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  • Ida Sawyer : « La fortune de Kabila peut être l’une des raisons qui le poussent à s’accrocher au pouvoir »

    Ida Sawyer : « La fortune de Kabila peut être l’une des raisons qui le poussent à s’accrocher au pouvoir »

    -De passage à Paris, Ida Saywer, directrice pour l’Afrique centrale de Human Rights Watch, est revenue vendredi pour Jeune Afrique sur les derniers rebondissements de la situation sécuritaire et politique en RDC, mais aussi sur l’état des droits de l’Homme dans le pays. Interview.

    Cela va faire bientôt 10 ans depuis qu’elle travaille sur la RD Congo. Jusqu’à peu, elle était même la représentante de Human Rights Watch dans le pays, avant d’être nommée, fin octobre, directrice pour l’Afrique centrale de l’ONG internationale des droits de l’Homme. Mais c’est désormais depuis Bruxelles qu’Ida Sawyer observe ce qu’il se passe en RD Congo. Et pour cause : en janvier dernier, elle a été reconduite à la frontière et son visa annulé. De passage à Paris, Ida Saywer a accepté de répondre aux questions de Jeune Afrique.

    Jeune Afrique : Après l’annulation de votre visa en janvier par les autorités congolaises, peut-on dire que vous êtes persona non grata en RD Congo ?

    Ida Sawyer : Officiellement, je n’ai pas reçu le statut de persona non grata. Les autorités congolaises ont refusé de renouveler mon visa en août. J’ai pu avoir un visa par la suite, mais une semaine après mon arrivée dans le pays en janvier il a été annulé. Pour Kinshasa, je suis un cas spécial. Il me faut donc une autorisation spéciale, que je n’ai toujours pas reçue pour pouvoir rentrer en RD Congo.

    On assiste  à une aggravation horrible de la situation des droits humains en RD Congo

    Après votre départ, le pays a connu ces derniers mois une recrudescence d’actes de violences, caractérisée notamment par des affrontements au Kasaï, des attaques ciblées des parquets…

    Depuis mon départ en août, on assiste en effet à une aggravation horrible de la situation des droits humains à travers le pays. La répression politique se poursuit. Des arrestations des activistes, des étudiants, des opposants et de leurs proches nous sont signalées chaque jour. De fait, les mesures de décrispation voulues par l’accord de la Saint-Sylvestre n’ont presque pas été appliquées jusqu’à aujourd’hui.

    Aussi faut-il souligner que la situation sécuritaire au Kasaï est très alarmante à cause de la force excessive utilisée par les forces de sécurité déployées dans la région et de la violence des éléments de Kamuina Nsapu mais aussi d’autres milices qui sont soutenues par le gouvernement. Pis, aujourd’hui, nous ne voyons pas suffisamment de volonté politique de la part des autorités congolaises pour mettre fin à cette violence.

    Le RD Congo se dirige vers la militarisation de la police

    Comment interprétez-vous la récente décision du président Joseph Kabila de remplacer le commissaire général de la police national et celui en charge de la ville de Kinshasa ?

    Symboliquement, ces remplacements démontrent que le pays se dirige vers la militarisation de la police. Le fait de nommer comme commissaire général de la police un officier qui était chef d’état-major adjoint chargé des opérations au sein de l’armée, c’est un très mauvais signal. Cela voudrait dire que les forces de la police qui ont une responsabilité de protéger la population et de maintenir l’ordre public sont désormais contrôlés par un militaire. Et ces nominations sont intervenues deux jours après la sortie médiatique de Patrick Nkanga, président de la jeunesse du PPRD [Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie, au pouvoir] qui a préconisé l’instauration d’un état d’urgence en RD Congo.

    Pensez-vous que ces nominations à la tête de la police peuvent être vues comme une première étape vers l’instauration d’un état d’urgence dans le pays ?

    Il nous semble en effet que c’est un pas vers l’état d’urgence. Notre inquiétude est que cette éventuelle instauration de l’état d’urgence ne soit utilisée pour justifier plus de répression, plus d’interdiction de manifester, plus de restriction à la liberté d’expression et ne constitue une nouvelle excuse pour retarder davantage le processus électoral.

    À Genève pourtant, le groupe africain a retenu la RD Congo comme future membre du Conseil des droits de l’homme. Comprenez-vous ce soutien ?

    C’est une grande déception. Au moment où l’on assiste à cette aggravation de la situation des droits de l’homme au pays, y compris des violences perpétrées par les forces de sécurité gouvernementales, nous ne pensons pas que la RD Congo mérite une place aujourd’hui au sein du Conseil des droits de l’homme.

    Y-a-t-il une issue à la crise politique en cours en RD Congo ?

    Ce qui manque aujourd’hui c’est une volonté politique réelle d’organiser les élections et d’assurer une transition pacifique et démocratique à la tête du pays. Jusqu’ici, le président Kabila n’a pas montré un signal pour dire qu’il est prêt à partir. On assiste plutôt à une excuse avancée après l’autre pour retarder le processus électoral.

    Les sanctions internationales contre les proches de Joseph Kabila peuvent-elles constituer un moyen de pression efficace pour faire aboutir à ce processus démocratique ?

    Les sanctions ciblées jouent un rôle important. Elles démontrent qu’il y a des conséquences personnelles pour tous ceux qui sont impliqués dans les violences et à la répression politique. Nous espérons qu’elles peuvent aider à dissuader la commission d’autres violences et à convaincre certaines autorités de ne pas continuer dans la même dynamique. Contrairement au Burundi, les autorités congolaises voyagent beaucoup à Paris, Bruxelles, Londres voire aux États-Unis. Beaucoup de leurs membres de familles habitent ou étudient à l’étranger. Les sanctions internationales les affectent donc personnellement.

    C’est inquiétant d’utiliser la Garde républicaine à des fins privées

    En attendant, des révélations s’enchaînent ces dernières semaines sur l’immense fortune de la famille Kabila…

    Il en ressort un manque de transparence presque totale dans la gestion des affaires de la famille présidentielle. Ce qui nous inquiète, à Human Rights Watch, c’est aussi l’utilisation de la Garde républicaine à des fins privées, en occurrence pour protéger les biens (champs, mines,etc.) des membres de la famille présidentielle.

    Toutes ces révélations démontrent aussi que la famille Kabila possède énormément d’intérêts financiers au pays. Cela peut être l’une des raisons qui poussent le président à s’accrocher au pouvoir. C’est un élément très important à prendre en compte dans l’analyse des voies de sortie de crise en RD Congo.

