Le 30 juin, les cérémonies de l’indépendance s’étaient mal passées. Le 1er Ministre Lumumba, en réponse au discours protocolaire du roi Baudouin, avait évoqué les souffrances des Congolais sous le régime colonial. La presse belge le diabolisait  et l’accusait d’avoir injurié le roi.

Dès la révolte du 5 juillet, le  général  Janssens avait ordonné à la 4ème Brigade de Thysville d’envoyer des détachements de  maintien de l’ordre à Léopoldville. Elle s’était révoltée à son tour, suivie par d’autres garnisons. Le  6 juillet, sans en informer le gouvernement congolais, le général Janssens réclamait au général Gheysen l’intervention des  forces métropolitaines .

Le président Kasavubu et le 1er Ministre Lumumba prenaient des mesures pour  mettre fin à la révolte: l’africanisation des cadres  – ce qui signifiait le départ des officiers et sous-officiers belges- , la nomination de  tous les militaires congolais à un grade supérieur et une augmentation des soldes  de 30%. Ils parcouraient  les différents camps pour calmer les esprits mais à Elisabethville (où la sécession avait été proclamée la veille) et à Stanleyville (Kisangani), des officiers belges leur interdirent d’atterrir.

Le 8 juillet, le gouvernement belge, en  conseil de cabinet restreint,  ordonna  l’envoi des cinq premières compagnies de marche.  Le 9 juillet, il décida de mobiliser deux bataillons para-commandos et d’envoyer au Congo les ministres De Schrijver et Ganshof  van der Meersch pour tenter de convaincre Lumumba de la nécessité de mettre en œuvre des troupes belges. Le 10 juillet, il insista sur la nécessité de rétablir le fonctionnement du port de Matadi (150 Km en amont de l’embouchure du fleuve Congo) et la liaison ferrée Matadi-Léopoldville. Dès le 10 juillet, la compagnie de marche du commandant Weber avait atterri à Elisabethville et le 11 juillet Moïse Tshombe avait proclamé la sécession du Katanga. Le gouvernement belge était divisé à ce sujet. Fallait-il reconnaître le nouvel état katangais ? Le ministre de la Défense Gilson était pour. Le ministre des Affaires Etrangères Wigny était contre, ainsi que le ministre Harmel et Théo Lefèvre, président du parti social chrétien. Il  fut décidé de ne pas reconnaître le Katanga mais de l’aider par tous les moyens. Le général de Cumont, Chef d’Etat-Major Général, présent à Elisabethville, déclarait dans une conférence de presse  que le gouvernement sécessionniste  obtiendrait toute l’aide nécessaire des forces métropolitaines.  Le gouvernement belge lui recommanda  plus de discrétion à l’avenir.

Le 11 juillet, l’opération  aéronavale ‘Mangrove’ sur Matadi par les forces métropolitaines fut considérée, malgré son échec, comme une agression de la Belgique contre l’Etat congolais, qui n’en avait pas été informé. Kasavubu et Lumumba firent immédiatement appel aux Nations Unies, qui invitèrent la Belgique à retirer ses troupes, et qui envoyèrent dès le 16 juillet des détachements de casques bleus.

Le 14 juillet, le Congo rompit ses relations diplomatiques avec la Belgique. Cette dernière, vu l’urgence,  maintint pourtant son ambassade et ses consulats. Le gouvernement belge de l’époque n’avait manifestement aucun respect pour la souveraineté du Congo. On ne parla plus pendant longtemps de l’amitié belgo-congolaise.

L’opération Mangrove

A Kitona, le 10 juillet au soir, un ordre d’opération aéronavale  fut donné aux forces métropolitaines afin de s’emparer du port de Matadi  et de son port pétrolier (sur la rive gauche,  6 Km en aval de Matadi à hauteur d’ Ango-Ango). Il fallait au préalable neutraliser à Matadi le camp  Redjaf de la Force Publique et  l’artillerie anti-aérienne qui en dépendait (des Bofors 40 mm et des Oerlikon 20 mm). L’appui aérien était constitué par quatre chasseurs à hélices T6 (Harvard)  venus de Kamina ; ils étaient équipés de mitrailleuses et de roquettes. L’appui naval était constitué par quatre algérines dont l’armement principal était un canon de 102 mm. Trois d’entre elles emportaient des fantassins appartenant soit à des compagnies de marche soit à une unité para-commando, en tout environ 400 hommes. La Task Force, placée sous le commandement du capitaine de vaisseau Petitjean, se mit en mouvement à partir du port de Banana durant la nuit du 10 au 11 juillet.

Dès le 8 juillet, la population civile de Matadi s’était réfugiée dans les bateaux de commerce amarrés dans le port, en particulier dans la malle congolaise Jadotville où avait pris place le gouverneur Cornelis dont la fonction avait pris fin avec l’indépendance. Le jour même, des mutins du camp Redjaf  avaient perquisitionné les maisons pour confisquer les armes, en particulier celles des volontaires blancs et quelques incidents avaient eu lieu. Selon les directives du gouvernement belge, l’opération Mangrove n’avait pas pour but de porter aide aux  civils belges de Matadi,  tous évacués, mais de s’emparer du port et de rétablir son fonctionnement ainsi que celui de la ligne de chemin de fer  vers Léopoldville.

