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La fuite inespérée de Blaise Compaoré


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blaise-La fuite inespérée de Blaise Compaoré

Une révolution populaire au goût d’inachevé

La démocratie politique est-elle un échec africain ou un échec francophone ?

‘‘Un fruit ne tombe que lorsqu’il est mûr. Mais, devant l’ouragan ou la tempête de l’histoire, mûr ou pas mûr, il tombe quand même’’, le Maréchal-tyran Joseph Désiré Mobutu Sese Seko du Zaïre, Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, New York, le 4 octobre 1973

Par Joël Asher Lévy-Cohen *

Le capitaine de Pô, Blaise Compaoré, est parti ! Qui l’eût cru ? Événement Incroyable pour certains, impensable pour d’autres, l’homme fort d’Ouagadougou est précipitamment éjecté de l’histoire. Comme il y est vraiment entré, diraient certaines mauvaises langues. Par la petite porte. En effet, Blaise Compaoré voulait, à tout prix, modifier les dispositions de l’article 37 de la Constitution qui est, pourtant, la Loi fondamentale du pays pour se représenter, à n’en plus finir, à la tête du Burkina Faso. Malheureusement, en sourd politique, celui-ci n’a pas daigné écouter sa propre population. Il n’a pas voulu prêter l’oreille aux revendications légitimes de l’ensemble de ses compatriotes qui rejetaient, contre vents et marées, l’éventualité de le voir dominer au sommet du pouvoir d’État après vingt-sept ans de règne.

Oui, Blaise Compaoré est parti. Oui, un dinosaure de la politique africaine vient de s’effacer à jamais. La queue entre les pattes. Celui-ci n’a vraiment pu rien faire ni résister à la soif de démocratie inextinguible, bruyamment exprimée par la très grande majorité de ses Concitoyens. Ce départ on ne peut plus hâtif et surtout chaotique – son mandat aurait échu en 2015 – signifie donc que, ce jeudi 30 octobre 2014, le Continent africain a sans doute vécu un moment historique. Il a écrit ses plus belles pages d’histoire. Ceci à double titre.

D’abord, Blaise Compaoré est le seul chef de l’État de l’ancienne Haute-Volta, ex-colonie française, qui a régné le plus longtemps. En cinquante-quatre ans d’indépendance, il sera indubitablement resté la moitié de ce temps au sommet du pouvoir. Ce qui est en soi un record absolu. Ensuite, ce dirigeant fort controversé présente cette particularité et cette singularité d’avoir renversé brutalement son propre frère d’armes : l’illustrissime capitaine ‘‘Thomas Sankara’’, dit le ‘‘Che Guevara africain’’.

Force est de souligner que le progressiste Thomas Sankara qui a trouvé violemment la mort à la suite d’un coup d’État militaire orchestré par la France et mis en œuvre par Blaise Compaoré – aidé, à cet effet, par la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny –, est en réalité le précurseur du socialisme de type bolivarien en Afrique. Ceci bien entendu avant même l’avènement politique du Vénézuélien ‘‘Hugo Chavez de Frias’’. En effet, le ‘‘Che africain’’ avait pratiquement initié, au milieu des années quatre-vingts, une ‘‘révolution populaire’’ substantiellement fondée sur une utilisation rationnelle des ressources humaines et matérielles pour garantir un développement économique autonome – et non point intégré comme c’est le cas au sein de la Françafrique –, et surtout, asseoir un système de progrès social qui rend réellement justice aux masses laborieuses.

Il sied de noter que la vision politique et idéologique de Thomas Sankara qui affirme une véritable indépendance des pays africains, irritait au plus haut point bon nombre de puissants intérêts étrangers dont l’Afrique s’avère incontestablement le marchepied. Pour ajouter la crainte aux inquiétudes exprimées par l’ancienne puissance coloniale, cette révolution sankariste avait très largement trouvé écho auprès d’une jeunesse africaine autant désœuvrée que déshéritée. Aussi faisait-elle littéralement peur à maints régimes fantoches de la sous-région, d’ailleurs confrontés à un public juvénile récusant le néocolonialisme et son bras armé, la tyrannie.

