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Rwanda-Patrick Karegeya : «Nous savons d’où les missiles sont partis»


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Photo Patrick Karegeya
Photo Patrick Karegeya

-Ancien chef des services de renseignement extérieur du Rwanda, Patrick Karegeya a fui le pays en 2007 et vit aujourd’hui en exil en Afrique du Sud. Comme le général Faustin Kayumba Nyamwasa, il accuse le président Kagame d’être responsable de l’attentat qui en avril 1994 a coûté la vie à Juvénal Kabyarimana. Tous deux se disent prêts à rencontrer le juge français en charge de l’enquête, Marc Trévidic.

Propos recueillis par notre envoyée spéciale en Afrique du sud, Sonia Rolley

Depuis quand connaissez-vous le président Kagame ?

Cela fait très longtemps. On était ensemble à l’école. Il devait être deux classes au-dessus de moi. Donc cela fait plus de trente ans.

Et vous avez travaillé ensemble dans l’armée ougandaise…

Oui, nous avons travaillé dans le même département, celui des renseignements militaires.

Quand avez-vous décidé de prendre les armes ?

Je crois que tout a commencé en 1987. Fred Rwigyema était toujours vivant et il y avait aussi d’autres officiers plus âgés que nous. Ils organisaient les réunions, décidaient qui parmi les officiers devaient y participer. Donc oui, nous participions aux réunions, puis nous retournions sur le terrain pour voir ce qui se passait. Et nous leur faisions notre rapport.

Quand est-ce que le président Kagame a pris le contrôle des opérations ? Et pourquoi lui ?

Pourquoi lui ? Parce que tous ceux qui étaient au-dessus de lui sont morts. Donc ça lui revenait de commander. Quand tout a commencé, il n’était pas là. Mais quand il est revenu, Fred est mort et les autres aussi, donc c’est lui qui a pris le commandement parce qu’il était en tête de liste. On a tous pensé qu’il était souhaitable qu’il prenne la tête des opérations et c’est ce qu’il a fait.

Donc il n’y avait aucune contestation à l’époque ?

Non, aucune. Ce serait compliqué pour des militaires de contester ce type de décision, ce n’est pas comme en politique. Et n’oubliez pas que nous étions en guerre, il n’y avait pas de place pour la politique ou des considérations démocratiques. Et puis ce n’est pas comme s’il prenait la tête du mouvement. Il y avait le Front patriotique rwandais et l’Armée patriotique rwandaise. Il a pris le contrôle de l’APR et du reste plus tard. Mais ça, ça s’est fait petit à petit, au fil des années, pendant la rébellion. Puis on a pris le pouvoir. Et ce n’est qu’en 1998 qu’il a pris la tête du FPR. Il a réussi à se défaire de tout le monde et même de son patron de l’époque, Bizimungu, qui était président. Et on doit tous plaider coupable parce que ça s’est passé sous nos yeux. Mais comme on était en guerre, personne n’a eu le courage de dire quoi que ce soit ou de convoquer une réunion pour ça. Donc les civils ont été pratiquement tous éjectés du mouvement. C’est devenu une institution militaire qui n’a conservé du FPR que le nom.

Mais on a toujours l’impression qu’il était en charge de tout, même à l’époque où Pasteur Bizimungu était président. Est-ce que tout ça n’était pas du décorum ?

Non, pas exactement. Il était à la tête de l’armée et tout dépendait de l’armée. Evidemment, tous ceux qui venaient avec un problème politique, ils étaient accusés d’abord de mettre en péril les efforts de guerre, puis de ne pas être suffisamment patriotes. Et très peu de gens finalement avait le courage de dire « il y a l’action militaire et il y a la politique ». Donc il a véritablement pris le contrôle de tout sans que personne n’ose dire quoi que ce soit ou même n’ose contredire ce qu’il disait. Il est devenu l’homme fort comme on dit.

Pourquoi ne contestiez-vous pas ces décisions ? Est-ce que vous ne considériez pas qu’il était le meilleur pour faire ce travail ?

Meilleur ou non, il était déjà en place. Donc on se contentait d’essayer d’arranger les choses, de le convaincre de ne pas faire certaines des choses terribles qu’il avait en tête. C’est pour ça qu’on a fait partie des dégâts collatéraux. On a essayé de lui dire que ce n’était pas bien, que ce n’était pas la bonne manière de faire les choses. Mais parce qu’il avait tous les pouvoirs, il a commencé à voir toutes les critiques ou même simplement les suggestions comme une remise en cause personnelle. C’est devenu évident qu’à un moment, il n’y avait plus de différence entre lui et l’Etat. Comme vous dites en France : « l’Etat, c’est moi ». Et maintenant qu’il a tous les pouvoirs, il se comporte en monarque absolu. Et personne ne peut contester ses décisions.

