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Interview- Charles Blé Goudé : “J’ai permis à la Côte d’Ivoire d’éviter la catastrophe”.


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 Par Jeune Afrque

Le “général de la rue” Charles BléJeuneafrique Goudé n’est pas mort. Depuis l’étranger, selon toute vraisemblance, l’un des plus fidèles soutiens de l’ex-chef de l’État Laurent Gbagbo se dit prêt à apporter sa contribution au retour à la paix. Tout en réaffirmant ses ambitions politiques.

Un intermédiaire à Paris faisant office de simple contact, un numéro de téléphone masqué pour un premier entretien, un autre mis immédiatement hors service après l’interview… Charles Blé Goudé voulait parler, mais a pris toutes les précautions pour que nous ne puissions pas le localiser. La voix authentifiée, quelques questions préalables pour s’assurer de l’identité de notre interlocuteur… Les précautions ont été réciproques.

Jeune Afrique : Pourquoi sortir aujourd’hui de ce long silence ?

Charles Blé Goudé : Dans mon village, un adage dit que l’on ne parle pas dans le bruit. Vu le méli-mélo en Côte d’Ivoire, j’ai d’abord essayé de me mettre en sécurité. C’est alors que de folles rumeurs ont commencé à courir annonçant ma mort. Elles ont été diffusées pour décourager nos militants et les dissuader de continuer à se battre. Voilà pourquoi je donne de la voix : pour montrer que je suis vivant et faire savoir ce que vivent chaque jour les Ivoiriens. Ils sont pillés, violés, pris en otages, tués… 

Revenons sur la journée du 11 avril et la chute de Laurent Gbagbo. Où étiez-vous ?

Je n’étais pas dans sa résidence de Cocody. Je n’ai pas été, non plus, arrêté, puis relâché, par les FRCI [Forces républicaines de Côte d’Ivoire, pro-Ouattara, NDLR]. J’avais pris mes dispositions. En tant qu’ancien secrétaire général de la Fesci [Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, NDLR], je suis habitué à la clandestinité. Vous imaginez bien que pour des raisons de sécurité je ne peux pas vous dire où je me trouve. Mais dès que les conditions seront réunies, je réapparaîtrai… 

Quel a été votre sentiment en voyant les images de Laurent Gbagbo arrêté ?

Cela m’a rappelé Patrice Lumumba livré aux hommes de Mobutu et de Tshombe. Laurent Gbagbo a été livré aux forces de Ouattara, et la France a prétendu qu’elle n’y était pour rien. Je demande aux Africains de retenir cette date du 11 avril : l’Histoire s’est répétée. 

Vous aviez lancé une campagne d’enrôlement au sein de l’armée. Cela n’aura pas suffi…

Nos adversaires distribuaient des kalachnikovs à des civils, à Abobo et dans toutes leurs zones. J’ai donc demandé au chef d’état-major de l’armée de permettre aux jeunes de rentrer dans l’armée de façon régulière. Malheureusement, les événements se sont précipités et ils n’ont pas eu le temps d’être enrôlés. 

Les nouvelles autorités vous accusent d’avoir distribué des armes…

C’est faux. 

En tout cas, les Jeunes patriotes ne sont pas descendus dans la rue pour défendre Gbagbo, contrairement à novembre 2004 ?

Les deux situations ne sont pas comparables. En 2004, l’armée française avait tiré sur l’aviation de Gbagbo et les rebelles étaient contenus dans le nord du pays. Cette fois, on ne savait plus qui tirait sur qui à Abidjan, où les rebelles étaient embusqués. Dans ces conditions, j’ai refusé d’appeler les Jeunes patriotes à descendre dans la rue pour éviter des tueries massives. Ç’aurait été du suicide. 

Cette attitude ne revenait-elle pas à lâcher Gbagbo ?

Je serai le dernier à lâcher Gbagbo. 

Avez-vous eu des contacts avec lui jusqu’au 11 avril ?

Oui, mais les choses sont allées tellement vite ! Et les communications étaient devenues difficiles… 

Vous a-t-il demandé de faire descendre les Jeunes patriotes dans la rue ?

Laurent Gbagbo a toujours tenu à la vie des Jeunes patriotes. 

Reconnaître le verdict des urnes aurait évité toutes ces violences…

Ce débat est derrière nous par la volonté de la France. 

Mais, selon vous, qui est le président élu ?

Ce n’est pas à moi de désigner le président élu. 

Reconnaissez-vous les résultats de l’élection présidentielle ?

Les armes ont parlé. La France a fait décoller ses hélicoptères et a déployé ses blindés. Elle a détruit le palais présidentiel et livré Laurent Gbagbo aux forces de M. Ouattara, investi président. À présent, la seule question valable est : « comment fait-on pour rebondir ? » 

Souhaitez-vous participer à la réconciliation entre Ivoiriens ?

L’avenir d’un pays doit dépasser les considérations personnelles. En 2006, je me suis rapproché de la jeunesse de l’opposition. En 2007, au moment des accords de Ouagadougou, j’ai initié la Caravane de la paix et j’ai parcouru tout le pays… Je ne peux avoir fait tout cela et me renier parce que Laurent Gbagbo n’est plus au pouvoir. En clair, je suis prêt à jouer ma partition. Les Ivoiriens doivent se parler, et les acteurs politiques – au pouvoir ou dans l’opposition – doivent reconnaître leur part de responsabilité. 

