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Noel K. Tshiani, Interview avec Chantal Zock– La Libre Belgique


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Noel Tshiani-Chantal Zock: Vous venez de publier aux éditions De Boeck à Bruxelles un livre dont le titre est « la bataille pour une monnaie nationale crédible ». Votre livre est préfacé par Professeur Christian De Boissieu, Président du Conseil d’Analyse Economique en France. Qu’est-ce qui vous a poussé à publier un livre d’une telle envergure ?

Noel K. Tshiani : Quand je visite mon pays, la République Démocratique du Congo, je me crois  dans un coin des Etats Unis d’Amérique ! Le dollar américain circule librement et est même devenu la monnaie la plus utilisée dans les transactions commerciales sur toute l’étendue de la République.  Les prix des biens dans les magasins sont affichés en dollar, les paiements des biens et services s’effectuent en dollar, 90 pour cents des dépôts bancaires sont en dollar, et les cambistes sont partout sur les rues pour faire du change essentiellement du dollar et de l’euro contre la monnaie nationale. Le marché parallèle de change se trouve sur la rue devant l’entrée principale de l’Ambassade des Etats Unis d’Amérique dans ce pays. Les clients sur ce marché sont multiples et incluent les nationaux, les trafiquants, les officiels, les diplomates et les fonctionnaires internationaux. Le bradage de la monnaie nationale se passe au vu et au su de tout le monde.

Un touriste étranger qui vient dans ce pays pour la première fois peut passer trois mois ou plus dans ce pays sans toucher une seule fois la monnaie nationale car le dollar américain est accepté et préféré partout : dans les hôtels, les restaurants, le transport, les services publics, et même dans les petites alimentations des quartiers populaires. C’est ce constat qui m’a poussé a me poser la question de savoir ce que ce pays, tout comme tout autre pays en développement dans la même situation, peut faire pour avoir une monnaie nationale crédible. J’ai donc mis cette réflexion sous forme de l’ouvrage que vous avez devant vous.

 

Chantal Zock: La RDC n’avait-elle pas fait une réforme monétaire en 1997 justement pour se doter d’une monnaie nationale crédible.

NOEL K. TSHIANI : Au changement du régime politique en 1997, le système monétaire congolais souffrait de nombreux dysfonctionnements graves ,  à savoir la multiplicité d’espaces monétaires ainsi que de taux de change ; la perte de confiance généralisée dans la monnaie nationale du fait de l’instabilité persistante de sa valeur interne et externe ; la dollarisation excessive de l’économie ; la pénurie de signes monétaires au sein du système bancaire ; la rupture de la parité interne entre la monnaie scripturale et la monnaie fiduciaire ; la désintermédiation accrue attestée par une importante circulation fiduciaire hors banques, et la désarticulation des paiements ; la diminution drastique du taux de liquidité de l’économie, atteignant 4,3% en 1997 contre 10 au cours des périodes antérieures. Pour faire face à ces dysfonctionnements,  le nouveau gouvernement de la République Démocratique du Congo incarné par Mzee Laurent Désire Kabila avait décidé, dès le mois de mai 1997, de confier à la Banque Centrale du Congo la tâche d’opérer une réforme monétaire impliquant le changement de l’unité monétaire. C’est dans ce cadre que le franc congolais a été conçu et mis en circulation en juin 1998 en remplacement du Zaïre monnaie devenu symbole de l’échec du régime déchu du Mareshal Mobutu Sese Seko.

La réforme monétaire de 1997 poursuivait les objectifs majeurs suivants : l’unification de l’espace monétaire regroupant toutes les différentes zones monétaires précédentes dont la zone monétaire de deux Kasaï qui utilisait les anciens zaïres, la zone monétaire du reste du pays qui acceptait les nouveaux zaïres; la stabilité des prix intérieurs dans un pays où les taux d’inflation étaient dans les mille pour cent; la stabilité du taux de change qui fluctuait constamment à la baisse ; le rétablissement du système des paiements ; la restructuration du système bancaire ; la relance de l’activité économique ; et enfin l’institution d’une nouvelle unité monétaire dénommée « le franc congolais ».

Chantal Zock: Quinze plus tard après cette réforme monétaire, quelle évaluation faites vous du chemin parcouru et des résultats obtenus ?