L’attaque du 11 juillet fut un échec. Les gradés et soldats du camp Redjaf sous les ordres de l’adjudant Ingila utilisèrent leur armement comme ils l’avaient appris à l’instruction, l’autorisation d’ouvrir le feu ayant été donnée par radio par l’adjudant Bobozo  qui commandait désormais  la 4ème Brigade de Thysville. Les éléments belges débarqués ne purent s’emparer de leurs objectifs insuffisamment neutralisés. Les Harvard soumis à un tir antiaérien intense ne purent attaquer l’objectif avec toute l’efficacité nécessaire.  Un d’entre eux, endommagé par les tirs, dut se poser dans la savane. Les autres réussirent  à immobiliser une colonne de renfort  de la 4ème Brigade partie de Thysville en direction de Matadi. Dans la soirée, l’Etat Major métropolitain ordonna le rembarquement et le repli  vers Banana. L’opération était parvenue  à reprendre au passage le contrôle de la ville  de Boma, vidée comme Matadi de sa population belge. C’était le seul succès notable. Cette agression belge provoqua l’indignation de tous les Congolais, en particulier des soldats mutinés de la Force Publique. Elle entraîna des voies de fait contre les officiers belges otages de la rébellion et leur famille. Il y eut par exemple des viols à Thysville et Léopoldville et des incidents divers dans le district de la Tshuapa en Province de l’Equateur (Boende, Djolu, Ikela..)  Un détachement marocain des Nations Unies vint s’établir à Matadi  dès le 23 juillet.

Les moyens de l’opération Mangrove étaient insuffisants pour conquérir un objectif bien défendu. L’Etat Major métropolitain croyait sans raison que les mutins se débanderaient aux premiers coups de feu. Les événements démontrèrent que sans leurs officiers blancs, les Congolais étaient capables d’une défense efficace, malgré des pertes estimées à plusieurs dizaines de morts suite aux tirs des algérines et aux attaques aériennes. Un tir malencontreux d’une algérine avait mis le feu à une des énormes cuves de produits pétroliers à  Ango-Ango.

En Belgique le ministre Gilson justifiait l’opération  par la nécessité d’éviter la paralysie de l’axe Matadi-Léopoldville et l’asphyxie de Léopoldville. La Belgique agissait donc comme si elle exerçait encore le  pouvoir dans son ex-colonie. Or, les mutins de la Force Publique ne voulaient nullement  bloquer l’axe Matadi-Léopoldville ; leur objectif était l’africanisation des cadres et le départ des Belges. Ils auraient pu empêcher le départ des bateaux de commerce chargés des civils belges de Matadi ou même les prendre sous leur tir mais ils s’en étaient abstenus puisque cette fuite  correspondait à leurs plans et qu’ils n’avaient aucune intention de tuer des Belges. Le port était effectivement à l’arrêt suite à une grève temporaire du personnel des chemins de fer et des dockers  mais il reprendrait bientôt ses activités.

Le rôle du général Janssens

Le général Janssens n’ignorait pas le mécontentement de ses troupes ni le risque d’une rébellion. Le 2ème Bureau de la Force Publique qui entretenait  un réseau d’espionnage dans toutes les unités avait dû l’en avertir. Pris au premier degré, son  discours du 5 juillet aux gradés sur le thème ‘avant l’indépendance = après l’indépendance’ paraissait un effort désespéré pour maintenir son autorité et celle des officiers blancs.

On pouvait aussi le comprendre  comme une provocation à une rébellion qui servirait de prétexte  à  une intervention militaire belge. Une partie des effectifs et des moyens belges était déjà disponible dans les bases de Kamina, Kitona et Banana et les premières compagnies de marche pouvaient arriver dans  un délai de trois jours après en avoir reçu l’ordre.  Le général  Janssens n’avait que du mépris pour les politiciens belges qui avaient organisé une indépendance inviable dans des délais absurdes. En outre, ils avaient favorisé la constitution de partis politiques, de syndicats et introduit la démocratie  dans une société  qui, à ses yeux, n’était pas prête à la recevoir. Une reprise en mains rapide par les militaires belges permettrait de stabiliser la situation et de redéfinir les conditions de l’indépendance, peut-être dans un cadre fédéral. Le général  connaissait évidemment les tendances sécessionnistes de Tshombe au Katanga et de Kalonji au Kasai qui paraissaient favorables aux intérêts belges.

Dès le 6 avril, il invite le général Gheysen à intervenir dans les deux centres de rébellion, Léopoldville et Thysville- Matadi. Il insiste très certainement  sur la nécessité de contrôler l’axe Matadi-Léopoldville. Il n’avait pas prévu certaines évolutions :

Pas plus que le gouvernement belge, le général  Janssens n’a témoigné le moindre respect à la souveraineté du Congo ni aux représentants de son gouvernement. Il a agi comme si le Congo appartenait encore à la Belgique.

Après  son départ, le goût de la provocation ne l’avait pas quitté. Lorsque Léopold II avait été forcé de remettre l’Etat Indépendant du Congo  à la Belgique, il avait murmuré : « J’espère qu’ils ne vont pas me le cochonner ! » Le général Janssens convoqua  les médias devant la statue équestre de Léopold II à Bruxelles, près du Palais Royal, déposa une gerbe  et s’écria : « Sire, ils vous l’ont cochonné ! »

Paul Antheunissens