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La lecture braeckmanienne de la mort de Tungulu et la fin de la pensée unique


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Par  J.-P. Mbelu

La semaine dernière,   Colette Braeckman est allée à la rencontre d’un groupe de Congolaises (Mamans Totelema)  ayant choisi une salle sur la chaussée de Wavre pour « mener le deuil et témoigner de l’engagement politique et humain d’Armand Tungulu. » A l’issue de cette rencontre, elle a rédigé (le 04 octobre 2010) un papier sans intitulé que plusieurs compatriotes ont lu et interprété.  Ce papier a été interprété différemment par les compatriotes qui l’ont lu.

L’une des interprétations a poussé Colette Braeckman à écrire à son initiateur et à entrevoir la possibilité de le traduire en justice.

Ce fait apparemment anodin semble être porteur de plusieurs messages. Avant d’en donner quelques-uns, revenons à la lecture que Colette Braeckman fait de la mort d’Armand Tungulu Mudiandambu.

Une mort non suspecte

Pour Colette Braeckman,  « au vu de cette nouvelle mort, hélas non suspecte, on ne peut qu’avancer trois conclusions: la campagne électorale précédant les élections de 2011 a déjà commencé, elle sera dure et aura plusieurs facettes, dont les attaques directes contre Kabila, la remise en cause de ses origines (thème connu), la contestation de son action, et surtout la provocation. Sur ce terrain là, l’opposition jouera sur du velours: les services de sécurité sont nerveux, répondent brutalement à la moindre provocation; (…)  Mais on peut aussi se demander si le pouvoir n’est pas séduit par le “modèle rwandais”, qui fait déjà école au Burundi: développer le pays, essayer de le faire avancer à tout va, multiplier les contrats, restaurer, autant que faire se peut, l’autorité de l’Etat et en même temps serrer la vis à l’opposition, se montrer intolérant face à la contestation et… ne pas craindre de tuer, plus pour l’exemple et la dissuasion que par goût de la répression…. »

Dans ce texte, Colette Braeckman interprète la mort d’Armand en relation avec les élections, le développement du Congo et la restauration de l’autorité de l’Etat.  Et quand elle ajoute, « ne pas craindre de tuer, plus pour l’exemple et la dissuasion que par goût de la répression… » sur « le modèle rwandais », elle crée un débat dans les camps de ses lecteurs.

 La lecture d’Evariste Mpwo , réponses de Colette et de Pétronie Ntumba Mujinga

 S’exprimant sur la toile congolaise, Evariste écrit (le 09 octobre 2010) : « chers tous, lecture et méditation faite, j’ai la conviction que cet article de Colette est une incitation au meurtre, elle invite Kanambe Kadogo (Joseph Kabila) à tuer pour faire l’exemple. Sachant ce qu’est la Belgique pour le Congo, sachant ce qu’elle est dans le media, ses positions influencent le comportement des dirigeants au Congo. Elle avalise les tueries au Congo si cela doit s’accompagner du “développement”. Personnellement, je crois qu’elle doit être citée comme complice dans le procès d’Armand Tungulu et Chebeya. On doit la considérer comme commanditaire. » Ce texte, bien qu’il n’ait pas été le seul commentaire fait sur son article, a été lu par Colette Braeckman et a provoqué  sa réaction. Elle a écrit : « Cher Monsieur,
 vous pouvez ne pas être d’accord avec mes papiers et diffuser votre point de vue sur le net. Mais m’accuser d’incitation au meurtre, alors que précisément, mon papier visait à dénoncer les méthodes des services de sécurité, non seulement c’est une erreur d’interprétation, mais c’est une injure grave. Je vous signale que je me réserve la possibilité de porter plainte pour diffamation et que je transmets ce message aux services juridiques du journal Le Soir. »

Plusieurs compatriotes ont écrit à Evariste Mpwo après la réaction de Colette Braeckman dont une juriste Congolaise, Pétronie Ntumba Mujinga. Elle lui dit entre autres ceci :
« 1. Cher compatriote Evariste Mpwo, ne vous en faites pas. Cette dame ne fait que vous intimider, elle n’a aucune chance devant une cour européenne. Ce serait même bien qu’elle este en justice contre nous toutes et tous, pour que cette affaire et sa prose nauséabonde contre la vie des Congolais reçoive la meilleure publicité! »  Pétronie réajuste l’interprétation d’Evariste en ajoutant : « 2. En effet, nous sommes plusieurs à avoir eu la même interprétation que vous, après lecture de son article tendacieux. Elle n’a certes pas appelé directement au meurtre mais elle y a incité, via un raisonnement justificatif spécieux, un raisonnement pseudo-explicatif. » Elle explicite davantage sa lecture : « 3. En effet, l’esprit général de son papier est que, d’une part le régime de Joseph Kabila ne tuait pas “par goût de répression” mais “pour l’exemple et la dissuasion”, et d’autre part que cela pourrait être excusable pour les besoins d’un développement économique (comme cela serait le cas, selon elle, au Rwanda de Paul Kagame, copié par le Burundi de Pierre Nkurunziza – alors que les indicateurs internationaux fiables n’ont pas encore classé ces deux petits pays parmi les Etats économiquement développés, ni même en train d’émerger de la pauvreté). »