 

NOEL K. TSHIANI : La monnaie est le signe le plus visible de la performance économique d’un pays. Le Congo a connu depuis plusieurs décennies une expérience inflationniste sans précédent. Sur les quinze dernières années, le taux d’inflation moyen est de 104 pour cent par an. Cette situation a fait perdre à la monnaie beaucoup de sa valeur et sa crédibilité. Introduite en 1998 à la parité de 1,3 francs congolais pour un dollar américain, la monnaie congolaise s’est dépréciée à 940 francs congolais contre le billet vert en Novembre  2012. L’évaluation que l’on fait de ces quinze dernières années est un constat d’échec car le franc d’aujourd’hui ne vaut plus rien par rapport à celui que le pays avait introduit en juin 1998. Pour bien appréhender cet échec, l’équivalent en franc congolais de cent mille dollars en 1998 ne vaut plus aujourd’hui en Novembre 2012 qu’à peine cinquante trois cents d’un dollar américain.

La reforme monétaire était sensée marquer le grand changement dans la gestion de la chose publique et inspirer confiance dans l’avenir du pays. Elle était supposée contribuer à la stabilisation ou à l’amélioration du pouvoir d’achat des congolais. Mais c’est l’inverse qui s’est produit. Sur une période de quinze ans depuis le lancement du franc congolais en 1998, la monnaie nationale s’est dépréciée de près de 100.000 pour cents et ne vaut plus rien aujourd’hui.

Chantal Zock: Que faut il faire maintenant ?

NOEL K. TSHIANI : Il me semble opportun de repenser la monnaie congolaise ainsi que la structure et le fonctionnement du système financier congolais afin de les adapter aux impératifs de développement économique du pays. Une telle réflexion doit inclure la reforme de la Banque Centrale du Congo en tant qu’autorité monétaire et catalyseur du développement du secteur financier et du marché des capitaux, la restructuration profonde et totale de la monnaie nationale et la redéfinition d’une stratégie et d’une vision de développement du secteur financier en fonction des ambitions de développement économique d’un pays aussi riche en ressources et vaste qu’est la République Démocratique du Congo.

Chantal Zock: Pourquoi faut il repenser la structure et le fonctionnement du système financier congolais ?

NOEL K. TSHIANI : En ce moment en 2012, la configuration du système bancaire congolais se présente comme suit : 23 banques commerciales; 120 coopératives d’épargne et de crédit ; 19 institutions de micro finance ; 34 messageries financières ; et 12 bureaux de change. Toutes ces banques et établissements de crédits ont une caractéristique commune : ils comptent au total à peine 80 agences bancaires en grande partie concentrés à Kinshasa, et n’ont pas d’actionnaires congolais importants dans leur capital. On trouve plutôt des banques commerciales et établissements de crédits dont les capitaux appartiennent aux banques étrangères, et aux bilatéraux et autres banquiers privés étrangers. Il y a lieu de dire que les congolais ont perdu le contrôle du système bancaire et de la monnaie du fait de l’origine des capitaux d’une part, et de la dollarisation de l’économie d’autre part.

Je n’ai rien contre l’arrivée des capitaux étrangers, mais il faut qu’il y ait une juste dose des capitaux nationaux et étrangers pour qu’on ait un système bancaire équilibré qui réponde véritablement aux besoins de développement du pays et de soutien au secteur privé national. Certains personnes justifient la disparation des nationaux de l’actionnariat des banques et établissements financiers au Congo par le fait que ceci constitue la principale caractéristique du système bancaire et financier en Afrique.  Je pense que cette attitude est très irresponsable car elle implique une abdication devant ses responsabilités et une incapacité à changer les choses pour le bien du peuple congolais. La République Démocratique du Congo est un grand pays de 72 millions d’habitants, et donc potentiellement une très grande économie émergeante. Ce qui n’est pas possible dans certains pays Africains, est tout à fait réalisable dans ce sous-continent si l’on met de l’imagination et le savoir faire collectif au service du peuple congolais sans exclusion aucune.

