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J.-P. Mbelu
La première partie de cet article a été publiée avant que le député Jean Lucien Bussa ait conclu la question orale qu’il avait adressée au Premier Ministre Muzito. Cette conclusion a créé un débat sur ce qui serait considéré comme l’enrichissement illicite de Muzito si les faits soulevés venaient à être confirmés par une justice indépendante ( ?). Pour plus d’un compatriote ayant participé à ce débat, Muzito ne serait pas un bouc émissaire. Il ferait partie d’un réseau de criminels économiques et autres maffieux ayant décidé de mettre notre pays à genoux. Ces compatriotes reconduisent un lieu commun dans la mesure où les gouvernants actuels, à quelques exceptions près, sont une émanation du « conglomérat d’aventuriers » de l’AFDL ayant utilisé le processus (dit) démocratique pour se refaire une santé politique. Hélas ! Chasser le naturel, il revient au galop, dit-on.
En 2006, un Institut Néerlandais (Niza) publiait un texte dont le titre résumait la situation que notre pays connaissait pendant la transition (et cela jusqu’à ce jour). Ce texte était intitulé L’Etat contre le peuple. Ce texte notait ceci : « A tous les niveaux de l’appareil de l’Etat, la fonction publique est considérée comme un moyen d’acquérir fortune personnelle et privilèges. Pour les fonctionnaires de rang inférieur, qui sont sous-payés ou ne sont pas payés, la petite corruption est une stratégie pour survivre. Mais cette excuse ne vaut pas pour les pratiques corrompues des leaders du pays, qui portent une grave responsabilité dans la situation dont le prochain gouvernement héritera. »
Cette étude évaluant la période de la transition indiquait que « pendant toute la transition, les leaders de la RDC ont proclamé un attachement de pure forme aux bailleurs de fonds internationaux sur la question de la mauvaise gouvernance et la corruption. Mais dans la pratique, les principes clés de la bonne gouvernance- la participation, la responsabilité, la transparence- ont constamment été ignorés. Dès lors, l’opinion publique congolaise considère plus les mesures contre la corruption comme un instrument pour éliminer les adversaires politiques que comme un effort authentique pour servir les intérêts de la population. L’impunité, au lieu de la responsabilité, semble être la règle. »
Quatre ans après cette étude évaluant prioritairement la période transitoire, un autre document très fouillé, inspiré par les enquêtes de terrain vient confirmer le fait que notre pays est loin de voir le bout du tunnel. Dans Congo : l’enlisement du projet démocratique (si projet démocratique il y a eu ?), les chercheurs de Crisis Group reviennent entre autres sur la question de la corruption et titrent un sous point de leur étude : lutte anti-corruption contre justice. Traitant de la question de « l’assainissement de l’appareil judiciaire » après le renvoi de 80 magistrats le 31 juillet 2009 et de la mise en retraite de 1212 autres, Crisis Group note : « Alors que les magistrats sont ciblés et qu’il est devenu courant de payer des parlementaires pour faire voter des lois, susciter ou rejeter des motions contre les membres du gouvernement ou des gouvernements provinciaux, aucun des grands acteurs politiques impliqués dans des affaires de corruption n’est jamais inquiété. » Et il ajoute : « La lutte contre la corruption devient aussi une arme politique. A l’automne 2009, le seul gouverneur issu du MLC, José Makila, est renversé par une motion de censure de l’assemblée provinciale suscitée par la révélation d’une affaire de corruption tandis que le gouverneur du Nord Kivu fait l’objet d’une manœuvre identique qui échoue temporairement au début de l’année 2010. Dans les deux cas, l’accusation de corruption a surtout fait figure de prétexte pour évincer ou tenter d’évincer des gouverneurs gênants. » Quatre ans après 2006, Crisis Group fait un constat identique à celui de Niza : la lutte anti-corruption est une arme utilisée par les grands acteurs de la politique actuelle de notre pays contre leurs adversaires en marge de toute justice équitable et aux antipodes d’une éthique politique de la responsabilité, de la participation citoyenne et de la transparence dans la gestion de la chose commune. Et Muzito ferait partie de ces grands acteurs même si les grandes décisions politiques du pays sont prises par le gouvernement parallèle.
L’avantage qu’il y a à relire ces deux textes (que nous recommandons vivement à nos compatriotes soucieux de comprendre ce qui se passent chez nous depuis 1996) et de rester à l’écoute de certains de nos concitoyens est que cela nous aide à relire à nouveaux frais le mémo des honorables députés du Sud Kivu et à reposer certaines questions.