Vous accusez aujourd’hui le président Kagame d’être derrière l’attentat contre l’avion de Juvénal Habyarimana. Avez-vous des preuves de son implication ?

Si nous n’en avions pas, nous ne dirions pas ça. Evidemment, nous en avons. Nous ne spéculons pas. Nous ne sommes pas comme ceux qui essaient d’enquêter, qui disent que le missile venait de Kanombé (ndlr : camp militaire des FAR, l’armée rwandais de l’époque). Nous savons d’où les missiles sont partis, qui les a acheminés, qui a tiré. Nous ne spéculons pas. On parle de quelque chose que l’on connait.

Mais pourquoi ne le rendez-vous pas public ? Pourquoi les garder pour vous ?

Nous ne les gardons pas pour nous. Il n’y a pas eu d’enquête digne de ce nom. On ne veut pas livrer tout cela aux médias. Souvenez-vous que tout ceci aura des conséquences pour des gens. Les gens qui ont perdu leurs vies avaient une famille, des amis. Si je vous le dis, évidemment, vous allez le publier et ça ne va pas aider les victimes. Donc, on s’est toujours dit que ça devait se faire dans le cadre d’une enquête judiciaire, qu’on puisse dire dans ce cadre-là ce que l’on sait.

Le juge Trévidic ne vous a jamais contacté ?

Non, ces juges ne sont jamais venus vers nous. S’ils le font, nous le dirons ce que nous savons. Mais on ne peut pas leur forcer la main. S’ils souhaitent nous entendre, ils viendront. Et puis n’oubliez pas que ce sont des Français et que les victimes sont rwandaises. Donc on estime aussi que ce serait mieux si des Rwandais faisaient aussi ce travail… Mais ça, évidemment, ça ne pourra se faire qu’après le départ de Kagame. Nous n’espérons pas qu’il y ait une enquête judiciaire rwandaise pour le moment. Les Français ont pris la liberté de le faire, mais aucun d’eux n’est venu nous voir.

Est-ce que vous êtes impliqué dans cette attaque ?

Non, mais ça ne veut pas dire que je ne sais pas ce qui s’est passé.

Et vous n’occupiez pas un poste qui vous permettait d’empêcher cet attentat ?

L’empêcher ? Non, je ne m’y serais pas opposé. Il l’a décidé. Et je n’aurais jamais pu dire : ne le faites pas. Il était sûr de sa décision. Mais savoir, ça, oui, on sait.

Mais pourquoi abattre cet avion ?

Il croit que tous les opposants doivent mourir… Et à cette époque, parce que c’était Habyarimana, c’était un moyen de prendre le pouvoir. Habyarimana venait de signer un accord de partage du pouvoir, même s’il essayait de gagner du temps, ce n’était pas une raison pour le tuer. Il fallait suivre le processus et s’assurer qu’il aille jusqu’au bout. Beaucoup de gens disaient qu’il essayait de gagner du temps, je ne cherche pas à le défendre. Mais même s’il a commis des erreurs, il ne méritait pas de mourir.

Vous avez été chef des renseignements extérieurs pendant dix ans et, en 2004, vous avez été démis de vos fonctions. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

C’est le résultat d’une série de désaccords avec le président Kagame sur sa lecture du pays en termes de gouvernance, de droits de l’homme, à propos également de la situation au Congo… Ça a duré assez longtemps. A un moment, j’ai réalisé qu’on n’allait nulle part. Je lui ai demandé de me laisser faire ma vie, il a refusé. Trois ans après, il a fini par me jeter en prison. Pas une, mais deux fois. Donc il s’agissait de désaccords politiques, rien de personnel.

Rien de personnel ? Mais vous étiez amis…

Bien sûr que nous étions amis, mais je faisais partie du gouvernement. Je n’étais pas là pour l’encenser. En tant que chef des renseignements, je pense que ce que je pouvais faire de mieux, c’était de lui dire la vérité, que la vérité soit amère ou non. Mais le fait qu’il ne puisse pas l’accepter et qu’il le retienne contre moi, je crois que ce qui se passe aujourd’hui me donne raison.

Quelles abominables vérités lui disiez-vous par exemple ?

Les habituelles, je lui disais que ce que nous faisions n’était pas bien en terme de justice, de démocratie, de liberté de la presse. Il y avait la seconde guerre du Congo. On a parlé de tout ça et on ne tombait jamais d’accord. Mais parce que ça n’avait pas lieu en public, personne ne réalisait qu’il y avait une sorte de guerre froide entre lui et moi.