Il est normal que différents pays se font concurrence pour attirer des capitaux étrangers. La RDC doit aussi mener ce combat avec bravoure, mais pas aveuglement au point d’exclure les nationaux de l’actionnariat des banques au motif simpliste que dans le passé, certaines banques détenues par les nationaux sont tombées en faillite faute de gestionnaires compétents. Je n’accepte pas cet argument fataliste et pessimiste dégradant. Les actionnaires congolais ont besoin de beaucoup de soutiens de la part des autorités politiques et monétaires pour percer dans un secteur qui leur reste encore très fermé. Un pays qui ne contrôle pas sa monnaie et son système financier, ne contrôle pas son économie.

Chantal Zock: Il y a eu quand même beaucoup de banques liquidées pendant ces dernières années en RDC. Est-ce que cela a affecté la confiance dans le système dans le système financier ?

NOEL K. TSHIANI : Je déplore la manière dont certaines banques sont brutalement liquidées sans que les déposants soient remboursés de leurs dépôts et n’aient même pas un seul moyen de recours. De 2000 à ce jour, dix banques ont été liquidées en RDC. La dernière liquidation est celle de la Banque Congolaise intervenue en Janvier 2011.

Quand il n’y a pas d’institution de garantie des dépôts, il est évident que les déposants font confiance à l’autorité monétaire qui assure la surveillance et le contrôle du système bancaire. En cas de liquidation d’une banque commerciale tel est le cas actuellement de la Banque congolaise et de toutes les autres liquidations antérieures, il faut que la Banque Centrale du Congo et le Gouvernement assument la responsabilité des dépôts, sinon l’on détruit davantage la confiance du public dans le système bancaire. Une telle confiance est déjà au plus bas niveau dans un pays où le taux de bancarisation n’est que de 0,9 pour cent de la population (soit environ 650.000 comptes bancaires sur une population de 72 million d’habitants), de loin inférieur à la moyenne africaine de 25 pour cent. A ma connaissance, c’est l’un des taux de bancarisation les plus faibles du monde. Le pays ne peut  donc pas se contenter de la situation actuelle du système bancaire qui ne peut véritablement pas soutenir le développement économique et satisfaire aux besoins réels du secteur privé et du public congolais. Un tel constant interpelle les décideurs et exigent une nouvelle vision, et une autre façon de faire les choses.

Mon avis, Il faut lier le développement du secteur financier congolais à l’évolution du secteur privé et de l’économie dans le pays. Les banques et établissements financiers accompagnent le secteur privé. Pour que le secteur financier se développe, il faut que le secteur privé évolue dans un environnement favorable à son expansion. C’est pour cela que les autorités gouvernementales doivent accélérer les reformes visant l’amélioration de l’environnement des affaires.

 

Chantal Zock: Revenons à la monnaie congolaise. Quelles sont les causes de la chute vertigineuse de la monnaie nationale congolaise depuis 1997 ?

NOEL K. TSHIANI : Les causes de la chute de la monnaie congolaise sur les quinze dernières années sont multiples et incluent la culture de tricherie au niveau de la haute direction de la Banque Centrale du Congo (un mandat du gouverneur de la Banque Centrale du Congo initialement prévu pour cinq en 1997 renouvelable une fois,  a été étendu de façon secrète à quinze ans à travers des manœuvres frauduleuses entre le Gouverneur de la Banque centrale du Congo et ses complices au niveau de la Présidence), l’absence d’une vision de développement du secteur financier, l’absence d’une distance suffisante entre la Banque centrale et la branche exécutive du gouvernement, les questions de gouvernance et de conflits d’intérêts au niveau de l’autorité monétaire et de certaines institutions financières importantes, la qualité des produits et  services de la banque centrale, l’absence des incitations appropriées pour le personnel de la banque centrale, le comportement affairiste des dirigeants de la Banque Centrale du Congo  et enfin l’environnement inapproprié de la banque y compris des infrastructures physiques, systèmes d’information et procédures de fonctionnement et de gestion de risques.

Toutes ces défaillances amplifient les conséquences dans un contexte national marqué par un environnement politique instable pendant plusieurs années, le manque de cohérence entre les politiques monétaire et budgétaires, le manque d’une stratégie cohérente de développement du pays, l’inexistence de politiques économiques et financières saines, l’absence totale d’une discipline budgétaire et fiscale, l’insuffisance de la production nationale, et la mauvaise gestion des ressources à  plusieurs niveaux.

