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  • Ida Sawyer : « La fortune de Kabila peut être l’une des raisons qui le poussent à s’accrocher au pouvoir »

    Ida Sawyer : « La fortune de Kabila peut être l’une des raisons qui le poussent à s’accrocher au pouvoir »

    -De passage à Paris, Ida Saywer, directrice pour l’Afrique centrale de Human Rights Watch, est revenue vendredi pour Jeune Afrique sur les derniers rebondissements de la situation sécuritaire et politique en RDC, mais aussi sur l’état des droits de l’Homme dans le pays. Interview.

    Cela va faire bientôt 10 ans depuis qu’elle travaille sur la RD Congo. Jusqu’à peu, elle était même la représentante de Human Rights Watch dans le pays, avant d’être nommée, fin octobre, directrice pour l’Afrique centrale de l’ONG internationale des droits de l’Homme. Mais c’est désormais depuis Bruxelles qu’Ida Sawyer observe ce qu’il se passe en RD Congo. Et pour cause : en janvier dernier, elle a été reconduite à la frontière et son visa annulé. De passage à Paris, Ida Saywer a accepté de répondre aux questions de Jeune Afrique.

    Jeune Afrique : Après l’annulation de votre visa en janvier par les autorités congolaises, peut-on dire que vous êtes persona non grata en RD Congo ?

    Ida Sawyer : Officiellement, je n’ai pas reçu le statut de persona non grata. Les autorités congolaises ont refusé de renouveler mon visa en août. J’ai pu avoir un visa par la suite, mais une semaine après mon arrivée dans le pays en janvier il a été annulé. Pour Kinshasa, je suis un cas spécial. Il me faut donc une autorisation spéciale, que je n’ai toujours pas reçue pour pouvoir rentrer en RD Congo.

    On assiste  à une aggravation horrible de la situation des droits humains en RD Congo

    Après votre départ, le pays a connu ces derniers mois une recrudescence d’actes de violences, caractérisée notamment par des affrontements au Kasaï, des attaques ciblées des parquets…

    Depuis mon départ en août, on assiste en effet à une aggravation horrible de la situation des droits humains à travers le pays. La répression politique se poursuit. Des arrestations des activistes, des étudiants, des opposants et de leurs proches nous sont signalées chaque jour. De fait, les mesures de décrispation voulues par l’accord de la Saint-Sylvestre n’ont presque pas été appliquées jusqu’à aujourd’hui.

    Aussi faut-il souligner que la situation sécuritaire au Kasaï est très alarmante à cause de la force excessive utilisée par les forces de sécurité déployées dans la région et de la violence des éléments de Kamuina Nsapu mais aussi d’autres milices qui sont soutenues par le gouvernement. Pis, aujourd’hui, nous ne voyons pas suffisamment de volonté politique de la part des autorités congolaises pour mettre fin à cette violence.

    Le RD Congo se dirige vers la militarisation de la police

    Comment interprétez-vous la récente décision du président Joseph Kabila de remplacer le commissaire général de la police national et celui en charge de la ville de Kinshasa ?

    Symboliquement, ces remplacements démontrent que le pays se dirige vers la militarisation de la police. Le fait de nommer comme commissaire général de la police un officier qui était chef d’état-major adjoint chargé des opérations au sein de l’armée, c’est un très mauvais signal. Cela voudrait dire que les forces de la police qui ont une responsabilité de protéger la population et de maintenir l’ordre public sont désormais contrôlés par un militaire. Et ces nominations sont intervenues deux jours après la sortie médiatique de Patrick Nkanga, président de la jeunesse du PPRD [Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie, au pouvoir] qui a préconisé l’instauration d’un état d’urgence en RD Congo.

    Pensez-vous que ces nominations à la tête de la police peuvent être vues comme une première étape vers l’instauration d’un état d’urgence dans le pays ?

    Il nous semble en effet que c’est un pas vers l’état d’urgence. Notre inquiétude est que cette éventuelle instauration de l’état d’urgence ne soit utilisée pour justifier plus de répression, plus d’interdiction de manifester, plus de restriction à la liberté d’expression et ne constitue une nouvelle excuse pour retarder davantage le processus électoral.

    À Genève pourtant, le groupe africain a retenu la RD Congo comme future membre du Conseil des droits de l’homme. Comprenez-vous ce soutien ?

    C’est une grande déception. Au moment où l’on assiste à cette aggravation de la situation des droits de l’homme au pays, y compris des violences perpétrées par les forces de sécurité gouvernementales, nous ne pensons pas que la RD Congo mérite une place aujourd’hui au sein du Conseil des droits de l’homme.

    Y-a-t-il une issue à la crise politique en cours en RD Congo ?