Pouvez-vous jouer cette partition alors que vous êtes sous sanctions de l’ONU et éventuellement sous la menace de poursuites de la Cour pénale internationale (CPI) ?

Premièrement, je ne suis pas sous la menace de la Cour pénale internationale. Quant à la liste des Nations unies, je l’ai toujours dénoncée. Si quelqu’un doit être récompensé et félicité pour ses activités en faveur de la paix, c’est Blé Goudé Charles. Il faut le reconnaître humblement. J’ai permis à la Côte d’Ivoire d’éviter la catastrophe à plusieurs reprises. Malheureusement, ce n’est pas reconnu. 

Êtes-vous prêt à rentrer au pays ?

Qui ne souhaite pas rentrer dans son pays… 

Exigez-vous la libération du couple Gbagbo ?

Bien entendu. Leur place n’est pas en prison, il faut qu’ils puissent participer à la vie politique. Avec Laurent Gbagbo en prison et ses compagnons traqués, peut-on appeler à la réconciliation ? Peut-on également parler de justice sans police, sans gendarmerie, sans prisons ? La Côte d’Ivoire a seulement deux prisons actuellement : le Golf Hôtel et l’hôtel de la Pergola. 

Vous estimez avoir un destin présidentiel et avez donné rendez-vous à Guillaume Soro pour l’élection présidentielle de 2015 (voir J.A. n° 2616). En attendant, où vous situez-vous sur l’échiquier politique ?

Je veux mener ma vie d’opposant, mais en dehors du FPI [Front populaire ivoirien, le parti de Gbagbo, NDLR]. Dès que les conditions sécuritaires seront là, je réunirai en congrès extraordinaire les Jeunes patriotes et tous les Ivoiriens avec qui l’on peut travailler. 

En vous considérant comme un opposant, vous reconnaissez la victoire de Ouattara et vous tournez la page Gbagbo…

[Rires.] Gbagbo est en prison et doit être libéré. C’est important. 

Dans votre lettre rendue publique le 31 mai, vous parlez de bourreaux et de tortionnaires à propos des forces pro-Ouattara. Pas un mot sur les crimes du camp Gbagbo…

Chacun doit reconnaître sa part de responsabilité dans ce qui s’est passé. 

Regrettez-vous certains de vos propos ultranationalistes ?

Quand le général de Gaulle a appelé depuis Londres les Français à libérer la France, était-il un leader ultranationaliste ? 

Vous n’avez jamais appelé à la violence ?

J’ai appelé à la résistance aux mains nues lors de mes meetings. C’est cela que vous appelez de la violence ! Quand certains utilisent des kalachnikovs, vous ne parlez pas de violence… Les Jeunes patriotes ont organisé des sit-in comme les jeunes espagnols en ce moment à Madrid. Mais puisqu’ils sont africains, on considère qu’ils sont violents. C’est du racisme. 

Que pensez-vous des premiers actes du président Ouattara ?

Il est trop tôt pour juger un gouvernement après quelques semaines d’exercice. Mais je l’appelle à régler la question sécuritaire et celle des libertés : que les partis politiques puissent reprendre leurs activités et que les Ivoiriens puissent se rassembler. Les survivants de cette guerre ont un devoir, faire la réconciliation. Pour cela, il faut calmer les extrémistes des deux camps. 

Dans votre lettre, vous parlez également de « postophilie » pour dénoncer ceux qui courent après les postes. À qui ­pensez-vous ?

Il y a une expression en Côte d’Ivoire qui dit : « On sèche ses habits là où le soleil brille. » Il y a des caméléons politiques dans notre pays. Ils sont toujours prêts à servir les nouveaux présidents. Il faut arrêter la politique du ventre. 

Pensez-vous à Guillaume Soro ?

Non, pas du tout. Je ne veux pas parler du Premier ministre. Nous avons eu des relations privilégiées à la Fesci. Je n’ai pas de rancune. 

Est-ce toujours votre frère ?

Joker. 

En cas de retour au pays, envisagez-vous d’être candidat aux élections législatives ?

Mes ambitions politiques demeurent intactes et sont plus que jamais justifiées. 

Si Charles Konan Banny vous appelle à témoigner devant la Commission Vérité, Dialogue et Réconciliation, irez-vous ?

Je suis prêt à aller partout où l’on parlera de réconciliation. 

Êtes-vous prêt à discuter avec les nouvelles autorités ?

Bien sûr. Je suis prêt à les aider et à remettre sur pied une Caravane de la paix. 

En attendant, une cavale, c’est long et difficile. Combien de temps pouvez-vous tenir ?

Je ne suis pas dans la clandestinité pour la première fois. Je suis né au campement. J’ai l’habitude de manger les fruits de la forêt. Je peux tenir comme cela des années. En revanche, je suis inquiet pour ma famille et mes proches. Mon village a été incendié. 

On vous dit très riche, cela peut aider lorsqu’on est dans la clandestinité…

Je ne suis pas riche. On m’a collé cette étiquette. Je suis riche de mes idées, de mes relations et de ma valeur morale. 

Avez-vous peur ?

Non, pas pour moi, mais pour la Côte d’Ivoire. 

Priez-vous souvent ?

Je crois fermement en l’éternel des armées et au Dieu de justice. Je prie quotidiennement au lever et avant de me coucher.

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Propos recueillis par Pascal Airault et Philippe Perdrix

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