Chantal Zock: Vous parlez de manque de vision de développement du secteur financier, mais il y a quand augmentation du nombre des banques en RDC pendant les quinze dernières ? Qu’en dites vous ?

NOEL K. TSHIANI : Je partage le constat que les banques et établissements financiers fleurissent au Congo pendant ces quinze dernièrres années (ce qu’il faut saluer d’ailleurs). Mais la question fondamentale reste celle de l’adéquation du système financier Congolais dans son ensemble aux besoins de développement du pays. C’est pour cela que j’appelle à une prise de conscience nationale pour que la République Démocratique du Congo se dote en urgence d’une vision claire de développement du secteur financier qui soutienne les ambitions de croissance économique accélérée et d’un développement économique et social axé sur la dynamique du secteur privé. Sans cette vision, la multiplicité de petites banques étrangères concentrées pour l’essentiel à Kinshasa, reste sans impact tangible et réel sur le vécu quotidien des Congolais et sur l’économie nationale. Il faut encourager l’émergence des trois ou quatre grandes banques nationales qui accompagneraient le développement économique du pays et qui seraient un relais de la vision de l’autorité monétaire et du leadership politique du pays.

Chantal Zock: Vous dites dans votre livre que l’économie de la RDC est dollarisée à 90 pour cent ? Est-ce une bonne ou mauvaise chose  pour le pays ?

NOEL K. TSHIANI : Je tiens à rappeler que la Constitution de la République Démocratique du Congo (complétée par l’article 7 de la Loi 005/2002 du 7 Mai 2002 sur l’Organisation et le Fonctionnement de la Banque Centrale du Congo) est très claire dans ses articles 170 et 176 qui stipulent d’une part que l’unité monétaire de la République Démocratique du Congo est le franc congolais ; et d’autre part que « la Banque Centrale du Congo est seule habilitée, sur le territoire national, à émettre des billets et pièces de monnaie ayant cours légal. Les monnaies et pièces de monnaie ayant cours légal sont  libellées dans l’unité monétaire de la République démocratique du Congo, le franc congolais ou dans ses sous-unités». La situation monétaire actuelle de la République Démocratique du Congo se caractérise par les éléments suivants : le manque d’unification de l’espace monétaire  étant donné que plusieurs monnaies circulent concomitamment sur toute l’étendue de la République, et notamment le Franc congolais, le dollar américain, l’euro, le franc CFA, le schilling ougandais, le franc rwandais, le kwacha zambien, le kwanza angolais et le schilling tanzanien ; l’instabilité chronique du taux de change qui est passé de 1,3 francs congolais en juin 1998 à 940 Francs congolais contre un dollar américain en Novembre  2012 ; l’instabilité continue des prix; le dysfonctionnement du système des paiements ; la paralysie du système bancaire ; la stagnation de l’activité économique ; et l’absence de l’exclusivité monétaire avec la dollarisation poussée et éhontée de l’économie. La dollarisation qui laisse le dollar américain circuler librement au Congo constitue une violation fragrante de ces dispositions constitutionnelles.  Et toute réglementation de change qui autorise et officialise la dollarisation est aussi contraire à ces dispositions constitutionnelles. C’est pour cette raison que je pense qu’il est temps qu’on respecte la constitution du pays tant que ces dispositions constitutionnelles n’ont pas été modifiées.

La dollarisation appauvrit la République Démocratique du Congo au profit des Etats Unis d’Amérique et favorise le blanchiment d’argent salle. Les revenus de seigneuriage reviennent logiquement à l’émetteur de la monnaie en circulation dans un pays. Les revenus de seigneuriage sur les dollars circulant en République Démocratique du Congo ne reviennent ni à la Banque Centrale du Congo, ni à la République Démocratique du Congo, mais plutôt à l’émetteur des dollars qui est la Réserve Fédérale des États Unis d’Amérique (Banque Centrale Américaine). Comme Il n’existe pas d’accord de rétrocession des revenus de seigneuriage entre la République Démocratique du Congo et les Etats Unis d’Amérique, les Etats Unis d’Amérique se font du bénéfice (revenus de seigneuriage) en laissant circuler leur monnaie en République Démocratique du Congo au moment où les pertes d’exploitation de la Banque Centrale du Congo (devenues chroniques depuis un certain temps) sont financées par des subventions d’exploitation qu’approuve le Parlement congolais année après année à la demande de l’autorité monétaire. Mon estimation est que la RDC perd près de 600 millions de revenus de seigneuriage chaque année. Ce phénomène constitue un véritable fléau qui interpelle la Banque Centrale du Congo, et le Gouvernement si on veut d’une part reprendre le contrôle de sa monnaie et recouvrer la souveraineté monétaire nationale, et d’autre part mettre fin au déficit de l’autorité monétaire en diversifiant ses sources de revenus, y inclus ceux de seigneuriage.