En écrivant leur mémo, nos députés ne cachent pas le fait qu’ils font partie de la majorité présidentielle. De toutes les façons, ils disent qu’ils ne sont pas de l’opposition et qu’ils ont contribué à l’élection de Joseph Kabila à 96% dans le Sud Kivu. Or, c’est un secret de polichinelle que de soutenir que tout au long de son règne, Joseph Kabila a participé l’enlisement du projet démocratique dans le paiement des parlementaires « pour faire voter des lois, susciter ou rejeter des motions contre les membres du gouvernement ou des gouvernements provinciaux ». Serait-il honnête que la franchise avec laquelle les députés du Sud-Kivu ont décidé de s’adresser à Muzito le 26 avril 2010 ne les conduisent pas à battre leur coulpe pour avoir contribué –si pas tous mais certains d’entre eux- à cet enlisement ? Avouons que le mémo des honorables députés et la première partie de cet article ont suscité un débat houleux dans les milieux des compatriotes qui essaient de lire et de rester attentifs à notre histoire. Une petite illustration.
S’en prenant à un compatriote soulignant la responsabilité des députés du Sud- Kivu dans la situation actuelle de l’est (et du pays), Mwalimu Kadari Mwene-Kabyana juge cela « malheureux, irresponsable et démagogique (…) ». Pour lui, l’exécutif est le seul coupable. Il ne semble pas établir le lien de complicité entre l’exécutif et le législatif tel que l’histoire immédiate de notre pays nous l’enseigne. Un autre compatriote, Emmanuel M.A. Nashi, après la lecture de la première partie de cet article m’écrit ce qui suit : « Merci pour ton texte que j’ai lu il y a trois jours. Je suis d’accord avec toi que non seulement les « dépités » se sont trompés de destinataire, mais aussi qu’ils doivent assumer ce qui s’est fait jusqu’à présent avec leur accord. La véritable préoccupation de ces « élus dépités aigris », on l’a bien compris, c’est que le régime redonne des postes aux Kivutiens, non parce que ceux-ci sont animés d’une quelconque volonté de changer les choses qu’ils dénoncent (à juste titre), mais pour que simplement ré-accéder à la mangeoire (…). » Dans un autre e-mail, notre ami Emmanuel ajoute : « J’aimerais surtout que tu soulignes l’idée suivante : on ne représente pas le Kivu (ou tout autre province) simplement parce qu’on est originaire de là-bas. Les personnes pour lesquelles plaident les députés parce qu’ils ont perdu leurs postes (Kamerhe, Bahati, Cishambo, etc.) ne représentent aucunement le peuple du Kivu, c’est-à-dire son opinion. S’il en était ainsi, ils auraient dû faire amende honorable pour avoir induit le peuple en erreur en l’appelant à voter pour Kabila dont ils se réalisent aujourd’hui qu’il les a trahis. Ils doivent donc assumer l’échec de la politique qu’ils fustigent aujourd’hui car depuis les élections, en tant que députés, ils ont manqué de courage chaque fois que l’intérêt supérieur de la nation était en jeu ; ils ne se sont jamais levés pour contredire la moindre décision prise par le PPRD et l’AMP. Et ce serait seulement à Muzito d’assumer tout aujourd’hui ? Et Kamerhe qui fut président de l’Assemblée nationale ! Son origine kivutienne devrait-elle suffire donc pour l’absoudre de ses manquements ? Puisque cette leçon n’est pas apprise, Kabila reprendra tous ces gens au moment des hypothétiques élections, et une fois dans les rangs, ils recommenceront les mêmes égarements ! En voilà encore d’autres qui regardent le doigt, plutôt que la lune… »
Ces lectures du mémo des députés du Sud-Kivu, malgré leur divergence, évoquent la question de la responsabilité politique des gouvernants actuels du pays. Devant qui répondent-ils des actes qu’ils posent au quotidien ? Faut-il attendre les élections pour sanctionner les cas de vols flagrants, de crimes de guerre, de crimes économiques, de crimes contre l’humanité et d’enrichissement illicite ? Faut-il attendre les élections de 2011 pour permuter les généraux et les autres officiers du CDNP semant la mort et la désolation à l’est de notre pays ?
Quelles sont les autorités indépendantes pouvant se trouver au-dessus de toutes les institutions actuelles du pays pour en être les juges? Il n’y en a pas jusqu’à ce jour. Les gouvernants actuels peuvent-ils répondre de leurs actes devant une justice politisée, prise en otage par « leur autorité morale », Joseph Kabila (et son gouvernement parallèle) ? L’expérience montre que non.
Nous ne le dirons jamais assez : le système politico-maffieux instauré chez nous depuis la guerre au cours de laquelle l’AFDL a servi de cheval de Troie doit être défait de fond en comble. Comment ? Pas en recourant au bâton de la rupture de l’aide au développement comme semble le proposer l’étude de l’ICG. Cette orientation a marqué ses limites. Les Congolais et les Congolaises doivent réfléchir – les minorités organisées le font déjà – sur l’indispensable rupture. Les élections hypothétiques de 2011 la réussiront-elles ? Nous en doutons sérieusement. Comment ceux qui refusent de répondre de leurs actes aujourd’hui et qui ont accumulé les moyens matériels de leurs actions corruptrices accepteront-ils de se soumettre du diktat de nos populations demain ? Peut-être faudra-t-il compter sur le long terme…Mais tous les compatriotes n’ont pas encore dit dernier mot…