    Faudrait-il garantir à Joseph Kabila une certaine immunité ?

    Ce n’est pas à Human Right Watch de faire une telle proposition. Nous essayons plutôt de comprendre pourquoi le président Joseph Kabila ne veut pas quitter le pouvoir. La richesse qu’il a accumulée au pouvoir constitue donc un élément important de l’analyse.

    Avec JA

  • Interview-Etienne Tshisekedi : « Pour les jeunes, je suis un exemple »

    Interview-Etienne Tshisekedi : « Pour les jeunes, je suis un exemple »

    celebration-anniversaire-tshisekedi3-L’entretien n’a duré qu’une dizaine de minutes. C’est en pantoufles, entouré de son épouse, de son secrétaire particulier, l’abbé Théodore, et de Raphaël Katebe Katoto, le frère aîné de Moïse Katumbi, qu’Etienne Tshisekedi nous a reçus dans la chambre 218 de Château du Lac à Genval. Le luxueux hôtel, situé à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Bruxelles, abritait les 8 et 9 juin le « conclave » de l’opposition au président congolais Joseph Kabila. Le vieux leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), qui se déplace difficilement, a introduit et conclu le rassemblement. « Le président est fatigué », confie son secrétaire.

    Etes-vous satisfait de la tournure qu’a pris la réunion ?

    Etienne Tshisekedi Absolument, absolument… Je suis ça de très près et je suis satisfait.

    Vous pensez que l’opposition va réussir à constituer un front uni face à Joseph Kabila ?

    Absolument. Ce n’est pas pour rien qu’ils sont là.

    Regrettez-vous l’absence de Vital Kamerhe, président de l’Union pour la nation congolaise et poids lourd de la Dynamique de l’opposition ?

    Non, non, non. Ça ne change absolument rien.

    Est-ce que vous vous imaginez en président d’une éventuelle transition ?

    C’est ce que je suis, oui.

    Vous pensez en avoir les moyens ?

    Absolument, absolument. Je suis prêt, je me suis apprêté à ça.

    Vous êtes quand même un peu malade…

    Non, non, non. La maladie, c’est terminé.

    [L’abbé Théodore confirme : « Il était malade, c’est fini. »]

    Ne craignez-vous pas d’être manipulé par d’autres figures de l’opposition qui utiliserait votre poids politique pour servir leurs propres ambitions ?

    Non, enfin je ne sais pas…

    [L’abbé Théodore précise : « On est vigilant. »]

    Nous sommes décidés à être ensemble et à faire partir Kabila le jour où il doit partir, c’est-à-dire le 19 décembre.

    Et s’il est toujours au pouvoir le 20 décembre, que ferez-vous ?

    Peu importe, retenez simplement… [M. Tshisekedi ne termine pas sa phrase]

    Seriez-vous prêt à mobiliser vos partisans, à leur dire de descendre dans la rue ?

    [L’abbé Théodore risque un : « C’est ça… »]

    Il y a beaucoup de moyens.

    [Raphaël Katebe Katoto ajoute : « La Constitution nous y autorise. Et je voudrais ajouter une chose : le président est assez grand, c’est un vieux routier, il connaît tout le monde. Si quelqu’un essayait de l’utiliser pour d’autres fins, il saurait quoi faire. »]

    Vous avez connu et résisté à Mobutu…

    Oui, voilà. (Rires.)

    … vous avez connu les Kabila père et fils et leur avez résisté aussi.

    Absolument.

    N’avez-vous pas créé un métier, celui d’opposant à vie ?

    Non… A vie, à vie… J’ai le résultat tout prêt là-bas. Il fallait absolument résister contre toutes ces manœuvres parce que je savais que la démocratie finirait par s’introduire au Congo.

    Pensez-vous que ce moment est venu ?

    Absolument, absolument, absolument. Le peuple est mûr et tout est prêt. Il n’y a pas de problème. Je vous fais savoir que Kabila a volé ma victoire le 28 décembre 2011. Il n’était rien, il n’était rien ! Il a des militaires, c’est comme ça qu’il a fait.

    Après autant d’années passées en politique, avez-vous des regrets ?

    Non, sinon je ne vivrais que de ça. Nous allons de l’avant.

    Vous avez 83 ans. Si vous deveniez président de transition, n’y aurait-il pas un décalage entre vous et la population congolaise, dont plus de la moitié à moins de 15 ans ?

    Non, parce que ces jeunes-là connaissent mon histoire. Je suis le seul à résister constamment. Tous ces jeunes veulent mon exemple.

    [Raphaël Katebe Katoto renchérit : « Le président Tshisekedi, c’est leur modèle, ils se retrouvent en lui, dans ses valeurs. Le combat qu’il a mené pendant des années, c’est la référence pour les Congolais. Il n’est pas en décalage. Ces gens-là sont derrière lui. L’homme de la situation, celui qui va sauver le pays, c’est lui. Le sauveur du Congo, c’est lui. Il n’y a pas d’autre issue. »]

    A quoi ressemblerait le Congo dirigé par Etienne Tshisekedi ?

    Ce sera le développement, la vraie justice, l’Etat de droit. Les investisseurs n’attendent que ça. Les Congolais seront avec moi pour que chacun prenne ses responsabilités. Nous avons cinquante-sept ans de recul, de misère et tout ça. Tout le monde comprendra qu’il ne faut plus voler, qu’il faut rendre.

    Vous vivez en Belgique depuis 2014. A quoi occupez-vous votre temps ? Comment restez-vous en prise avec ce qui se passe en RDC ?

    Je reçois tout le temps et j’ai les gens au téléphone.

    [Mme Tshisekedi précise : « Ici c’est bien parce que c’est tranquille. Il travaille très bien. »]

    La question de votre succession à la tête de l’UDPS se posera un jour. Comptez-vous léguer le parti à votre fils Félix ?

    Je préside un parti qui est tout à fait démocratique. Je disparais et il y a des délais pour organiser un congrès. Si jamais les Congolais pensent que c’est à Félix de me succéder, il me succédera.

    Pensez-vous que le candidat à la présidentielle Moïse Katumbi ferait un bon président du Congo ?

    Je me réserve. C’est une question pour le futur.