Chantal Zock: Comment mettre fin à la dollarisation de l’économie en RDC ?

La fin de la dollarisation de l’économie ne se décrète pas du jour au lendemain par une baguette magique. Si cet avis est partagé, il ne reste pas moins vrai qu’il faut que le Congo ait un plan clair avec un horizon temporel raisonnable pour mettre fin à la dollarisation afin de ne pas laisser perdurer la situation actuelle indéfiniment.  C’est à ce prix que le pays reprendrait le contrôle non seulement de sa monnaie, de son système financier et aussi de son économie. Il est bien entendu que dans cet horizon temporel raisonnable et réaliste, il faut que la République Démocratique du Congo continue à renforcer sa crédibilité à travers une gestion macroéconomique rigoureuse notamment en maintenant un niveau d’inflation faible, régulier et prévisible, ce qui n’est pas évident lorsqu’on ne contrôle pas entièrement la masse monétaire circulant dans le pays.  La question de la qualité, du degré et de la pérennité de la stabilisation macroéconomique est ainsi posée. Sans verser dans la théorie, une loi sur la reforme du système de paiement au Congo s’impose. Une telle loi devrait couvrir les moyens de paiements conformes aux dispositions constitutionnelles en vigueur, la monnaie acceptable pour les transactions dans le pays, les sanctions et amendes des récidivités, et surtout le délai raisonnable et réaliste pour le passage d’un système de dollarisation à  celui où une monnaie nationale crédible devient effective conformément à la constitution du pays.  La fin de la dollarisation doit être précédée et accompagnée d’une longue campagne de communication pour que la population comprenne le bien-fondé de la démarche et s’approprie le processus. Il faudra donc faire un bon mélange des règles de dollarisation basées sur le marché et la persuasion, et une certaine dose de règlementation. La seule bonne volonté ne suffit.

Chantal Zock: Faut il aussi faire une réforme monétaire dans la cadre de votre bataille pour doter la RDC d’’ une monnaie nationale crédible ?

NOEL K. TSHIANI : Etant donné que institutions de la République sont en place, et parce que l’indépendance de la Banque centrale est prescrite dans la constitution du pays et dans ses statuts, je pense qu’il est opportun de  procéder à la réforme profonde de la Banque Centrale du Congo, du secteur financier et du secteur de la monnaie qui devra constituer un appui important aux efforts de mobilisation de ressources indispensables pour la mise en œuvre d’une véritable nouvelle vision de développement du pays. Cette réforme doit constituer un bon complément aux efforts de redressement économique entrepris par le gouvernement dans tous les secteurs afin de relancer l’économie nationale et créer la base d’une croissance économique durable, condition sine qua non pour créer des emplois massifs et améliorer les conditions sociales de la population.

Une nouvelle réforme monétaire est vraiment nécessaire pour plusieurs raisons. D’abord parce que la nomenclature actuelle des billets de banque est hors d’état d’usage. Le coût de fabrication des billets étant devenu trop élevé par rapport à leur valeur faciale, la monnaie congolaise est devenue difficilement utilisable. L’introduction en juillet 2012 des billets de 1.000 à 10.000 francs congolais n’est pas suffisante et ne constitue a mon avis qu’un palliatif qui ne résout pas les problèmes liés a l’irrationalité de la monnaie congolaise dans sa configuration actuelle. Ensuite il existe deux masses monétaires distinctes au Congo : une masse monétaire en franc congolais et une masse monétaire en dollar. La Banque centrale ne contrôle pas la masse monétaire en dollar qui est la plus importante en volume. De ce fait, la Banque centrale ne peut pas conduire une politique monétaire crédible car tous ses instruments (taux directeurs, taux de réserves obligatoires, et interventions sur le marché de change) sont sans effet réel et durable sur l’économie.

