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Source: Jean Pierre Mbelu
La dernière sortie médiatique d’Etienne Tshisekedi sur ses ambitions politiques a déjà fait couler beaucoup d’encre et de salive. Certains critiques d’Etienne Tshisekedi estiment qu’en se déclarant candidat à la présidence sans compromis, il fragilise l’opposition et fait le jeu de la Majorité. D’autres croient que fort de son expérience passée, il est prudent et évite que le compromis trouvé avec certains acteurs politiques ne se transforme en compromission comme du temps de l’Union Sacrée de l’Opposition. D’autres encore pensent que la ténacité d’Etienne Tshisekedi dans la lutte pour la démocratie et un Etat de droit en fait un candidat incontournable pour les prochaines élections présidentielles. La Dynamique Tshisekedi Président née le 16 février 2011 s’inscrit dans cette dernière perspective.
Quelques petites remarques préliminaires.
Les compatriotes qui s’expriment sur la candidature de Tshisekedi à la présidence le font en marge de ceux qui ne croient pas dans le processus électoral enclenché depuis 2005 comme voie à emprunter pour briser le joug de l’occupation sous lequel gît notre pays depuis la guerre d’agression de 1996.
Pour ces compatriotes, aller aux élections avec certains gouvernants actuels, c’est légitimer le système de la mort instauré chez nous par le réseau transnational de prédation depuis ladite guerre. Les partisans du processus électoral, eux, estiment que le renversement des rapports de force passe par la voie légale et légitime en politique : les élections au suffrage universel.
(Ce débat est permanent et il n’est pas prêt à être clôturé du jour au lendemain.)
Revenons au processus électoral en vue et à la sortie médiatique d’Etienne Tshisekedi.
Il a dit au grand jour ses ambitions : être candidat à la présidence. Un constat. Cette déclaration a été favorablement accueillie par les membres de la Dynamique Tshisekedi Président, ceux de son parti et plusieurs de la société civile. Plusieurs d’entre eux l’ont justifiée en arguant qu’il est le père de la démocratisation du Congo et en tenant compte de la versatilité de la classe politique congolaise. Pourquoi cette déclaration devrait-elle nécessairement fragiliser l’opposition ? Que veut cette opposition ? Un changement de système ou un remplacement d’acteurs politiques dans un même système, c’est-à-dire la perpétuation du marionnetisme au profit du néolibéralisme ? Si c’est le changement des rapports de force pour que s’écroule tant soit peu le système néolibéral et ses avatars chez nous, là, l’unité ne pourrait pas être synonyme d’unanimité. Etienne Tshisekedi, la Dynamique Tshisekedi Président et leurs alliés peuvent être un des groupes de la grande dynamique travaillant au renversement du système. Donc, les compatriotes ne supportant pas la candidature d’Etienne Tshisekedi peuvent s’organiser autrement en vue d’atteindre le même but, le même objectif. Des passerelles pourraient exister entre les deux parties pour évaluer leur marche vers la réalisation de l’objectif commun.
A notre avis, l’une des difficultés de nos acteurs politiques serait liée au fait que plusieurs estiment se battre contre Joseph Kabila. Non. Ce dernier est un maillon (ou une victime inconsciente ?) d’un système beaucoup plus sophistiqué : le néolibéralisme. (Certains membres dits de l’opposition y participent !) Les Tunisiens et les Egyptiens se sont ligués, comme un seul homme, dans la diversité de leurs appartenances, pour chasser les représentants d’un système liberticide, semant la mort, les inégalités et l’indignité. Ils ont dépassé la diversité de leurs appartenances en ayant un même objectif. Ceci s’est préparé localement. A partir des réseaux sociaux et d’autres tiers-lieux. (Et ils ne sont pas encore au bout de leurs peines !)
Disons que l’unité autour d’un même objectif peut se réaliser dans la diversité des procédures et des méthodes. Ne devrions-nous pas apprendre à faire la différence entre l’unité et l’unanimité ? Et puis, notre unité ne devrait-elle pas se fabriquer à partir des désaccords que nous chercherions à dépasser en palabrant ?Le fait d’avoir vécu sous Mobutu avec les slogans du genre « papa bo moko », « maman bo moko », « ekolo bo moko » ne nous aurait-il pas rendu, pour la plupart d’entre nous, partisans de la pensée unique ou du « celui qui n’est pas pour nous est contre nous ? »
Le déficit de la confiance entre nous et en nous
Il y a une autre difficulté et la plus sérieuse : le déficit de la confiance entre nous. Pour avoir été pris en otage par de petits peuples soutenus par les grandes puissances avec la complicité de certains d’entre nous, il devient très difficile de nous faire mutuellement confiance. L’autre, le différent, est vite soupçonné d’être au service de l’ennemi. Les inégalités créées à cause de la guerre d’agression ont renforcé ce déficit de confiance. Il y a non seulement manque de confiance entre nous mais aussi en nous-mêmes. Nous croyons trop facilement en la force de « l’ennemi » qui nous infiltre et en sa capacité réelle ou imaginaire de nous détruire. Souvent, nous sommes sur nos gardes. Et quand certains compatriotes sont invités à se mettre ensemble, à rejoindre d’autres groupes ou partis, ils posent cette question : « Vous voulez que nous puissions nous mettre ensemble, mais avec qui ? » A notre humble avis, ce déficit de confiance entre nous et en nous ne sera pas comblé à partir des slogans du genre : « Liguons-nous comme un seul homme, mobilisons-nous pour mettre l’ennemi en déroute, etc. » Nous lutterons contre ce déficit de confiance en nous réorganisant localement ; à partir de là où nous sommes, en nous identifiant et en travaillant ensemble pendant un temps ; en faisant nos preuves. Et petit à petit, en nous interconnectant. Il y en a parmi nous qui sont très avancés dans ce travail en commun et ils se mettent assez facilement ensemble et d’autres doivent encore bosser dur pour y arriver.
« Force-les à bâtir ensemble une tour, tu feras d’eux des frères », disait Antoine de St Exupéry. La confiance renaît et renaîtra à partir de ce que nous bâtissons et bâtirons ensemble, dans des organisations et des institutions capables de rendre des comptes ; dans un Etat digne de ce nom. Avant cela, il est important que certains parmi nous prennent le risque de jouer les médiations et de fédérer les forces acquises au renversement du système de notre avilissement en engageant leur crédibilité.
Il est difficile de faire la politique politicienne et/ou citoyenne dans un contexte où le manque de confiance est criant.
J.-P. Mbelu