    Le Monde

  • Joseph Kabila est dans les cordes. Il n’a plus de soutien, meme au Katanga d’où il est originaire

    Joseph Kabila est dans les cordes. Il n’a plus de soutien, meme au Katanga d’où il est originaire

    DRC government_torture Kabila–  Pour Jean Omasombo, on est au bout des tentatives de Kabila pour rester au pouvoir.
    La multiplication des projets gouvernementaux congolais destinés à maintenir le président Kabila au pouvoir au-delà du terme de son second et dernier mandat en décembre 2016 a profondément ébranlé la société congolaise. Le dernier en date l’organisation d’un “ Dialogue national ” destiné à modifier le système électoral, a suscité une levée de boucliers (“La Libre” 1er décembre).

    Où tout cela mène-t-il le Congo ?
    Pour le comprendre, “La Libre Belgique” a interrogé le politologue Jean Omasombo, chercheur au Musée d’Afrique central à Tervuren et professeur à l’université de Kinshasa.
    Vu l’importance de l’opposition au projet de Dialogue de M. Kabila, celui-ci est-il enterré ?
    Même si le mot “dialogue” est aujourd’hui galvaudé au Congo, je pense qu’on finira par en avoir un, quel que soit le nom qu’on voudra lui donner. Mais cela nécessite qu’on sorte du schéma fixé par le président Kabila, au risque de vider l’Etat congolais de sa substance et de retourner à l’ère Mobutu.

    Expliquez-vous…
    Depuis 2013, Kabila cherche une issue lui permettant de rester au pouvoir. Avec ce schéma, on revient à Mobutu parceque, comme à cette époque, on ramène l’Etat aux intérêts et à la volonté de l’individu au pouvoir.
    Sa dernière démarche, amenant la mise en place forcée et non préparée de nouvelles provinces, a fini par lui coûter la décomposition de son camp politique, avec la sortie du G7 (NdlR : dissidents de la majorité présidentielle).
    Sur un autre dossier majeur, celui des élections locales, Kabila ne semble avoir ni la volonté, ni la capacité de les organiser. Alors que, selon la Constitution, il aurait dû lancer la décentralisation en 2009. Or il ne s’en est occupé qu’en 2015. Et sur les 21 “commissaires spéciaux” qu’il a nommés à la tête des 21 nouvelles provinces, quatorze sont de son parti, le PPRD, et sept de partis alliés…
    L’insistance du camp Kabila à organiser ce “Dialogue national” est sa dernière grosse manœuvre possible, après une série d’échecs.
    Quel type de dialogue est nécessaire ?
    Certaines des décisions récentes du pouvoir comme les 21 nouvelles provinces ont compliqué la marche du pays; ainsi l’Ituri ne veut pas revenir en arrière et cesser d’être une province, même s’il rejette les commissaires spéciaux. Dans ce contexte, il faut se recentrer sur le fondamental. L’impératif, aujourd’hui, est connu : la tenue de l’élection présidentielle, dans le cadre de la Constitution, avant la fin 2016.
    C’est la principale élection. Et elle peut être liée à l’élection des députés nationaux et à celle des députés provinciaux, ces derniers élisant indirectement les sénateurs nationaux et les exécutifs provinciaux. Cela permettrait d’asseoir les nouvelles provinces.
    Un cadre, qu’on peut appeler dialogue, est nécessaire pour éclaircir l’évolution politique, embrouillée par les décisions contradictories de ces dernières années et en raison de la faiblesse de la Ceni (Commission électorale nationale indépendante), qui ne maîtrise plus rien.

    En quoi ce dialogue-là serait-il différent du “Dialogue national” de Kabila ?
    Ce dernier veut qu’on modifie la Constitution pour changer le mode électoral afin de survivre lui même. Il veut rattraper le retard qu’il a volontairement ou par incapacité fait prendre sur les exigences de la Constitution. Et l’opposition, qui s’étoffe, veut trouver sa force dans la rue, qui a clairement exprimé, lors des émeutes de janvier, son refus de voir Joseph Kabila se prolonger au pouvoir.
    Seule la Dynamique de l’opposition (NdlR : les principaux partis d’opposition, sauf l’UDPS) est peu favorable au dialogue, préférant s’appuyer sur l’opinion publique pour accélérer le processus de départ de Joseph Kabila. L’Eglise et le G7 devraient être favorables à une forme de dialogue. Tout comme la communauté internationale. Joseph Kabila est dans les cordes. Contrairement au président du Burundi, il n’a plus de soutien, même au Katanga d’où il est originaire.

    Quelles possibilités lui reste-t-il ?
    Vu le temps qui lui reste avant la fin 2016, il pourrait jouer là sa dernière partie. Sa course devient de plus en plus difficile mais, en même temps, il ne peut plus reculer : il n’a jamais préparé sa succession. Ses alliés ne sont que des appuis de circonstance, sans cohésion.
    Le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, évoque de possibles violences…
    C’est parce que le camp presidential s’aperçoit que l’opinion publique ne lui est pas favorable. Lambert Mende a mis en avant le modèle rwandais de développement contre la démocratie; mais Kabila ne peut amener ni l’un ni l’autre.

    Que va-t-il arriver, maintenant ?
    Il y a trois issues possibles.
    1) Kabila arrive à mettre la Constitution de côté et à rester au pouvoir; c’est peu probable. 2)Un dialogue dans le cadre de la Constitution permet au pays d’avoir un nouveau Président fin 2016
    3) Il y a une confrontation entre les deux camps, qui amène la chute de Kabila.
    Joseph Kabila est dans les cordes.
    Contrairement au president du Burundi, il n’a plus de soutien, meme au Katanga d’où il est originaire […] Il pourrait jouer là sa dernière partie.
    Jean Omasombo, politologue et professeur à Kinshasa.
    MARTIN D’HAESE
    Entretien Marie-France Cros

  • Pierre Péan: «Le fait qu’Ali Bongo soit d’origine biafraise n’est pas un scoop»

    Pierre Péan: «Le fait qu’Ali Bongo soit d’origine biafraise n’est pas un scoop»

    Bongo-Ali-On l’a appris hier, lundi 10 novembre, le Gabon dépose plainte contre le dernier livre de Pierre Péan, dans lequel il est écrit que le président Ali Bongo aurait été un enfant nigérian adopté par Omar Bongo pendant la guerre du Biafra. Pierre Péan connaît bien le Gabon. Dans sa jeunesse, l’essayiste français y a vécu deux ans. En 1983, il a publié un premier livre sur ce pays,Affaires africaines. Aujourd’hui, il publie chez Fayard Nouvelles affaires africaines. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

    RFI : Vous assurez que le président Ali Bongo n’est pas né Gabonais. Qu’est-ce qui le prouve ?