    Ce qui manque aujourd’hui c’est une volonté politique réelle d’organiser les élections et d’assurer une transition pacifique et démocratique à la tête du pays. Jusqu’ici, le président Kabila n’a pas montré un signal pour dire qu’il est prêt à partir. On assiste plutôt à une excuse avancée après l’autre pour retarder le processus électoral.

    Les sanctions internationales contre les proches de Joseph Kabila peuvent-elles constituer un moyen de pression efficace pour faire aboutir à ce processus démocratique ?

    Les sanctions ciblées jouent un rôle important. Elles démontrent qu’il y a des conséquences personnelles pour tous ceux qui sont impliqués dans les violences et à la répression politique. Nous espérons qu’elles peuvent aider à dissuader la commission d’autres violences et à convaincre certaines autorités de ne pas continuer dans la même dynamique. Contrairement au Burundi, les autorités congolaises voyagent beaucoup à Paris, Bruxelles, Londres voire aux États-Unis. Beaucoup de leurs membres de familles habitent ou étudient à l’étranger. Les sanctions internationales les affectent donc personnellement.

    C’est inquiétant d’utiliser la Garde républicaine à des fins privées

    En attendant, des révélations s’enchaînent ces dernières semaines sur l’immense fortune de la famille Kabila…

    Il en ressort un manque de transparence presque totale dans la gestion des affaires de la famille présidentielle. Ce qui nous inquiète, à Human Rights Watch, c’est aussi l’utilisation de la Garde républicaine à des fins privées, en occurrence pour protéger les biens (champs, mines,etc.) des membres de la famille présidentielle.

    Toutes ces révélations démontrent aussi que la famille Kabila possède énormément d’intérêts financiers au pays. Cela peut être l’une des raisons qui poussent le président à s’accrocher au pouvoir. C’est un élément très important à prendre en compte dans l’analyse des voies de sortie de crise en RD Congo.

    Faudrait-il garantir à Joseph Kabila une certaine immunité ?

    Ce n’est pas à Human Right Watch de faire une telle proposition. Nous essayons plutôt de comprendre pourquoi le président Joseph Kabila ne veut pas quitter le pouvoir. La richesse qu’il a accumulée au pouvoir constitue donc un élément important de l’analyse.

    Avec JA

  • Interview-Etienne Tshisekedi : « Pour les jeunes, je suis un exemple »

    Interview-Etienne Tshisekedi : « Pour les jeunes, je suis un exemple »

    celebration-anniversaire-tshisekedi3-L’entretien n’a duré qu’une dizaine de minutes. C’est en pantoufles, entouré de son épouse, de son secrétaire particulier, l’abbé Théodore, et de Raphaël Katebe Katoto, le frère aîné de Moïse Katumbi, qu’Etienne Tshisekedi nous a reçus dans la chambre 218 de Château du Lac à Genval. Le luxueux hôtel, situé à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Bruxelles, abritait les 8 et 9 juin le « conclave » de l’opposition au président congolais Joseph Kabila. Le vieux leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), qui se déplace difficilement, a introduit et conclu le rassemblement. « Le président est fatigué », confie son secrétaire.

    Etes-vous satisfait de la tournure qu’a pris la réunion ?

    Etienne Tshisekedi Absolument, absolument… Je suis ça de très près et je suis satisfait.

    Vous pensez que l’opposition va réussir à constituer un front uni face à Joseph Kabila ?

    Absolument. Ce n’est pas pour rien qu’ils sont là.

    Regrettez-vous l’absence de Vital Kamerhe, président de l’Union pour la nation congolaise et poids lourd de la Dynamique de l’opposition ?

    Non, non, non. Ça ne change absolument rien.

    Est-ce que vous vous imaginez en président d’une éventuelle transition ?

    C’est ce que je suis, oui.

    Vous pensez en avoir les moyens ?

    Absolument, absolument. Je suis prêt, je me suis apprêté à ça.

    Vous êtes quand même un peu malade…

    Non, non, non. La maladie, c’est terminé.

    [L’abbé Théodore confirme : « Il était malade, c’est fini. »]

    Ne craignez-vous pas d’être manipulé par d’autres figures de l’opposition qui utiliserait votre poids politique pour servir leurs propres ambitions ?

    Non, enfin je ne sais pas…

    [L’abbé Théodore précise : « On est vigilant. »]

    Nous sommes décidés à être ensemble et à faire partir Kabila le jour où il doit partir, c’est-à-dire le 19 décembre.

    Et s’il est toujours au pouvoir le 20 décembre, que ferez-vous ?