Pour convaincre qu’elle-même, Evariste Mpwo et plusieurs autres compatriotes n’ont pas commis une erreur d’interprétation,  Ntumba Mujinga écrit : « 4. D’ailleurs, une indication que notre interprétation de son écrit n’est pas abusive – et tombe même sous le sens de n’importe quel lecteur francophone, c’est que les forumeurs kabilistes de nos fora ont vite repris son écrit, l’ont répandu de manière triomphale (notamment M. Yvon Ramazani, à qui j’ai répondu), en mettant en exergue cette phrase que j’ai qualifiée de “horrible et terrible”: “… tuer pour l’exemple et la dissuasion et non par goût de répression”. »

 La fin de la pensée unique

 Colette Braeckman va-t-elle mettre sa menace à exécution ? L’avenir nous le dira. Du reste, le débat provoquer par la publication et la lecture de son papier est porteur de plusieurs messages. Là où plusieurs compatriotes voient la main répressive de Joseph Kabila, Colette lit la réponse des services de sécurité à la provocation de l’opposition pour faire l’exemple. Sa lecture est partagée par certains joséphistes.  Ce débat pose une question herméneutique de grande importance : la question de la lecture du texte. Que signifie lire un texte ? Est-ce reproduire, rejoindre l’intention de son auteur ?  « L’expert du Congo » au journal le Soir aurait voulu que la chose se passe  de cette façon-là. Colette est d’accord que ses papiers soient lus et les points de vue qu’ils provoquent publier sur le net. Elle dit à Evariste : « Cher Monsieur, vous pouvez ne pas être d’accord avec mes papiers et diffuser votre point de vue sur le net. » Elle accepte le désaccord. Mais jusqu’à un certain niveau. Elle dessine les frontières de l’interprétation de ses textes que ces lecteurs ne devraient pas dépasser. Ainsi ajoute-t-elle un « mais » à son acceptation du principe du désaccord. « Mais, note-t-elle,  m’accuser d’incitation au meurtre, alors que précisément, mon papier visait à dénoncer les méthodes des services de sécurité, non seulement c’est une erreur d’interprétation, mais c’est une injure grave. » Elle passe de » l’erreur d’interprétation » à « une injure grave ». Pourquoi, au lieu de corriger cette « erreur d’interprétation », Colette Braeckman  envisage la possibilité de traduire son lecteur en justice ?

Quand y a-t-il « erreur d’interprétation » ? Colette ne nous laisse-t-elle pas lire, à travers sa menace, un malaise ? Oui. Un malaise provoqué par la fin de la pensée unique. La fin de l’ère où, à Kinshasa et au Congo, les journalistes et les hommes politiques se promenaient avec les articles de Colette Braeckman et ceux d’autres experts occidentaux sous les aisselles  en les nommant « documents » (précieux ?). Notre lecture va dans ce sens. Pourquoi ? Nous estimons que quand un texte est écrit et publié, il n’appartient plus à 100% à son auteur. Il peut être lu de plusieurs manières et à partir de plusieurs contextes. Un auteur qui voudrait participer au débat suscité par son texte peut préciser sa pensée.

Dans le cas précis, l’un des horizons à partir duquel Colette Braeckman est lue par les Congolais(es), c’est son passé-présent d’  « expert  des pays des Grands Lacs » et l’influence supposée ou réelle que ses écrits ont eu (et ont) sur les politiques de son pays et ceux  de l’Afrique centrale. Faire comme si cet horizon n’existait pas relève du déni de la réalité.

L’avènement de  la presse congolaise alternative (les fora en ligne et les blogs entre autres) est en train de sonner lentement mais sûrement le glas de « l’expertise exclusive» de Colette Braeckman et de plusieurs autres spécialistes Belges du Congo. La presse alternative congolaise vient déjouer, tant soit peu, la prise en otage de la pensée politique de notre pays par la pensée unique dominante au travers des « petites mains médiatiques ». La fin de cette pensée unique coïncide avec la fin du monde unique. Elle risque de provoquer de dégâts. De part et d’autre.

Le monde multipolaire naissant invite davantage plusieurs compatriotes à opter pour le métissage des pratiques et des intelligences. Les nostalgiques du « règne sans partage de Colette » ne manqueront pas. Même s’ils risquent de naviguer à contre-courant des pensées créatrices et innovatrices.  Cela étant, relire et interpréter (secondairement) Colette Braeckman peut être de quelque utilité pour notre devenir commun, eu égard à ses sources et à implication dans l’écriture « officielle » de notre pays. Les questions que posent certaines des contradictions de ses chroniques sont souvent révélatrices de la différence qu’il y a  entre le journalisme, la pensée politique et l’analyse (critique) politique.  (Dans le contexte du rapport du HCDH, il serait par exemple intéressant de relire C. Braeckman, Les nouveaux prédateurs. Politique des puissances  en Afrique centrale, Paris, Fayard, 2003.) Plusieurs lecteurs de Colette Braeckman  semblent perdre de vue qu’elle fait un travail de journaliste-chroniqueur (dominant ?). Qu’elle soit choquée (ou fasse semblant d’être choquée ?) face aux différentes lectures que sa lecture de la mort d’Armand a provoquée est un signe qui ne ment pas.