    Pierre Péan : Je tiens à dire que je sais cela depuis très longtemps. Quand j’ai écrit lesAffaires africaines en 1983, je parle des enfants biafrais et de Bongo. La seule chose que j’ai faite en plus, c’est de chercher des anciens qui ont un peu de mal à parler parce que la plupart ont encore des relations avec le Gabon, mais le fait qu’il soit d’origine biafraise, c’est Noël en décembre !

    Ce n’est pas du tout un scoop. Et même dans le livre Kala-Kala, de Maurice Delaunay, l’ancien ambassadeur et homme de Foccart – c’est lui qui a monté toute cette affaire -, il n’y a pas le nom d’Ali, là non plus. Mais les enfants biafrais, c’était un projet totalement politique, parce qu’on voulait impliquer davantage celui qui s’appelait encore Albert-Bernard Bongo (Omar Bongo) dans la guerre du Biafra.

    Vous fondez-vous prnicipalement sur des témoignages ou sur des documents ?

    C’est essentiellement sur des témoignages. Je l’ai écrit, déjà, en 1983. Je mets un peu plus de lignes que dans le livre Affaires africaines.

    Il y a des témoignages, mais il y a aussi des contre-témoignages. Et pas de n’importe qui puisque l’une des filles de l’ancien président gabonais Léon Mba, Delphine Ayo Mba, affirme aujourd’hui que bien avant la guerre du Biafra, bien avant les années 1967-1968, elle jouait dans les jardins du palais présidentiel de Libreville avec le futur Ali Bongo, qui s’appelait alors Alain Bongo.

    Il y a quelque chose de très simple pour nous départager. Il suffit que le président Ali Bongo fasse un test ADN. Même chose pour Patience Dabany, qui est censée être sa mère, mais qui est pour moi sa mère adoptive. Et là, ce sera fini.

    Autre chose : il y a l’acte de naissance. Personne ne peut contester que l’acte de naissance qu’il a produit avant le démarrage de la campagne en 2009, même quelqu’un qui a dix ans, douze ans, peut voir que c’est un faux. Pourquoi, si véritablement il est né à Brazzaville, ne pas donner l’acte de naissance véritable de Brazzaville ou un acte qui se situe probablement à Nantes ?

    Vous dites que l’élève Alain Bongo n’a jamais été à l’école à Alès, dans le sud de la France, car vous n’avez trouvé aucune place de son inscription dans un établissement de la ville. N’est-ce pas une preuve un peu faible ?

    J’ai vu le président de l’association des anciens élèves, j’ai vu le patron du collège Cévenol pendant quinze, vingt ans. Cette affaire-là, ça ne me gêne pas du tout. Si véritablement on m’amène la preuve que cet aspect-là était faux, je le reconnaîtrais sans problèmes.

    Pascaline Bongo, sa soeur aînée, prend sa défense alors qu’ils ont des rapports compliqués depuis 2009. Cet élément n’est-il pas à prendre en compte ?

    C’est le moins qu’on puisse dire, oui. Mais la famille s’est resserrée pour des raisons qui sont assez compréhensibles. Elle n’a pas eu le choix : il fallait bien qu’elle fasse quelque chose. Mais voilà, ça ne me trouble pas outre mesure.

    Qu’est-ce qui vous prouve que Ali Bongo a menti sur ses diplômes universitaires ?

    (Rires). Alors là, sur les diplômes universitaires, je peux dire que j’ai vu la personne qui a monté l’opération. Effectivement, je ne cite pas son nom, mais je cite les autres participants. Ca s’est passé par le cabinet de Pierre Abelin, qui était ministre de la Coopération sous Giscard. C’est probablement remonté jusqu’à Valéry Giscard d’Estaing. On peut me dire que je n’ai pas le papier, ok. Par contre, je suis totalement sûr de mon coup.

    Des élections présidentielles truquées en 2009 ? Le vrai vainqueur aurait été André Mba Obame. Là aussi, quelles preuves avez-vous ?

    J’ai un papier de la Céna, l’organisation de contrôle des élections. Un document qui rend quasiment impossible la victoire d’Ali. Mais surtout, j’ai quelqu’un qui était dans la mécanique et qui m’a raconté les détails. Et comme il est encore proche du pouvoir, je ne peux évidemment pas donner son nom. Ce serait une trahison à son égard. Mais il a participé et m’a expliqué pourquoi : tout simplement parce qu’on ne voulait pas un Fang. C’est aussi clair que ça.

    Vous dites qu’à l’époque, Ali Bongo était soutenu par Nicolas Sarkozy et que deux ans plus tôt, la campagne du futur président français aurait été alimentée par les caisses gabonaises à hauteur de plusieurs millions d’euros ?

    Oui. Evidemment, si vous me demandez les preuves, je ne les ai pas. C’est toujours par du liquide évidemment que ça arrive. Mais là aussi, ce sont des gens qui sont dans l’intérieur du système qui me l’ont dit.

    Ce lundi, l’Etat gabonais a annoncé qu’il portait plainte contre vous pour des « propos gravement diffamatoires ». Quelle est votre réaction ?

    Enfin une bonne nouvelle ! Parce que ça va être sur la place publique donc on va voir ce sur quoi ils m’attaquent et moi, ma capacité à me défendre. Donc j’attends cela très sereinement et j’ai tendance à penser que c’est une bonne nouvelle.

    La semaine dernière, le site Mediapart a écrit que les hommes d’affaires Ziad Takieddine et Fara M’Bow auraient proposé à la présidence gabonaise, en échange de la coquette somme de 10 millions d’euros, que votre ouvrage ne soit jamais publié. Comment réagissez-vous ?

    C’est totalement scandaleux que des journalistes puissent reprendre ça en laissant le soupçon sur ma participation à cette opération. Ca, ça me tord les tripes. La chose essentielle, c’est qu’en novembre, décembre, il y a un an, il n’y avait pas de livre prévu sur le Gabon. J’ai signé mon contrat avec Fayard le 31 juillet de cette année.

    Mais si jamais cette opération a eu lieu, est-ce que vous envisagez de porter plainte contre ses auteurs ?

    Je suis en train d’y réfléchir. Que s’est-il passé ? Il y a bien eu un protocole d’accord par Ziad Takieddine. Mais je n’étais évidemment pas au courant.