Certes, le capitaine Blaise Compaoré est parti. Le peuple trésaille de joie d’autant plus qu’il a réussi historiquement un grand coup. Il a réussi un véritable coup de force en tant que souverain primaire. Celui-ci a mis fin au verrouillage de la démocratie politique par l’installation des dirigeants ou chefs d’État inamovibles. Il importe, à cet égard, de souligner que l’institutionnalisation des présidences à vie en tant que stratégie de confiscation du pouvoir est, en réalité, un vestige du parti unique, une survivance du Parti-État, d’ailleurs, globalement rejeté dans les années quatre-vingt-dix lors de la fameuse période de conférences nationales ayant pour objet la mise en place des sociétés démocratiques en Afrique.

Toutefois, le départ précipité, hâtif de Compaoré laisse un goût sans nul conteste amer. L’amertume est telle que l’on ne peut vraiment pas s’empêcher de se poser la question de savoir si cette révolution populaire n’a pas été, sans autre forme de procès, confisquée par l’armée…

Au Burkina Faso, ce scénario n’est pas sans rappeler les contradictions du printemps arabe en Égypte et en Tunisie. Dans ces deux États, les forces armées ont accaparé le pouvoir en lieu et place des manifestants. Il y a lieu d’admettre que la plupart des dignitaires militaires burkinabè qui ont suspendu les institutions politiques et gouvernementales, sont pratiquement tous, sans exception, des créations artificielles du même Blaise Compaoré que la population civile ne voudrait plus voir jouer un quelconque rôle politique. Imaginez alors la suite…

À cet égard, il convient de mentionner que le Tunisien Zine el-Abidine Ben Ali n’a jamais été réellement arrêté ni même inquiété. Il se la coule douce en Arabie saoudite ! En Égypte, le vieux lion Hosni Moubarak a été, certes, mis aux arrêts. Cependant, tout le monde sait très bien que le Raïs vit dans une prison dorée.

Ce qui est sûr et certain, l’Afrique démocratique est corrompue. Elle est très malade. Celle-ci est vraiment moribonde dans les pays d’extraction francophone. Hormis les deux exemples béninois et sénégalais dans lesquels l’alternance politique est pratiquement devenue une culture et le respect de la constitution une tradition, la majorité des anciennes possessions coloniales françaises sont, à n’en pas douter, verrouillées par des systèmes qui détournent impunément le processus électoral. Ces régimes se servent des scrutins non pas pour transformer le quotidien de leurs populations respectives mais plutôt pour se recycler, se blanchir à n’en plus finir et, pourquoi pas, se perpétuer.

Ceci est vrai du Cameroun de Paul Biya, du Tchad d’Idriss Déby Itno, de la République du Congo-Brazzaville de Denis Sassou Nguesso, du Togo de Faure Gnassingbe et du Gabon d’Ali Ben Bongo. Sans compter la République démocratique du Congo dont les dirigeants étatiques et gouvernementaux sans doute inspirés par la République populaire de Chine ne croient nullement aux vertus de la démocratie en termes de développement économique de la Collectivité publique et de progrès social du Citoyen.

Pourtant, en Afrique anglophone, l’alternance démocratique ou le changement de garde politique s’opère généralement sans aucun problème majeur. Tout n’y est pas rose. Ce serait évidemment faux de dire que les couacs n’existent pas. À cet effet, l’exemple kenyan peut être mis en relief. Y compris celui du Lesotho en Afrique australe qui connaît de temps en temps des remous politiques. Il faut également inclure dans cette liste des moutons noirs, la Gambie du président-guérisseur Yahya Jammeh qui prétend soigner les malades ayant contracté le sida, avec une potion magique à base de banane. Toutefois, dans la très grande majorité des États qui se réclament de cette obédience linguistique, il y a au moins la volonté démocratique de respecter les suffrages populaires. C’est-à-dire : ‘‘la souveraineté du Peuple’’.

Ceci est vrai de l’Afrique du Sud, du Botswana, de la Zambie, de la Tanzanie, du Malawi, de la Namibie, du Nigeria, de la Sierra Leone, du Ghana. Les deux seules exceptions qui confirment sans hésiter la règle démocratique d’alternance et de changement de garde politique, sont bien entendu l’Ouganda de Yoweri Kaguta Museveni dont l’élection présidentielle est souvent sujette à caution et le Zimbabwe de Robert Gabriel Mugabe qui s’accroche au pouvoir après avoir détruit tous les fondamentaux de son indépendance en commençant par la monnaie. Qui dit mieux ?

  • Joël Asher Lévy-Cohen

Journaliste indépendant

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