    Peu importe, retenez simplement… [M. Tshisekedi ne termine pas sa phrase]

    Seriez-vous prêt à mobiliser vos partisans, à leur dire de descendre dans la rue ?

    [L’abbé Théodore risque un : « C’est ça… »]

    Il y a beaucoup de moyens.

    [Raphaël Katebe Katoto ajoute : « La Constitution nous y autorise. Et je voudrais ajouter une chose : le président est assez grand, c’est un vieux routier, il connaît tout le monde. Si quelqu’un essayait de l’utiliser pour d’autres fins, il saurait quoi faire. »]

    Vous avez connu et résisté à Mobutu…

    Oui, voilà. (Rires.)

    … vous avez connu les Kabila père et fils et leur avez résisté aussi.

    Absolument.

    N’avez-vous pas créé un métier, celui d’opposant à vie ?

    Non… A vie, à vie… J’ai le résultat tout prêt là-bas. Il fallait absolument résister contre toutes ces manœuvres parce que je savais que la démocratie finirait par s’introduire au Congo.

    Pensez-vous que ce moment est venu ?

    Absolument, absolument, absolument. Le peuple est mûr et tout est prêt. Il n’y a pas de problème. Je vous fais savoir que Kabila a volé ma victoire le 28 décembre 2011. Il n’était rien, il n’était rien ! Il a des militaires, c’est comme ça qu’il a fait.

    Après autant d’années passées en politique, avez-vous des regrets ?

    Non, sinon je ne vivrais que de ça. Nous allons de l’avant.

    Vous avez 83 ans. Si vous deveniez président de transition, n’y aurait-il pas un décalage entre vous et la population congolaise, dont plus de la moitié à moins de 15 ans ?

    Non, parce que ces jeunes-là connaissent mon histoire. Je suis le seul à résister constamment. Tous ces jeunes veulent mon exemple.

    [Raphaël Katebe Katoto renchérit : « Le président Tshisekedi, c’est leur modèle, ils se retrouvent en lui, dans ses valeurs. Le combat qu’il a mené pendant des années, c’est la référence pour les Congolais. Il n’est pas en décalage. Ces gens-là sont derrière lui. L’homme de la situation, celui qui va sauver le pays, c’est lui. Le sauveur du Congo, c’est lui. Il n’y a pas d’autre issue. »]

    A quoi ressemblerait le Congo dirigé par Etienne Tshisekedi ?

    Ce sera le développement, la vraie justice, l’Etat de droit. Les investisseurs n’attendent que ça. Les Congolais seront avec moi pour que chacun prenne ses responsabilités. Nous avons cinquante-sept ans de recul, de misère et tout ça. Tout le monde comprendra qu’il ne faut plus voler, qu’il faut rendre.

    Vous vivez en Belgique depuis 2014. A quoi occupez-vous votre temps ? Comment restez-vous en prise avec ce qui se passe en RDC ?

    Je reçois tout le temps et j’ai les gens au téléphone.

    [Mme Tshisekedi précise : « Ici c’est bien parce que c’est tranquille. Il travaille très bien. »]

    La question de votre succession à la tête de l’UDPS se posera un jour. Comptez-vous léguer le parti à votre fils Félix ?

    Je préside un parti qui est tout à fait démocratique. Je disparais et il y a des délais pour organiser un congrès. Si jamais les Congolais pensent que c’est à Félix de me succéder, il me succédera.

    Pensez-vous que le candidat à la présidentielle Moïse Katumbi ferait un bon président du Congo ?

    Je me réserve. C’est une question pour le futur.

    Le Monde

  • Joseph Kabila est dans les cordes. Il n’a plus de soutien, meme au Katanga d’où il est originaire

    Joseph Kabila est dans les cordes. Il n’a plus de soutien, meme au Katanga d’où il est originaire

    DRC government_torture Kabila–  Pour Jean Omasombo, on est au bout des tentatives de Kabila pour rester au pouvoir.
    La multiplication des projets gouvernementaux congolais destinés à maintenir le président Kabila au pouvoir au-delà du terme de son second et dernier mandat en décembre 2016 a profondément ébranlé la société congolaise. Le dernier en date l’organisation d’un “ Dialogue national ” destiné à modifier le système électoral, a suscité une levée de boucliers (“La Libre” 1er décembre).

    Où tout cela mène-t-il le Congo ?
    Pour le comprendre, “La Libre Belgique” a interrogé le politologue Jean Omasombo, chercheur au Musée d’Afrique central à Tervuren et professeur à l’université de Kinshasa.
    Vu l’importance de l’opposition au projet de Dialogue de M. Kabila, celui-ci est-il enterré ?
    Même si le mot “dialogue” est aujourd’hui galvaudé au Congo, je pense qu’on finira par en avoir un, quel que soit le nom qu’on voudra lui donner. Mais cela nécessite qu’on sorte du schéma fixé par le président Kabila, au risque de vider l’Etat congolais de sa substance et de retourner à l’ère Mobutu.