     

    RFI

  • Herman Cohen :«Le problème en Afrique, c’est le manque d’investissements»

    Herman Cohen :«Le problème en Afrique, c’est le manque d’investissements»

    SOMMENT US-AFR-Lors du premier sommet Etats-Unis / Afrique qui se déroule du 4 au 6 août à Washington, l’un des principaux sujets de débat sera l’AGOA. L’accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Afrique arrive à échéance dans un an. Les pays d’Afrique demandent un renouvellement pour quinze ans. La décision appartient au Congrès. Plus généralement, les pays africains estiment que l’Amérique ne s’intéresse pas beaucoup au continent, sauf lors des crises. Interrogé par RFI, Herman Cohen, ancien secrétaire d’Etat américain chargé de l’Afrique, estime que la situation évolue lentement et que le climat des affaires sur le continent africain est responsable de cette frilosité.

    Herman Cohen : Bien entendu, les grandes sociétés qui cherchent du pétrole, des gisements ou des minerais doivent aller en Afrique, parce qu’il faut aller là où cela existe, n’est-ce pas ? Par contre, pour ce qui est des autres investissements, les sociétés américaines s’y intéressent mais se sont découragées. En effet, l’ambiance n’est pas bonne pour le secteur privé.

    RFI : Mais il y a cinquante-quatre pays en Afrique. L’Etat de droit n’existe peut-être pas dans tous les pays mais on fait face à des situations extrêmement différentes.

    Vous avez tout à fait raison et si vous regardez où se trouvent les sociétés américaines – celles qui ne sont pas dans le pétrole, bien-sûr – qui investissent dans les usines ou encore dans la valeur ajoutée, elles se trouvent en Afrique du Sud, au Botswana, en Zambie, au Kenya et, maintenant, au Ghana. Par conséquent, on peut avoir confiance en ces pays-là mais pour d’autres, c’est toujours difficile.

    Vous n’avez pas cité un seul pays d’Afrique francophone. Y a-t-il un problème particulier en Afrique francophone ?

    Non. Je suis consultant pour une société à New York qui investit dans les centrales électriques et qui se trouve au Togo. Lors du sommet, nous allons signer un contrat avec le Sénégal pour l’installation d’une centrale électrique à Dakar. Aussi, l’Afrique francophone commence à être connue des Américains.

    Concernant le Congo, vous avez publiquement pris position contre la modification des Constitutions en Afrique, comme d’ailleurs le secrétaire d’Etat américain, John Kerry. Est-ce que vous renouvelez ce conseil, cet appel aux dirigeants africains ?

    Oui. Chez nous, lorsque nous changeons la Constitution, que ce soit pour les salaires, pour les mandats ou pour autre chose, c’est toujours en vue du prochain président et non pas du président en exercice, car il pourrait en bénéficier. Aussi, nous conseillons, pour avoir une vraie démocratie, de changer la Constitution pour l’avenir et non pas pour les gens qui sont au pouvoir maintenant.

    Comment se fait-il que certains pays africains qui ont énormément de ressources soient toujours en voie de développement et, malgré une croissance très forte, n’arrivent pas à émerger ?

    Le problème, c’est le manque d’investissements et, pour les investisseurs, le problème c’est l’ambiance, l’environnement. Et je ne parle pas des investisseurs étrangers, je parle des investisseurs africains. Que font les Africains avec leur argent ? Selon la Banque mondiale, il y a 900 milliards de dollars envoyés par les Africains de l’étranger laissés dans les banques. Je parle de l’argent légitime et non pas de l’argent volé. Cela veut donc dire que les Africains gagnent de l’argent et qu’ils l’envoient à l’extérieur, parce qu’ils ont peur d’investir dans leur propre pays. C’est cela le grand drame de l’Afrique.

    Comment faire ? Est-ce qu’il y a une préconisation pour essayer de remédier à ce problème ?

    Oui. Les gouvernements doivent faire en sorte que les investissements des Africains eux-mêmes sont les bienvenus. Regardez les entrepreneurs africains qui sont riches, ces derniers sont tous très liés au pouvoir politique. Les autres n’ont rien. S’ils investissent ou bien s’ils créent des entreprises, ils sont tout de suite harcelés par le fisc et tous les autres gens du gouvernement. J’ai l’impression que le pouvoir a peur de l’investissement africain indépendant, comme si c’était un danger pour le pouvoir. Il faut changer cette mentalité. En Asie, où ils ont avancé beaucoup plus rapidement que l’Afrique, l’homme d’affaires est le partenaire, en développement, de l’homme politique. En Afrique, l’homme d’affaires indépendant, c’est l’ennemi du pouvoir. Il faut changer cette mentalité.

    rfi

  • USA/Afrique: «Nous assistons à un changement de paradigme»

    USA/Afrique: «Nous assistons à un changement de paradigme»

    amadou-Amadou Sy est chercheur principal à la Brookings Institution, à Washington. Ancien du FMI, il a écrit sur les perspectives macroéconomiques de l’Afrique et des marchés émergeants. A la Brookings, il coordonne le projet de recherche intitulé « Africa Growth Initiative » et a publié des articles consacrés aux enjeux du prochain sommet Etats-Unis / Afrique. Interview.

    Du 4 au 6 août, le président américain accueille à Washington le « US-Africa Leaders Summit » (Sommet Etats-Unis/Afrique). Pourquoi cette rencontre est importante ?

    C’est un sommet historique. Pour la première fois dans leur histoire, les Etats-Unis reçoivent sur leur sol autant de chefs d’Etat et de gouvernement africains. Quasiment tous les 54 pays du continent ont été conviés à participer à cette rencontre.

    On a souvent reproché à Barack Obama d’avoir négligé l’Afrique pendant son premier mandat et  d’avoir fait moins bien que ses prédécesseurs s’agissant des relations entre l’Afrique et les Etats-Unis. Clinton comme Bush sont crédités d’avoir fait avancer l’agenda commun en mettant en place notamment l’African Growth and Opportunity Act [l’Agoa, la loi qui facilite l’accès des pays africains au marché américain, entrée en vigueur sous le mandat de Clinton, ndlr] et le PEPFAR [le plan mis en place par l’administration Bush pour financer la lutte contre le sida, ndlr] .

    Pourquoi Barack Obama a-t-il attendu son deuxième mandat pour s’intéresser à l’Afrique ?

    Il ne faut pas oublier qu’il avait des dossiers très lourds à gérer sur le plan domestique comme sur le plan international. Lorsqu’il est arrivé à la Maison Blanche, l’Amérique était confrontée à une crise financière d’une ampleur telle qu’on n’en avait pas vues depuis la Grande dépression. Sur le plan international, il avait hérité de deux guerres. Il devait ramener à la maison les soldats américains que Bush avait envoyés combattre en Iraq et en Afghanistan. Obama rattrape son retard aujourd’hui en organisant ce sommet qui propose d’ouvrir un nouveau chapitre dans les relations Afrique/Etats-Unis. On peut dire qu’avec ce rendez-vous, nous changeons de paradigme dans la mesure où les nouvelles initiatives qui seront proposées, notamment dans les domaines du commerce et des infrastructures, sortent du cadre bilatéral et concerneront le continent dans son ensemble.