La reforme monétaire ne doit pas être comprise comme l’introduction de signes monétaires de grande dénomination qui sont d’ailleurs porteurs d’un effet psychologique hyper-inflationniste important. L’introduction de tels billets ne peut qu’entrainer des conséquences dévastatrices sur le pouvoir d’achat de la population. Le public congolais en a déjà souffert dans le passé.

Pour faire face à cette situation, la Banque centrale et le gouvernement doivent travailler de concert pour rétablir une discipline pouvant permettre la conception et la mise en œuvre d’une politique monétaire et de change saine et crédible. Une telle discipline implique d’une part la mise en place d’un Etat de droit fonctionnel et le respect des statuts de la Banque, et d’autre part le soutien de la politique économique du gouvernement et de la vision du leadership politique du pays ; le respect des principes de l’orthodoxie budgétaire et financière; une bonne coordination entre les politiques monétaires et budgétaires, l’engagement et le leadership du ministère des finances dans la restructuration du secteur financier, et l’engagement de la Banque centrale à se restructurer elle-même pour devenir une institution moderne en hommes, instruments, politiques et infrastructures. Cette discipline exige une volonté politique ferme pour mettre fin à la dollarisation qui fait perdre au Congo et à la Banque centrale les revenus de seigneuriage et de change, et contribue à aggraver le déficit de l’autorité monétaire et du budget de l’Etat. La dollarisation qui avait permis à l’économie congolaise de survivre pendant la période de guerre marquée par l’instabilité chronique du cadre macroéconomique et l’hyperinflation, ne se justifie plus aujourd’hui comme système monétaire dans un pays souverain. La dollarisation ne permet pas à la Banque centrale de jouer son rôle de préteur de dernier ressort en cas de difficultés du système financier, et constitue un signe visible de perte de la souveraineté monétaire par le Congo. La banque centrale et le gouvernement doivent y mettre fin de toute urgence afin de rétablir la souveraineté monétaire nationale dans l’intérêt supérieur du pays et du peuple congolais.

Les perspectives pour  une monnaie nationale crédible sont liées à celle de l’économie congolaise et exigent la poursuite des réformes multisectorielles, en particulier dans le domaine de l’assainissement des finances publiques, du renforcement de l’intégration économique nationale, de la stabilité socio-politique, de l’amélioration de la gouvernance politique et économique, de la mise en place d’un environnement incitatif pour le secteur privé, de la construction des infrastructures économiques et sociales, de la valorisation des ressources humaines et naturelles et de la relance durable de la production nationale. Je suis conscient du fait qu’on ne peut pas simplement combattre la dollarisation par une baguette magique. Il faut y aller par étapes, en commençant par changer les conditions qui ont conduit à la perte de confiance dans la monnaie nationale. C’est pour cette raison qu’une stratégie globale de développement du secteur financier, de développement du secteur privé et de relance économique est primordiale. C’est pour cela qu’il faut inscrire cet exercice dans le cadre d’un programme intégré visant à mettre en place au préalable un véritable Etat de droit et République Démocratique du Congo.

Chantal Zock: Un mot de la fin ?

NOEL K. TSHIANI : Un pays qui ne contrôle pas sa monnaie et son système financier, ne contrôle pas son économie. La monnaie est un levier important de gestion macroéconomique. Une politique monétaire crédible ne peut être menée au Congo tant que l’on n’aura pas rétabli la confiance dans le pays et dans sa gouvernance d’une part, d’autre part dans l’économie nationale et dans le franc congolais pour en faire la seule monnaie ayant court légal sur l’étendue de la République conformément à la constitution du pays. Si, au sortir de la deuxième guerre mondiale, les Allemands avaient réussi a sortir leur pays de la merde pour se donner une économie florissante et une monnaie nationale crédible, cela est tout a fait aussi possible dans ce mon pays, mais moyennant une certaine façon de faire les choses et de gérer le pays. A mes compatriotes, je voudrais dire qu’une monnaie nationale crédible est tout à fait possible en République Démocratique du Congo. Mais pour cela, nous devrons situer cette vision dans le cadre des réformes d’ensemble englobant la politique, l’économie et la monnaie.

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