    Expliquez-vous…
    Depuis 2013, Kabila cherche une issue lui permettant de rester au pouvoir. Avec ce schéma, on revient à Mobutu parceque, comme à cette époque, on ramène l’Etat aux intérêts et à la volonté de l’individu au pouvoir.
    Sa dernière démarche, amenant la mise en place forcée et non préparée de nouvelles provinces, a fini par lui coûter la décomposition de son camp politique, avec la sortie du G7 (NdlR : dissidents de la majorité présidentielle).
    Sur un autre dossier majeur, celui des élections locales, Kabila ne semble avoir ni la volonté, ni la capacité de les organiser. Alors que, selon la Constitution, il aurait dû lancer la décentralisation en 2009. Or il ne s’en est occupé qu’en 2015. Et sur les 21 “commissaires spéciaux” qu’il a nommés à la tête des 21 nouvelles provinces, quatorze sont de son parti, le PPRD, et sept de partis alliés…
    L’insistance du camp Kabila à organiser ce “Dialogue national” est sa dernière grosse manœuvre possible, après une série d’échecs.
    Quel type de dialogue est nécessaire ?
    Certaines des décisions récentes du pouvoir comme les 21 nouvelles provinces ont compliqué la marche du pays; ainsi l’Ituri ne veut pas revenir en arrière et cesser d’être une province, même s’il rejette les commissaires spéciaux. Dans ce contexte, il faut se recentrer sur le fondamental. L’impératif, aujourd’hui, est connu : la tenue de l’élection présidentielle, dans le cadre de la Constitution, avant la fin 2016.
    C’est la principale élection. Et elle peut être liée à l’élection des députés nationaux et à celle des députés provinciaux, ces derniers élisant indirectement les sénateurs nationaux et les exécutifs provinciaux. Cela permettrait d’asseoir les nouvelles provinces.
    Un cadre, qu’on peut appeler dialogue, est nécessaire pour éclaircir l’évolution politique, embrouillée par les décisions contradictories de ces dernières années et en raison de la faiblesse de la Ceni (Commission électorale nationale indépendante), qui ne maîtrise plus rien.

    En quoi ce dialogue-là serait-il différent du “Dialogue national” de Kabila ?
    Ce dernier veut qu’on modifie la Constitution pour changer le mode électoral afin de survivre lui même. Il veut rattraper le retard qu’il a volontairement ou par incapacité fait prendre sur les exigences de la Constitution. Et l’opposition, qui s’étoffe, veut trouver sa force dans la rue, qui a clairement exprimé, lors des émeutes de janvier, son refus de voir Joseph Kabila se prolonger au pouvoir.
    Seule la Dynamique de l’opposition (NdlR : les principaux partis d’opposition, sauf l’UDPS) est peu favorable au dialogue, préférant s’appuyer sur l’opinion publique pour accélérer le processus de départ de Joseph Kabila. L’Eglise et le G7 devraient être favorables à une forme de dialogue. Tout comme la communauté internationale. Joseph Kabila est dans les cordes. Contrairement au président du Burundi, il n’a plus de soutien, même au Katanga d’où il est originaire.

    Quelles possibilités lui reste-t-il ?
    Vu le temps qui lui reste avant la fin 2016, il pourrait jouer là sa dernière partie. Sa course devient de plus en plus difficile mais, en même temps, il ne peut plus reculer : il n’a jamais préparé sa succession. Ses alliés ne sont que des appuis de circonstance, sans cohésion.
    Le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, évoque de possibles violences…
    C’est parce que le camp presidential s’aperçoit que l’opinion publique ne lui est pas favorable. Lambert Mende a mis en avant le modèle rwandais de développement contre la démocratie; mais Kabila ne peut amener ni l’un ni l’autre.

    Que va-t-il arriver, maintenant ?
    Il y a trois issues possibles.
    1) Kabila arrive à mettre la Constitution de côté et à rester au pouvoir; c’est peu probable. 2)Un dialogue dans le cadre de la Constitution permet au pays d’avoir un nouveau Président fin 2016
    3) Il y a une confrontation entre les deux camps, qui amène la chute de Kabila.
    Joseph Kabila est dans les cordes.
    Contrairement au president du Burundi, il n’a plus de soutien, meme au Katanga d’où il est originaire […] Il pourrait jouer là sa dernière partie.
    Jean Omasombo, politologue et professeur à Kinshasa.
    MARTIN D’HAESE
    Entretien Marie-France Cros