    Est-ce qu’historiquement, l’Afrique a compté pour les décideurs américains ?

    C’est pendant la décolonisation que les Américains ont redécouvert l’Afrique. Mais celle-ci a été longtemps perçue à travers des prismes grossissants de l’humanitaire et du sécuritaire. La perception de ce continent comme le haut lieu de toutes les pandémies et de toutes les terreurs a longtemps dissuadé les entrepreneurs américains d’y prendre pied. Mais l’Afrique, c’est aussi un vaste réservoir de matières premières qui a très tôt aiguisé l’appétit des majors pétroliers et miniers américains. Avec la découverte du gaz au Mozambique et du pétrole au Kenya et en Ouganda, on peut s’attendre à un regain d’intérêt pour le continent noir de la part des mastodontes américains d’hydrocarbures et de minéraux. Enfin, le dernier prisme est celui de la compétition avec la Chine qui est en train de changer radicalement la perception américaine de l’Afrique, devenue clairement « une terre d’opportunités » économiques et commerciales.

    Diriez-vous que ce sont les percées effectuées par la Chine mais aussi par le Japon et d’autres émergents qui ont poussé les Américains à organiser ce sommet des chefs d’Etat ?

    La concurrence grandissante en Afrique avec des anciennes puissances coloniales d’une part

    et d’autre part avec des puissances nouvelles a certes été l’un des facteurs qui poussent aujourd’hui l’administration américaine à reconsidérer ses positions à l’égard du continent noir. Mais ceci n’a pas été le seul facteur. Il y a aussi le développement économique spectaculaire de l’Afrique au cours des dernières décennies qui font de ce continent l’une des régions les plus dynamiques du monde avec une croissance moyenne annuelle dépassant 5 %. Le temps de l’Afrique est venu. Toutes les études le montrent.

    Les Etats-Unis ne veulent pas rater ce grand marché en émergence. Il y a de formidables opportunités d’affaires pour les entrepreneurs américains dont les investissements actuels en Afrique représentent à peine 0,7 % du total des capitaux américains investis dans le monde. Le sommet de Washington servira à mettre tout cela en perspective et à fixer les priorités et cela en collaboration avec les leaders et les décideurs africains. C’est cela aussi l’une des nouveautés de cette rencontre au sommet qui sera, aux dires des conseillers africanistes de Barack Obama, une occasion pour élaborer une stratégie, pas « pour » l’Afrique, mais « ensemble » avec l’Afrique.

    Vous êtes Sénégalais, vous connaissez les leaders africains. Qu’attendent-ils de ce sommet ?

    La philosophie américaine a toujours été : « No aid, more trade ». Pas d’aide, plus de commerce. Aussi, personne ne s’attend à ce que le sommet se termine par une distribution de chèques, comme cela se passe d’habitude à Pékin ou à Tokyo, à l’occasion des raouts similaires. Les leaders africains s’attendent surtout à ce que Barack Obama donne une nouvelle impulsion aux relations entre

    l’Amérique et l’Afrique afin que la rencontre de Washington puisse déboucher sur plus de commerce et d’investissements, plus de présence du secteur privé américain à travers des initiatives telles que « Power Africa » et « Trade Africa » que l’administration veut lancer. La société civile africaine s’attend, pour sa part, à ce que le gouvernement américain redise à cette occasion son soutien aux idéaux de la bonne gouvernance, de la transparence et du respect des droits de l’homme. Et last but not least, la jeunesse. En recevant à Washington, une semaine avant l’arrivée des chefs d’Etat, 500 jeunes entrepreneurs africains, Obama leur a dit combien il comptait sur la jeunesse africaine pour bâtir cette Afrique « forte et autonome » qu’il appelle de tous ses voeux. Ce message touchera à mon avis tous les jeunes Africains et pas seulement les 500 rassemblés à Washington.

    Parmi les différents événements auxquels les chefs d’Etat participeront à Washington, quel est celui qui aura, selon vous, le plus d’impact sur les relations américano-africaines ?

    Indéniablement, le « Business Forum » ou le Forum d’affaires organisé conjointement par le département du Commerce et les Bloomberg Philanthropies que dirige l’ancien maire de New York Michael Bloomberg. Ce forum réunira les chefs d’Etats africains, leurs délégations et des cadres d’entreprises américaines spécialisées dans des domaines aussi divers que la finance et les investissements, l’infrastructure, l’énergie, l’agriculture, les biens de consommation, les technologies de l’information, etc. Penny Pritzker, la secrétaire chargée du Commerce, s’est rendue régulièrement en Afrique et connaît bien le marché africain où, selon elle, de nouvelles opportunités d’affaires sont apparues avec l’émergence, à travers le continent, d’une classe moyenne solide et avide de consommer. Le succès de la téléphonie mobile au cours des dernières années illustre bien le dynamisme de ce marché en expansion. Il n’en reste pas moins que beaucoup d’entrepreneurs américains continuent de voir l’Afrique seulement sous le prisme de la mauvaise gouvernance, de la corruption et de la lourdeur bureaucratique. Le face-à-face avec les chefs d’Etat leur permettra de poser des questions, de clarifier leurs doutes, tout en prenant la mesure des changements intervenus dans les mentalités. Selon ses organisateurs, ce forum veut être un outil de coopération entre le secteur privé américain et ses interlocuteurs outre-Atlantique.

    Malgré toutes ces bonnes intentions, l’administration Obama fait l’objet de nombreuses critiques. On lui reproche d’organiser le sommet en août alors que tout le monde est en vacances. Qu’il n’y ait pas de rencontre en tête-à-tête entre les chefs d’Etat et le président Obama pose problème. Qu’en pensez-vous ?

    C’est faux de dire qu’il n’y aura personne. Les parlementaires qui ont été chargés de recevoir les invités africains et qui suivent les dossiers africains, seront bel et bien là. Et parmi les parlementaires mobilisés, il n’y a pas que des démocrates. Il y a aussi des républicains. Aux Etats-Unis, il existe, et c’est important de le noter, un véritable consensus autour du dossier africain. Les sénateurs républicains, tout comme leurs homologues démocrates, ont écourté leurs vacances pour recevoir les participants au sommet africain. Quant à la question de la rencontre en tête-à-tête d’Obama avec les chefs d’Etat, c’est effectivement problématique, mais le président Obama a déjà rencontré un certain nombre d’entre eux soit à Washington ou pendant sa tournée en Afrique en 2013.

