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Par Jean-Pierre Mbelu
La magie de l’Internet nous permet de réentendre le discours de Patrice Emery Lumumba ayant jetée de l’huile sur le feu de ses bourreaux. Il arrive, qu’à peu près cinq décennies après sa mort, nous entendions les propos du genre : « Lumumba était un immature politique ; il lui manquait du réalisme politique ; etc. » Avec la magie de l’Internet, quand nous visualisons le passage entre le discours du Roi Baudouin et celui de Lumumba, nous nous rendons compte que ce dernier ose une parole vraie à contretemps. Il improvise un discours dont le contenu met à nu des pratiques odieuses cachées derrière le mot « civilisation ».Oser une parole à contretemps, c’est enfreindre les règles convenues : celles qui vous confèrent un statut et une place dont vous ne devez, dans l’entendement de vos « maîtres » vous départir. Dans ce contexte, le manque de réalisme signifie le refus de la langue de bois. Un refus fondé sur un nationalisme incontrôlable et un courage « sorcier », soutiens d’une lutte ardente et idéaliste.Oser une parole à contretemps attire toujours les foudres des « maîtres du monde ». Depuis la nuit des temps. Un Socrate, un Jésus, un Martin Luther King, un Gandhi, un Kambala ka Mudimbi, un Kataliko en ont payé le prix. Heureusement, ces « maîtres du monde » n’arrivent pas à supprimer, une fois pour toutes, la parole osée. Quand ses porteurs sont tués, elle rebondit.
Les cinquante premières années de notre indépendance nous ont appris à approcher leur méthode : ils ourdissent un complot pour tuer le porteur de la parole osée. Ils trouvent des motifs bien bricolés. Mettre fin au péril communiste pour l’Afrique en éliminant « le petit Satan Congolais » était un motif valable pour qu’ils s’en prennent à la vie de Lumumba. Les motifs inventés (ou créés), ils cherchent les complices dans l’entourage même du porteur de la parole osée.
Ensemble, ils exécutent leur basse besogne. Ensuite, ils renient leur responsabilité ou confectionnent une explication plus ou moins valable. Enfin, les langues commencent à se délier.. Quand ils finissent par reconnaître cette responsabilité, ils évoquent le contexte (la guerre froide par exemple), demandent pardon (ou même pas) et exigent que la page noire de notre histoire commune soit tournée.
Il arrive qu’au moment où « les maîtres du monde » invitent au pardon et à l’oubli du passé, ils commettent d’autres forfaits du même genre. Ils ne peuvent s’affirmer qu’en propageant la mort. Ils ont terriblement peur de la parole osée. Ils ont terriblement peur de tout ce qu’ils ne maîtrisent pas. La parole osée à contretemps les prend au dépourvu. Elle déconstruit leurs faux discours et dévoile « les intentions secrètes » de leurs cœurs.
Souvent, la parole osée à contretemps, quand elle est vraie, détricote les faits et met à nu la merde cachée derrière les beaux principes de civilisation, de respect des droits humains ou de démocratie.
Aujourd’hui, plus ou moins cinq décennies après la mort de notre Héros National, une méditation sur sa parole osée et vraie révèle que de son sang versé d’autres Lumumba sont nés et cela à travers le monde entier.
Sa parole osée va être honorée par un Collectif Mémoires Coloniales dans le pays dont « les maîtres du monde » se sont servi pour l’effacer de la surface de la terre. « Le 17 janvier 2010, pour rendre hommage à Patrice Lumumba assassiné le 17 janvier 1961, le collectif Mémoires Coloniales organise une cérémonie de commémoration à Ostende, sur un bateau réservé pour l’occasion, pouvons-nous lire sur le site Internet de Congoforum. Dans le cadre du cinquantenaire de l’indépendance du Congo, cette cérémonie dénoncera le rôle de la Belgique dans l’assassinat de Patrice Lumumba ainsi que ses responsabilités historiques vis-à-vis du peuple Congolais. »
Il nous semble qu’il y a, dans cette commémoration, quelque chose de formidable à percevoir : « un petit reste métissé » s’engage à refonder nos relations bilatérales sur des bases éthiques autrefois sapées par l’esprit de lucre et un paternalisme néo-colonial. « Ce petit reste métissé » est représenté par deux Belges (Guy De Boeck et Pauline Imbach et d’un Congolais (Antoine Tshitungu Kongolo). Dans ce trio, l’âge de Pauline Imbach interpelle. Elle a 27 ans. Elle fait partie du Cadtm (comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde). Elle est représentative de cette jeune génération de Belges ayant décidé de rompre avec la langue de bois de leurs « papas » sur l’histoire du Congo. Pauline Imbach et ses amis Renaud Vivien, Virginie de Ramonet, etc. étudient la question congolaise en convoquant la dette odieuse de notre pays et en essayant d’indiquer des pistes porteuses d’avenir pour nous en évoquant le respect de nos droits économiques, sociaux et culturels.
Disons que le trio du Collectif est composé d’un Belge, Guy De Boeck (une référence recommandable au sujet de notre histoire), d’un Congolais (une plume congolaise de grande facture) et d’une jeune Belge représentant une approche renouvelée de la question Congolaise.
Tout en honorant la parole osée de Lumumba, ce trio trace (ou retrace) l’une des lignes de conduite à tenir pour sortir notre pays du bourbier où il se retrouve depuis la mort de Lumumba : l’attention à accorder au métissage des intelligences transfrontalières assumé par « les petits restes ». Ceux-ci jouent, chez tous les peuples, le rôle du levain dans la pâte.
Espérons que ces « petits restes » puissent initier un jour un procès contre les bourreaux de Lumumba, même à titre posthume. Pourquoi ? Tant que les bourreaux des symboles des « paroles vraies et osées » ne seront pas jugés, la crédibilité de la justice dite internationale en souffrira et la dignité des peuples appelés à s’autodéterminer en prendra toujours le coup. Le monde sera une jungle où les criminels économiques et fabricants d’armes (et leurs sous-traitants) assassineront toujours ces symboles au nom d’une croyance hypocrite dans les valeurs démocratiques. Heureusement ! Une parole osée et vraie ne meurt jamais. Ceux et celles dont les cœurs et les esprits ont été envoûtés par le pouvoir ensorceleur du capitalisme sauvage l’ignorent. A leurs dépens !