Donc il y a eu pendant des années des dissensions au sein du Front Patriotique Rwandais ?

Oui, mais cela se passait entre les militaires. Les civils n’en savaient rien. Et il n’y avait pas que moi. D’autres aussi étaient mécontents. Certains en ont fait les frais. D’autres ont décidé de se taire pour toujours. C’est une question de choix. Si vous en parliez publiquement, ils vous pendaient haut et court. Certains sont morts, d’autres ont été jetés en prison, d’autres comme nous se sont retrouvés en exil. Et ça va continuer tant qu’il reste sur cette ligne.

Vous disiez que vous vous êtes opposés à la seconde guerre du Congo. Donc vous étiez favorable à la première ?

Oui, définitivement. Il y avait des raisons parfaitement légitimes de la mener. A cause de ce qui se passait de l’autre côté de la frontière, dans les camps, la réorganisation (ndlr : des ex-FAR-Interahamwe), soit on réglait le problème, soit ils allaient s’occuper de nous. Celle-là était légitime. Mobutu les soutenait. En ce qui concerne la deuxième guerre, il nous suffisait de parler, nous n’avions pas nécessairement besoin de nous battre. Et comme vous le voyez, nous n’avons obtenu aucun résultat. Nous en sommes toujours au même point. RCD, CNDP, M23. Il y aura probablement aussi un M27… Ca n’aide pas le Congo. Ca n’aide pas le Rwanda. Ca n’apporte que des souffrances dans la région.

Bosco Ntaganda qui était l’un des chefs du CNDP est devant la Cour pénale internationale. Est-ce que vous allez témoigner devant la cour ?

Je ne sais pas pourquoi je devrais le faire. Mais si la cour estime qu’elle peut apprendre quelque chose de moi, je coopérerai avec elle. Mais je crois que la CPI ne juge pas la bonne personne. Elle devrait traduire en justice Kagame et pas Ntaganda.

Pourquoi ?

Parce que c’est lui qui l’a choisi au Rwanda et l’a envoyé dans l’est du Congo. Alors pourquoi s’occuper des symptômes et pas de la maladie ?

Donc vous affirmez que Bosco Ntaganda est rwandais et pas congolais ?

Oui, bien sûr qu’il est rwandais. Il était dans l’armée rwandaise, on l’a choisi, envoyé auprès de Lubanga et on l’a approvisionné en armes. Donc quand il cause tous ces problèmes, le coupable, ça ne devrait pas être Ntaganda, mais Kagame. Ntaganda a juste été déployé. Donc ces événements sont de la responsabilité de son commandant.

De quel corps d’armée était-il issue ? Où était-il basé ?

Ce n’est pas comme si on en avait plusieurs. Il était des forces de défense rwandaise. Il était sous-officier. La plupart de ceux qui ont dirigé la rébellion venaient du Rwanda de toute façon. Ntaganda n’est pas un cas particulier. Nkunda, Ntaganda, ils ont été formés au Rwanda, mais ne se sont pas battus là. C’est pourquoi je dis qu’ils ne s’occupent pas des bonnes personnes. Ils étaient déployés, c’est tout

Bosco Ntaganda s’est enfui au Rwanda et a trouvé refuge à l’ambassade des Etats-Unis. Est-ce que c’était avec l’aide du gouvernement rwandais ?

Non, il voulait sauver sa peau. S’il s’était rendu au gouvernement rwandais, ça aurait été une toute autre histoire. Je ne pense pas qu’ils l’auraient remis à la Cour pénale internationale.

Pourquoi avez-vous fui le pays en 2007 ?

J’avais déjà testé la prison deux fois. Et j’ai été maintenu à l’isolement. Deux fois en deux ans. Quand je suis sorti, j’ai été amené au ministère de la Défense, j’ai été malmené par des officiers, or certains sont en prison aujourd’hui, d’autres ont des problèmes. Mais bon, le fait important, c’est qu’ils m’ont dit que Kagame allait s’occuper de moi définitivement. Ça en inquiétait tout de même certains. Ils m’ont dit que si je tenais à la vie, il fallait que je parte. Je n’avais pas de raison d’en douter. Donc je suis parti. Et en fait, c’était bien vrai. C’est qu’il a essayé de faire ici. C’est pour ça qu’on a tiré sur mon collègue (ndlr : le général Faustin Kayumba Nyamwasa). J’ai eu de la chance de m’en sortir sans aucune égratignure.

RFI

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