    On a aussi reproché à l’administration de porter préjudice aux intérêts américains en n’invitant pas les trois pays – le Zimbabwe, le Soudan et l’Erythrée – où les règles de la démocratie ne sont pas respectées. Les critiques rappellent que la Chine ne fait pas ce genre de distinctions.

    Elle en fait d’autres. Par exemple, la Chine a coupé les ponts avec les pays qui entretiennent des relations avec Taïpei.

    RFI

  • Sénégal – Abdoulaye Wade : “Je ne peux pas tolérer que tout ce que j’ai fait soit détruit”

    Sénégal – Abdoulaye Wade : “Je ne peux pas tolérer que tout ce que j’ai fait soit détruit”

    Abdoulaye Wade à Dakar, le 26 avril, au domicile de son ami et ancien ministre Madické Niang. Abdoulaye Wade à Dakar, le 26 avril, au domicile de son ami et ancien ministre Madické Niang. © Youri Lenquette pour J.A.

    Ses relations avec son successeur, son rapport très décomplexé à l’argent, le sort de son fils… De retour à Dakar, l’ancien président se lâche. Et, manifestement, il est en pleine forme.

    Quand Abdoulaye Wade jurait, il y a deux ans, à l’aube de sa dernière campagne électorale, qu’il se sentait en pleine forme en dépit de son âge et qu’il était en mesure d’assumer un troisième mandat présidentiel – ce qui provoquait haussements de sourcils et ricanements de la part des observateurs étrangers -, il fallait le croire. À 87 ans, “Gorgui” (“le vieux”, en wolof) n’entend plus très bien mais se porte à merveille. Il l’a prouvé le 25 avril quand, deux heures après l’atterrissage de son avion en provenance de Casablanca, à l’issue d’un exil en France de vingt-deux mois et d’une escale marocaine de trois jours qui a tenu en haleine tout le pays, il a offert aux milliers de ses partisans qui l’attendaient devant le siège du Parti démocratique sénégalais (PDS) un discours de chef de guerre de près de trente minutes. Il était minuit passé.

    Le lendemain, il est près de 23 heures lorsqu’il met un terme à l’entretien qu’il a accordé à Jeune Afrique dans la demeure que lui prête son ami et ancien ministre Madické Niang et qui lui sert de domicile provisoire à Dakar. Il n’a pas encore dîné et sa garde rapprochée l’attend pour préparer le programme des jours suivants, mais Wade, visiblement heureux de prouver qu’il a toute sa tête en enchaînant vieilles anecdotes et grandes théories, ne semble pas pressé d’en finir.

    L’ancien président du Sénégal (2000-2012) n’a rien d’un retraité. Il y a quelques mois, il a créé son propre cabinet à Dubaï, Wade International Consulting. “Ce que j’ai fait au Sénégal, je peux le faire pour n’importe quel chef d’État : monter des projets, les financer”, argumente-t-il. Fort de la très haute idée qu’il se fait de lui-même, il se rêve aussi en faiseur de paix : ainsi, il se verrait bien médiateur en Centrafrique. “Si on me demande de réconcilier le peuple centrafricain dans ses différentes composantes ethniques et religieuses, je suis prêt à y aller. Mais il me faut le soutien de la France”, précise-t-il.

    En attendant, sa priorité est à Dakar : à la libération de son fils et de ses collaborateurs, poursuivis dans le cadre de la “traque aux biens mal acquis” menée par le président, Macky Sall ; à la bataille des élections locales qui approchent ; et “au retour de la démocratie”, qui, selon lui, n’est plus une réalité au Sénégal.

    Jeune Afrique : Pourquoi rentrer maintenant, après vingt-deux mois d’exil en France ?

    Abdoulaye Wade : Il faut bien que je rentre chez moi… Lorsque j’ai été battu par Macky Sall [en mars 2012], j’ai déclaré publiquement que j’étais prêt à l’aider, mais il ne m’a jamais répondu. Alors je suis parti en France. Immédiatement après, il a lancé une chasse aux sorcières contre tous ceux qui me sont proches. Aujourd’hui, vingt-cinq de mes collaborateurs sont interdits de sortie du Sénégal. Parmi eux, certains sont en prison. Pourquoi ? Il s’est attaqué à ma femme, à mon fils… Un jour, Me Robert Bourgi a rencontré Macky Sall. Macky lui a dit : “Je sais que vous connaissez bien Wade. Dites-lui que je n’ai que du respect pour lui.” Il dit qu’il a de la considération pour moi, et après il met mon fils en prison !

    Votre fils, Karim, est soupçonné par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) de posséder un patrimoine estimé à 117 milliards de F CFA (178 millions d’euros)…

    Foutaises ! Je note qu’au début on parlait d’un patrimoine de 694 milliards de F CFA, et qu’aujourd’hui c’est descendu à 117 milliards. La commission d’instruction a donc effacé 80 % des accusations. Mais même dans les sommes que les juges retiennent aujourd’hui – des comptes en banque imaginaires, des sociétés avec lesquelles il n’a rien à voir, des maisons qui m’appartiennent mais qui lui reviendront lorsque sa mère et moi quitteront ce monde -, presque rien n’appartient à Karim. Avec la Crei, demain, un juge peut vous dire : “Monsieur, il paraît que vous avez acheté la tour Eiffel à Paris, démontrez-moi que ce n’est pas vrai.”

    Pourquoi ne pas l’avoir dénoncé avant ?

    Parce que je ne voulais pas gêner mon successeur. Aujourd’hui, le Sénégal va mal. Vous avez vu l’accueil que j’ai reçu à mon retour ? Il y avait des millions de Sénégalais. Le président Macky Sall doit décoder cette mobilisation. Moi je l’ai fait : je représente un espoir, en raison de ce que j’ai fait pour le Sénégal, et aussi du fait qu’aujourd’hui ces gens sont désespérés. J’aurais souhaité qu’il y ait un président – je ne dis pas qui ait la même aura que moi ni qu’il obtienne les mêmes résultats -, qui, au moins, gagne le coeur des Sénégalais.

    Doit-on comprendre que vous vous présentez en ultime recours ?

