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Le débat congolo-congolais sur la guerre dans les Grands-Lacs


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Par J.-P. Mbelu

Reconnaître que nous, Congolais(es) (ou plutôt certains d’entre nous), avons notre part de responsabilité dans ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays ne devrait pas nous garder de remonter aux origines de « la troisième guerre mondiale » qui s’est faite sur notre territoire. Dès  que nous commettons cette erreur, notre débat biaise. Nous ne saurons pas, par exemple, faire le lien entre le début de cette guerre et la maligne installation du « QG » d’Africom à Kisangani.

En effet, au fur et à mesure que les années passent, plusieurs compatriotes courent le risque de perdre de vue ce qu’il y a eu dans les Grands-Lacs après la chute du mur de Berlin en 1989. (Nous pouvons même remonter à Berlin 1885 !)Les Etats-Unis ont décidé de redessiner la carte de cette région en soutenant une guerre dite de basse intensité. Pour se refaire une santé morale en pratiquant « l’impérialisme intelligent », ils ont armée le Rwanda et l’Ouganda contre notre pays. Ils ont été rejoints dans cette aventure par leurs alliés dont les multinationales tiraient d’énormes profits du désastre provoqué par cette guerre de basse intensité ; une guerre faite par procuration.

Pourquoi cette guerre ? La réponse à cette question est un secret de polichinelle : avoir accès à nos matières premières stratégiques et contrôler la région des Grands-Lacs. Ouvrir cet espace au capitalisme sauvage.

Les élections organisées dans cette région ont-elles contrecarré les vues des « impérialistes intelligents » ? Non. Surtout pas au Congo, devenu, du point de vue sécuritaire, l’un des pays les plus dangereux du monde. La multiplication des ONGs humanitaires dans notre pays a jeté de la poudre aux yeux de plusieurs de nos compatriotes. Ils ne savent pas que les bénéfices mirobolants réalisés par les trans et les multinationales financent, en partie, ces ONGs.

Un peu d’explication.  Les multinationales et « les impérialistes intelligents »  adoptent « la politique de la souris ». Au même moment qu’ils mordent au talon, ils essaient de souffler un peu sur les blessures. En lingala on dirait : « Bazo suwa mpe bazo fula » ; en tshiluba : « Badi basuma bela mupuya ». Les ONGs humanitaires, pour la plupart, participent de cette politique.

Il y a pire. Certaines d’entre elles font partie de services secrets des « impérialistes intelligents ». Malheureusement, plusieurs d’entre nous sont sous-informés ou ignorent carrément le lien existant entre certaines ONGs dites humanitaires et « les petites mains du capital ».

La lecture de l’histoire de certains pays de l’Amérique Latine comme le Venezuela, la Bolivie et l’Equateur peut être édifiant sur cette question. (Le site de Michel Collon peut faciliter la tâche. Il suffit d’y taper, dans la rubrique recherche, par exemple, NED ou USAID et de lire toute la littérature proposée. Or plusieurs projets chez nous sont soutenus par ces ONGs ! C’est dangereux !)

Disons que pour asseoir leur hégémonie et avoir accès aux matières premières stratégiques, « les impérialistes intelligents » ont besoin de travailler en réseau avec les humanitaires. Mais aussi avec des marionnettes locales et étrangères occupant, apparemment, de grands postes de responsabilité politique, économique et militaire.

Quand certaines ONGs locales financées par « les petites mains civiles » des « impérialistes intelligents » rédigent par exemple des rapports sur le non-respect des droits de l’homme, ils fustigent une pratique que leurs bailleurs de fonds entretiennent. Ils s’enferment, là, dans une quadrature du cercle nocive pour notre devenir commun.

Dans cette approche impérialiste de la guerre, tous les résistants sont assimilés aux semeurs de la haine, aux terroristes et aux bandits. Ils sont traqués par les services de sécurité des marionnettes assumant les charges politiques, militaires et économiques. Ils sont criminalisés.

Et les médias dominants jouent le jeu en fustigeant l’irresponsabilité des fomenteurs de « la théorie du complot »   et les chercheurs de boucs émissaires.

Comment se fait-il que les initiateurs de la guerre dans les Grands-Lacs frappés par une crise économique sans précédent puissent retourner sur les lieux de leurs crimes, sans qu’aucune action en justice ait été intentée à leur endroit pour former les militaires ? Quels intérêts Africom sert-il en créant un « QG » à Kisangani ?  Le Soleil (du 02 novembre 2010) en ligne répond : « De fait, le pétrole (de l’Ituri) et les autres produits de base essentiels constituent la raison majeure de l’établissement d’Africom au Congo et ailleurs sur le continent. Le 19 février 2008, Robert Moeller, adjoint du Général Ward, annonçait d’ailleurs la couleur sans ambages : protéger la libre circulation des ressources naturelles de l’Afrique vers le marché global est un des principes directeurs de l’Africom. Selon son propos, l’approvisionnement des Usa en pétrole et le problème de l’influence croissante de la Chine sont les défis les plus importants aux intérêts des Etats-Unis en Afrique. »  Le Soleil ajoute : « Si le souci proclamé des Etats-Unis est de mener une guerre planétaire contre le terrorisme, la création d’un commandement spécifique à l’Afrique est sous-jacente à l’implication plus marquée de l’Amérique dans la compétition que les grandes puissances se livrent pour la conquête des marchés africains, particulièrement celui du pétrole. Conçu, sous l’administration Bush, par les grandes compagnies américaines, Africom a pour finalité absolue de garantir les approvisionnements pétroliers des Etats-Unis à partir de l’Afrique, au moins pour le quart de leurs besoins, à compter de 2013, afin de donner sûrement le change au Moyen-Orient. »

Quand toutes ces questions et les enjeux qu’elles impliquent sont escamotées, le débat congolo-congolais tourne un peu à vide.  Les bien-pensants rétorqueront que la question congolaise est complexe pour éviter de mettre à nu les pratiques millénaires des « impérialistes intelligents ». Quand ces questions et les enjeux de la guerre sont connus, les marionnettes qui y interfèrent peuvent être identifiées et mises hors d’état d’agir sans qu’elles fassent l’objet d’une attention exagérée de la part des acteurs-créateurs d’un autre Congo.Pourquoi ? Ils  sont interchangeables.

Mais étudier   et approfondir les méthodes et les procédures des « impérialistes intelligents » pour créer une rupture au cœur du système qu’ils ont mis sur pied chez nous depuis plus de cinq siècles, cela prend du temps. Et beaucoup de temps.

Combien de compatriotes, de bonne foi, luttant pour un autre Congo, ne sont-ils pas pris dans les pièges créés par « les impérialistes intelligents » ?

Semer la zizanie, provoquer la guerre et l’insécurité, l’entretenir en s’adonnant à une rhétorique des bonnes intentions et à des œuvres humanitaires, tout ceci participe de l’expansion de « l’impérialisme intelligent ». Ce dernier porte beaucoup de fruit là où prospèrent l’ignorance, l’incapacité de se souvenir, les églises de sommeil, l’obscurantisme, les slogans creux des marionnettes, etc. Il recule là où les intelligences averties travaillent en réseau et créent une grande synergie avec les masses populaires transformées en masses critiques ; là où la capacité de se souvenir est entretenue.

  La Bolivie , le Venezuela, l’Equateur ont prouvé que cela est possible.