    Non, c’est fini, j’ai dépassé le point de non-retour. Notez que je peux renverser Macky Sall à tout moment. Il me suffit de lancer les populations sur le palais. Mais ce n’est pas mon intention. Moi, ce que je veux, c’est que Macky comprenne qu’il fait fausse route. Je ne peux pas tolérer que tout ce que j’ai fait ici soit détruit. Il n’y a plus de démocratie aujourd’hui au Sénégal. Il faut donc la ramener, mais ce n’est pas moi qui doit le faire, c’est lui. Et la première chose à faire, c’est de libérer tous mes collaborateurs. Si Karim doit être jugé, que ce soit par la cour de la Cedeao ou en France, mais pas par la Crei, qui viole le droit à un procès équitable.

    Et si cela devait être le cas ?

    Les jeunes disent qu’ils marcheront sur le tribunal. Mais ce n’est pas moi qui les y pousserai.

    Je peux renverser Macky Sall à tout moment. Il me suffit de lancer les populations sur le Palais.

    En rentrant, votre objectif est donc de faire sortir votre fils de prison…

    Pas seulement Karim. Tous mes collaborateurs doivent être libérés. J’ai écrit deux lettres à Macky Sall, auxquelles il n’a jamais répondu. Dans la première, je lui ai dit : “Monsieur le président, on vous raconte qu’il y a des milliards, mais il n’y a pas de milliards. Vous vous engagez dans une voie sans issue.” Dans la seconde, je suis revenu plus en détail sur ce que l’on reproche à Karim. J’y explique notamment d’où viennent les 2,5 millions d’euros qu’on a trouvés sur un compte à son nom à Monaco.

    D’où viennent-ils ?

    Du roi Abdallah. C’était au début de ma présidence. J’étais allé en Arabie saoudite. Vous connaissez les pratiques africaines et arabes : quand on a un hôte, il faut lui offrir un cadeau. Le roi m’a donné 5 millions de dollars. Mais pour éviter toute confusion, j’ai donné cet argent à mon fils, qui l’a placé. Une partie de l’argent est allée sur un compte à New York, puis à Monaco.

    Pourquoi ne pas avoir reversé ce don à l’État du Sénégal ?

    Pour quelle raison aurais-je fait cela ? C’est à moi !

    Un autre “don” du roi Abdallah a mené l’un de vos proches, Aïdara Sylla, en prison au début de l’année dernière

    Je vais vous expliquer. Une fois que j’ai quitté le pouvoir, au mois de mars 2012, le roi Abdallah me fait téléphoner par celui qui sert d’interprète entre nous deux, et qui me dit : “Sa Majesté veut vous donner un cadeau.” J’y suis donc allé, et le roi m’a donné 10 millions de dollars. Sur cette somme, j’ai confié 4,5 millions d’euros à mon ami entrepreneur [Aïdara Sylla] pour qu’il règle des factures. Le problème, c’est qu’en rentrant au Sénégal il n’a pas déclaré le chèque, et on l’a envoyé en prison. Mais il n’y a aucun délit.

    Pourquoi le roi Abdallah est-il si généreux avec vous ?

    Allez le lui demander. Nous sommes très amis, mais il fait autant ou plus pour d’autres chefs d’État, sauf qu’ils ne le disent pas, eux. Je ne l’aurais pas dit s’il n’y avait eu cette affaire.


    Accueilli par le roi Abdallah d’Arabie saoudite, alors qu’il était en pèlerinage
    à La Mecque, en janvier 2006. © Seyllou Diallo/AFP

    Vous êtes-vous enrichi durant les douze années de votre présidence ?

    Absolument pas. Je l’ai dit à des députés français, je vous le redis : si j’ai un immeuble ou un compte en banque en France, qu’on le prenne. Tout ce que je possède, c’est un appartement de 41 m² avenue des Ternes [dans le 17e arrondissement de Paris] et quelques terrains et biens immobiliers au Sénégal, que je possédais bien avant de faire de la politique.

    Et votre maison de Versailles ?

    Elle appartient à ma femme. Nous en avons fait une Société civile immobilière (SCI) dont notre fille Syndiély possède 99 % des parts, de manière à ce qu’elle ne paie pas de droits de succession quand nous mourrons. J’ai fait la même chose avec ma maison du Point E à Dakar pour Karim [une maison que la Crei a retenue dans son patrimoine].

    Aimez-vous l’argent ?

    Oui, je suis un libéral.

    Karim Wade pourrait-il être un jour le président du Sénégal ?

    Il a une certaine popularité.

    Et vous savez pourquoi ?

    Parce qu’il a résolu le grand problème de l’énergie. Tous mes ministres ont échoué, alors un jour [en octobre 2010] j’ai appelé Karim et je lui ai dit : “Je sais que toi tu es capable de résoudre ce problème, mais je te préviens : si tu fais un faux pas, tu tombes.” Il m’a dit : “Je prends.” Et, finalement, il n’y a plus eu de coupures d’électricité. Ce n’est pas n’importe qui qui peut faire ça.

    Je ne suis pas un dictateur, même avec mes enfants.

    Je reformule ma question : souhaitez-vous que Karim Wade soit un jour le président du Sénégal ?

    Peut-être, à un moment, me suis-je laissé tenter par cette idée. Mais au moment où je vous parle, je ne le souhaite pas. Maintenant, je n’irai pas jusqu’à lui dire de ne pas s’impliquer en politique. Je ne suis pas un dictateur, même avec mes enfants.

    Pourrait-il vous succéder à la tête du Parti démocratique sénégalais (PDS) ?

    Si les militants le décident, pourquoi pas…

    Regrettez-vous de vous être présenté en 2012 ?

    Pas du tout.

    Vous auriez pu sortir par la grande porte.

    Qu’est-ce que ça peut faire ? J’ai gagné contre Abdou Diouf, j’ai perdu contre Macky Sall, point final ! Mais vous savez, en 2012, je n’avais personne pour me remplacer, ni Karim ni personne d’autre. Conscient de mon âge, je voulais mettre en place un système pour faire élire un nouveau président dans les trois ans qui suivaient.

    Maintenant que vous n’avez plus d’ambition électorale, vous pouvez nous dire quel âge vous avez. Il y a un flou sur votre date de naissance…

    J’ai 87 ans. Mais admettons que j’en aie 90 : et après ? Je suis en bonne santé. Mon père est mort à 101 ans, il a fait la Grande Guerre. Ma grand-mère est morte à 121 ans. Dans ma famille, on connaît la longévité. Mais je suis musulman, je sais que je peux partir à tout moment. Je sais que j’ai fait tellement de bien sur la terre que j’irai au paradis.

    __________Jeune Afrique

    Propos recueillis par Rémi Carayol